C’est un modeste salon de coiffure, qui voit défiler cinq femmes venues se faire traiter le cuir chevelu pour diverses motivations. En toile de fond : leurs destins gâtés par la veulerie masculine, et les milles facettes de la solidarité féminine. Une pièce réussie en prélude au 8 mars
Lieu de commérages par excellence, ce n’est certes pas un hasard que Sheilla Inangoma, la co-auteure et metteur en scène de la pièce ait choisi un salon de coiffure pour dames comme décor de la présentation. Car le projet transparaît dès les premières scènes : dénoncer les misères quotidiennes de la condition féminine, sans tomber dans le recyclage de la foultitude des pièces, sketchs, jeux présentés sur le thème, sur le 8 mars et le « combat » éternel que la date annonce.
Sous le regard ahuri de Papy, le coiffeur-star des lieux, Kanyana, dans un savoureux français-kirundisé et non sans humour, se plaint d’un mari militaire qui la maltraite, la rabaisse devant les invités, ne supporte plus « l’odeur quelconque qu’elle dégage ».
Ses lamentations désillusionnent Félicita, une jeune fille flottant sur un petit nuage qui, catalogue à la main, cherchait tantôt une « coiffure romantique » pour son mariage qui arrive bientôt. «Tu devrais choisir le style sauvage, le mariage est une vraie sauvagerie». Paradoxe, Kanyana s’est rendue chez Papy pour faire plaisir à son mari.
Suzanne pour rythmer
Mama Suzanne, la plus branchée de toutes, une intellectuelle, consultante en genre et en droit, n’en revient pas. Elle se révolte, blâme Kanyana de se laisser faire, lui fait comprendre qu’elle subit une violence psychologique verbale. Le ton est donné. Jouée le 6 mars, la pièce rappelle aux spectateurs que dans moins de 48h sera célébrée la journée internationale des droits de la femme. Le public sera même invité à se lever des confortables places de l’Institut Français du Burundi, pour accompagner la rage de Suzanne, qui scandera, poing levé, « Non aux violences ! », « Non à l’abus de pouvoir », etc. Suzanne, toujours elle, recadre Bijou, une élève en jupe courte et évasée venue s’ajuster la tête pour rendre visite à son prof de Geo-Histoire. «On ne rend pas visite à un prof dans cette tenue et encore moins un dimanche », tonne la consultante.
Intimidée par le regard perçant de Mama Suzanne, Bijou reconnaît qu’elle a un échec dans son cours. Et de rappeler Sébastien, son prof qui complimente une élève pour les efforts fournis pour réussir son cours et promet une punition à ceux qui ont un échec, surtout les filles. « Je vais vous administrer une bonne fessée. Et d’ailleurs vos fesses ne vous appartiennent pas, elles appartiennent à l’État ». Comment ne pas y voir les révoltantes images du corps meurtri d’une fille d’un lycée du Bujumbura.
Sans parler de cette bonne sœur qui arrive Chez Papy en hoquetant d’indignation : le vélo-taxi qui le transportait tantôt vient d’éjaculer sur elle, en rappel du phénomène de frottements impudiques dans les transports en commun si fréquent, mais peu ouvertement évoqué.
Monde de paradoxes
D’ailleurs, Papy lui aussi n’est pas si saint qu’il le paraît, ou le pense (c’est un homme battu par sa femme): il a le malheur de siffler une passante voilée, qui lui fait passer un mauvais quart d’heure, insultes en swahili comprises : « Est-ce que je suis une chose qu’on arrête à volonté par sifflement comme si je n’avais rien d’autre à faire ? »
Et puis, sous ses airs de femme comblée, Mama Suzanne dissimule une triste condition : après s’être arrangée avec Papy pour lui payer ultérieurement, ce dernier lui tire les vers du nez. Elle avoue que bien qu’elle soit mieux payée, son mari gère son revenu et le lui redonne à sa convenance. Comme quoi aucune femme n’est à l’abri des abus…