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Société

« Comment comprendre cette hypersexualité virtuelle ? »

Une nouvelle sextape de deux jeunes burundais circule sur les réseaux sociaux depuis la semaine passée. Au-delà des dégâts de telles images sur les auteurs et la société tout entière, Jimmy Elvis Vyizigiro, historien et écrivain se demande la cause et l’intérêt d’une telle exhibition sur la toile, comment faire pour arrêter sinon bannir cette pratique ?

Jeudi 23 mars 2023, 8h00 du matin. Comme à l’accoutumée, je me saisis de mon téléphone portable pour y découvrir les messages Whatsapp qui s’y entassent depuis la veille. Hélas, presque tous les groupes WhatsApp dont je fais partie ne parlent que d’une nouvelle sextape, telle une onde de choc qui se propage au gré des conversations.

Cette fois, la victime n’est autre qu’Alexa, une jeune femme dont la notoriété sur Instagram n’a d’égale que son désir de plaire à ses abonnés. Pour certains, elle n’est qu’une « slay queen », un énième personnage superficiel de la sphère numérique. Pour d’autres, elle incarne une forme d’idéal, une égérie qui sait allier charme et élégance.

Ceux qui la connaissent personnellement ou l’ont vue grandir sont accablés par cette nouvelle, impuissants face à la diffusion incontrôlée d’une vidéo qui détruit l’intimité de leur Alexa. Tandis que les jeunes s’échangent la vidéo et discutent de cette jeune dame avec ardeur et intérêt, j’observe cette scène avec une certaine mélancolie, conscient des dégâts que peuvent causer de tels actes.

L’humanité ainsi sacrifiée sur l’autel de la virtualité

Après avoir dégusté ma première gorgée de café, je suis assailli par une multitude de questionnements. D’où vient cette étrange impulsion qui pousse les jeunes à se livrer ainsi à des exhibitions intimes ? Quel est donc ce vertige qui les entraîne toujours plus loin sur les voies obscures de l’hypersexualité virtuelle ? Pourquoi Alexa et Jules, ces deux êtres désormais réduits à de simples corps offerts aux regards impudiques, ont-ils accepté de participer à cette débauche numérique ? La diffusion de leur vidéo sur Snapchat a-t-elle été consentie par les deux parties ? Ou n’est-ce là qu’un nouvel avatar de la porn revenge, cette cruelle vengeance pornographique qui fait tant de ravages sur les réseaux sociaux ?

Et que dire de cette insatiable soif de partage qui anime chacun d’entre nous, de ce besoin maladif de s’exposer toujours davantage, de se montrer sous toutes les coutures ? Car il ne faut pas se méprendre : cette nouvelle sextape n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, une infime particule dans l’immense océan de la dépravation numérique qui menace désormais notre société tout entière. Face à l’horreur de la situation, je me sens impuissant, mélancolique, accablé par le poids de l’injustice. Car il n’y a rien de plus désolant que de voir notre humanité ainsi sacrifiée sur l’autel de la virtualité.

Acte aux conséquences désastreuses

La « porn revenge » est une pratique remontant aux années 2000, avec la popularisation des téléphones portables équipés de caméras et des réseaux sociaux, qui consiste à publier des photos ou des vidéos sexuelles intimes de quelqu’un sans son consentement, généralement dans le but de se venger ou de nuire à cette personne. Cette pratique est considérée comme une forme de violence sexuelle et de harcèlement en ligne, et peut causer des dommages émotionnels et professionnels durables aux victimes.

Les victimes de la porn revenge sont souvent des femmes, bien que des hommes puissent également être touchés. Les motivations des auteurs de ces actes peuvent être diverses, allant de la jalousie ou de la vengeance à la simple envie de s’amuser aux dépens des autres.

Les conséquences de la porn revenge peuvent être extrêmement graves pour les victimes. Elles peuvent être victimes de harcèlement en ligne, de diffamation, de perte de travail ou de harcèlement professionnel, ainsi que de stress émotionnel et de traumatisme.

