Majorité numérique, les femmes sont pourtant peu nombreuses au sein de différentes instances de prise de décision. Une réalité intacte depuis longtemps même si largement dénoncée… Que faire pour changer cette donne à la veille des élections de 2025 et espérer une configuration politique conforme à la réalité après ce prochain scrutin. Le point.
52,45% de l’électorat burundais est fait de femmes. Avec une telle majorité numérique, la balance du scrutin devrait pencher en leur faveur. Elles ne sont pourtant que 38,2% au sein de l’assemblée nationale, 41,32% au sénat, 31,2% au sein du gouvernement, 33,3% au sein de l’EALA (East African Legislative Assembly).
Tout compte fait, il va sans dire que la femme joue dans une certaine mesure, le rôle de figurant, juste pour être en conformité avec les exigences constitutionnelles, regrette Cathy Kezimana, députée au sein de l’EALA : « Rares sont les fois où la femme est en tête, ou en 2ème position sur les listes bloquées. Elles viennent trop souvent en 3ème position. »
Elément qui écarte la femme de l’élection et par conséquent d’un mandat populaire. Elles sont comptées! Tenez par exemple, lors des élections de 2020, sur les 18 circonscriptions électorales que comptait le pays, le parti Cndd-fdd avait une seule femme en tête de liste en province de Muyinga, le CNL en avait 2 à Bururi et Cankuzo et tandis que le parti Uprona comptait seules deux femmes aussi à Bubanza et Karusi étaient en tête de liste.
De cette situation, il ressort des calculs que 30.6% des femmes qui siègent à l’assemblée nationale sont cooptées et non élues contre 8% pour les hommes. Au sénat, toutes les femmes qui y siègent sont élues. Cependant, on pourrait là aussi déplorer que dans la cooptation qui ne concerne que les Twa, pour se conformer à la constitution, sur les trois sénateurs cooptés, il n’y a aucune femme.
Pour pallier ce défi, Cathy Kezimana suggère qu’il soit rendu obligatoire par le code électoral que sur les listes bloquées des candidats, les femmes et les hommes alternent pour permettre à aux femmes d’avoir les mêmes chances que les hommes, d’être élues. ET d’ajouter que les 30% comme quota octroyé aux femmes par la constitution ne sont pas le maximum : « Au Rwanda, 6 députés Rwandais de l’EALA sur 9 sont des femmes. »
Déconstruire le mythe de la prééminence de l’homme sur la femme
« L’inégalité, on le sait, est moins naturelle que culturelle, c’est à dire construite» dixit Michel FIZE, sociologue et chercheur au CNRS.
Au Burundi, l’idée qu’une femme occupe un poste décisionnel, était et reste encore aujourd’hui dans la conscience de certaines personnes perçues comme une hérésie culturelle : « Nta Nkokokazi ibika, ahari isake ».
Dans une société à culture patriarcale avec une propension phallocratique, la femme a été mise au bas de l’échelle sans coup férir, selon l’analyse de Didace Ndikumasabo, chercheur en socio-anthropologie.
Cette domination est affermit par la socialisation, estime Landry Mugema, étudiant-chercheur en science politique et relations internationales. Il ajoute que le saint Graal de cette domination de la femme comme toute autre domination consiste à faire participer les dominés (les femmes) à leur domination.
Et de renchérir en citant Etienne de La Boétie dans son « Discours de la servitude volontaire » : « Les hommes nés sous le joug, puis nourris et élevés dans la servitude, sans regarder plus avant, se contentent de vivre comme ils sont nés et ne pensent point avoir d’autres biens ni d’autres droits que ceux qu’ils ont trouvés ; ils prennent pour leur état de nature l’état de leur naissance.»
C’est le cas de la femme burundaise qui dans les tréfonds de sa conscience n’a plus de souvenance d’avoir été libre un jour. Pour nuancer cette question de la domination, il est capital de mettre l’accent sur l’aspect temps; car la domination se conçoit et se consolide sur de longues périodes pour endormir l’esprit des dominés, ajoute-t-il.
