Les filles en âge avancé et non encore mariées sont mal vues au Burundi. Leur situation est assimilée soit au mauvais sort, soit à de la perversion. Pourtant, certaines ont choisi le célibat et l’assument fièrement, comme Nancy et Frida…
Si un homme peut, de sa propre volonté, décider de ne pas se marier, le même choix ne passe pas pour une femme au Burundi. Ici, la conscience collective exige à toute femme d’être mariée. Celles qui refusent de se soumettre à cette règle, en payent le prix cher.
C’est le cas de Nancy (nom d’emprunt), 39 ans. Détentrice de 2 masters, fonctionnaire depuis bientôt 13 ans, 2 voitures, une maison, et un business qui prospère plutôt bien dans la vente et location du matériel de fêtes, elle a bien réussi sa vie. Mais pas aux yeux de ses parents et proches pour qui, sa vie aurait été une réussite si elle n’était pas toujours célibataire à son âge ː « Ma mère et mon père ne me parlent plus. Ils disent que je suis la honte de la famille et que je donne un mauvais exemple à mes 3 petites sœurs. Je fais l’objet de moqueries de la part de mes amis. C’est dur. »
Pire, fait savoir Nancy, des fois les gens la taxent d’être une prostituée ou une lesbienne. Cette situation l’a poussée à s’éloigner de sa famille et à couper les ponts avec ses parents. « Malgré le soutien financier que j’apportais à ma famille, mes parents avaient honte de vivre à la maison avec moi, une grande fille qui ne s’est jamais mariée. Ma mère me disait que je donnais une mauvaise image pour la famille, une image d’une fille mal élevée. Elle me disait d’aller à l’église pour obtenir ma délivrance. J’ai finalement opté de quitter le toit familial quand ils ont commencé à m’appeler ironiquement Tata. C’était la goutte de trop pour moi. »
Frida (nom d’emprunt), 35 ans, avocate à Bujumbura dit vivre la même pression de la part de son entourage. Il faut fonder une famille pour être une femme de valeur, lui répète sa mère à longueur de journée. Sinon, d’après cette dernière, sa fille ne sert à rien : « Ma mère me dit toujours que je me rapproche de la ménopause et que je risque de ne pas avoir d’enfants dans la vie. Elle aime souvent me rappeler qu’à 35 ans, elle avait déjà 5 enfants », confie-t-elle avec désolation, sans pour autant manquer d’esquisser un sourire.
Un célibat assumé
Que ce soit Nancy ou Frida, elles affirment toutes les deux être sollicitées régulièrement par des hommes pour le mariage, mais elles ont fait le choix de vivre seules pour le restant de leurs vies.Pour Nancy, avec les problèmes conjugaux qu’elle observe ici et là dans les couples, se marier devrait être un choix bien réfléchi et un pas à faire uniquement pour qui le veutː « En quoi m’importe de faire le mariage, si je ne suis pas d’accord avec moi-même. »
Et de confier avoir vu la plupart de ses amies se marier et revenir pour lui faire part de leurs malheurs après un certain temps : « Le mariage est censé apporter de la joie dans la vie des gens et pas le contraire. Je n’ai pas envie de me marier, c’est le cadet de mes soucis. Ce qui m’importe c’est de travailler durement pour devenir une femme de grande utilité pour toute la communauté. Vous vous imaginez, un mariage, une décision qui te lie à une personne pour toute la vie ?»
Frida est aussi catégorique quant à son choixː « Se suffire en dehors de toute union avec un homme, tel est mon choix. Je ne veux pas recevoir d’ordres de quiconque. Je veux vivre ma vie à ma façon, sans rendre comptes à personne. »
Et de marteler que la société devrait comprendre que le choix du célibat ne relève d’aucun trouble comportemental, ni aucun mauvais sort ː « Qui a dit aux burundais que la vie d’une femme se résume au mariage ? Qu’ils me laissent bien coiffer ma sainte Catherine. Je ne suis pas en compétition ni avec mon âge ni avec qui que ce soit. »
La vie est belle chez Nancy et Frida.
Selon Jimmy-Elvis Vyizigiro, journaliste-chercheur, dans le Burundi ancien, toute femme devrait être mariée sauf la vestale Mukakaryenda et Juru ry’i Kagongo qui étaient épargnées par cette tradition du fait de la sacralité de leurs responsabilités culturelles. Pour les autres, celle qui n’arrivait pas à se marier était vue comme une honte pour sa famille. En Kirundi, on désigne une jeune fille par le vocable « umukobwa », venant du verbe « gukwa » qui signifie « doter », « umukobwa » veut tout simplement dire qu’elle est élevée et éduquée pour que les garçons puissent venir demander sa main à sa famille, donc la doter. C’était ça la finalité de l’éducation donnée à la fille.
A l’âge adulte, la fille jusqu’ici cloitrée dans l’enclos familial à des tâches ménagères, se voyait accorder quelques libertés pour sortir et se faire remarquer par des prétendants. Celle qui ne trouvait pas de prétendant était envoyée chez sa tante « Inasenge » pour voir si elle peut trouver un mari parmi ses cousins. Là-bas, si elle échouait à trouver de partenaire parmi ses cousins, elle devrait regagner sa famille ou elle était rejetée et condamnée à vivre seule dans une cabane appelée « Agahundwe » située dans un coin perdu dans l’espoir qu’une hyène appelée « Ngeni » puisse la trouver et la dévorer. C’est pourquoi, on dit à la fille qui se marie « Kira Ngeni », « Tu es sauvée de Ngeni » que la plupart des gens pervertissent en « Gira Ngeni »