Ah, il est vrai que sous d’autres cieux, cette pratique serait sévèrement punie, et les élus voteraient des lois avec une célérité inouïe pour mettre fin à ces dérives numériques. Mais rassurez-vous, nos chers politiciens travaillent d’arrache-pied pour trouver une solution à cette abominable porn revenge, pendant que nous, simples mortels, nous contentons de diffuser ces vidéos obscènes comme des petits pains chauds sur WhatsApp.

Réfléchir avant de partager

Soyons donc raisonnables, mes ami(e)s, et pensons un peu à la pauvre maman de cette fille, à ses frères, à son père ! Songez à la douleur et à l’humiliation qu’ils ressentent en voyant leur enfant réduite à un simple objet sexuel sur les écrans de téléphone. Personne ne voudrait tomber sur les images de sa fille, de sa cousine, de sa nièce… Alors réfléchissez deux fois avant de diffuser ces horreurs, car aujourd’hui c’est une inconnue, mais demain cela pourrait être un être qui vous est cher. Mais bon, cela va sans dire, nos élus vont certainement trouver une solution dans les mois à venir… ou peut-être dans les années à venir… ou…

Je me souviens d’un temps où les filles étaient solidaires comme les maillons d’une chaîne. A l’école secondaire, si une fille avait le malheur de tacher ses vêtements à cause de ses menstruations imprévues, toutes les autres filles se mobilisaient comme une troupe de guerrières, elles se couvraient et dissimulaient les taches d’une camarade. C’était comme une opération de sauvetage, une mission de la plus haute importance menée à l’insu des garçons. Au Burundi, comme dans d’autres pays d’Afrique, les femmes gardent toujours un petit pagne propre dans leur sac, prêtes à le prêter à une sœur dans le besoin. Mais où est donc passée cette belle coutume de la pudeur ? Femmes, couvrez-vous, et préservez l’intimité de l’autre. Ne partagez pas ces vidéos vulgaires et blessantes. Quant aux vrais hommes, ils savent partager autre chose que des ragots et des images pornographiques. Ils partagent des idées, des projets, des passions, des moments de rire, une bonne bière. Soyons solidaires et respectueux, et gardons à l’esprit les belles valeurs qui ont façonné notre culture.

La vie continue après la chute

Quant à toi chère Alexa, ne laisse pas cette situation te définir et ou te briser, tu n’es pas dépourvue de dignité ni de valeur. Tu es une personne aimée et appréciée pour qui tu es. Souviens-toi de l’histoire de la femme attrapée en adultère dans la Bible, lorsque Jésus a dit à ses accusateurs « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette le premier la pierre ». Ainsi, ne te laisse pas juger par les autres. Lève-toi, et reprends ta vie en main. Si la vidéo a été publiée sans ton consentement, n’hésite pas à porter plainte, car tu es une victime. Tes amis et ta famille sont là pour te soutenir et te consoler, et demain sera un autre jour. Mais n’oublie pas, les images ou vidéos envoyées peuvent être visionnées par de tierces personnes par mégarde ou bien en cas de perte de son smartphone. Personne n’est donc pas à l’abri d’une mauvaise surprise. Gardons des choses saines dans nos téléphones.

Pour ceux qui se trouvent dans la position de Jules, rappelez-vous que l’intimité doit être appréciée pour ce qu’elle est, un moment de connexion émotionnelle et physique, pas un spectacle à montrer aux autres.

Enfin, pour tous ceux qui partagent ces vidéos, souvenez-vous que vous ne voulez pas être la prochaine victime de cette pratique. Pour la sagesse burundaise, Inkoni ikubise mukeba uyirenza urugo « Tu rejettes par-dessus l’enclos la trique qui a frappé la coépouse ». Vivez votre vie pleinement et laissez les autres vivre la leur. 

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