Angélique Niyorugira, étudiante en master à l’Université du Burundi à la Faculté des Sciences Politiques et Juridiques, s’offusque que depuis des siècles, des femmes aient été écrasées et étouffées par le poids de la tradition, égosillées par le carcan d’une coutume fortement sexiste et bâillonnées par une éducation aliénante et discriminatoire. Laquelle éducation fait, par ricochet, participer, la femme par manipulation déguisée en éducation, à sa propre domination.
Cette domination est concise sous bannière des inégalités politiques ou morales chez Jean Jacques Rousseau, par oppositions aux inégalités naturelles ou physiques, dixit Landry étudiant en sciences politiques. Il précise que contrairement aux inégalités naturelles ou physiques , «… établie par la nature, et qui consiste dans la différence des âges, de la santé, des forces du corps et des qualités de l’esprit ou de l’âme» qui frappent indistinctement tout le monde, les inégalités politiques ou morales qui consacrent la domination de la femme «… dépend d’une sorte de convention, et qu’elle est établie ou du moins autorisée par le consentement des hommes. Celle-ci consiste dans les différents privilèges dont quelques-uns jouissent au préjudice des autres, comme d’être plus riches, plus honorés, plus puissants qu’eux, ou même de s’en faire obéir.» Bref la prééminence de l’homme est le fruit d’une décision politique.
Construire un monde juste et égalitaire entre hommes et femmes
«Nul ne peut prétendre mieux représenter les intérêts de la femme, que la femme elle-même », lance Cathy. L’idée que les femmes, qui occupent les postes de décision à des niveaux élevés soient déconnectées des citoyennes lambda, vaut pour les hommes et pour les femmes. Pour Cathy, cette thèse fausse le débat et induit en erreur beaucoup : « Il faut que la femme, cette citoyenne lambda dont il est question, fasse partie des instances décisionnelles à tous les niveaux depuis la colline jusqu’au sommet. Cristalliser les regards sur les femmes qui sont placées à des postes élevés est une stratégies pour diviser les femmes et déplacer le débat.» Sans justifier les élus déconnectés de leur électeurs, elle appelle à consentir plus d’efforts pour promouvoir davantage la femme notamment en passant par l’éducation, pour aider la femme à se sortir elle-même du carcan de la domination en menant ses propres combats en âme et conscience.
Angélique Niyorugira, quant à elle, estime qu’il appartient aujourd’hui aux femmes d’oser jeter les bases d’un monde nouveau prônant l’égalité et la justice entre les hommes. Pour tendre vers cet idéal, Niyorugira croit comme Cathy Kezimana fermement au pouvoir de l’éducation pour l’éveil de la conscience des femmes. Selon elle, l’éducation est l’unique outil pour permettre l’impulsion du changement radical pour un monde plus juste et égalitaire, en libérant la femme du complexe d’infériorité d’une part, et en libérant l’homme du complexe de supériorité, d’autre part. Pour ce faire, Landry Mugema estime qu’il faut repenser l’éducation aux fins de la débarrasser des stéréotypes sexistes.
Tout compte fait, aujourd’hui, il va sans dire que les femmes sont depuis des temps immémoriaux empêchées par « l’éducation-aliénation » ou un refus sec d’occuper des postes de décision. A l’heure actuelle où les cartes semblent sur le point d’être rebattues et redistribuées en faveur des femmes. Il est important qu’elles s’unissent pour mener le front commun déjà engagé en faveur de leur émancipation aux fins d’accélérer ce mouvement avant qu’il ne se désintègre. Ceci est d’autant plus vrai que la mondialisation et le changement des mentalités qui en est le corollaire dans l’émergence d’une masculinité positive permettent aux femmes de sortir de ses gonds pour être des actrices majeures et incontournables de cette société en mutation.