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Accès des femmes à la terre : vers l’équité dans la succession ?

Défilé des femmes en province de Bubanza le 8 mars 2025, à l’occasion de la célébration de la Journée internationale des droits de la femme.

Le Burundi est à un tournant historique en matière d’égalité des sexes dans l’héritage foncier. Et pour cause, Evariste Ndayishimiye, le Président de la République a proposé la codification de loi visant à accorder aux femmes et aux filles le droit d’hériter lors de la Journée internationale des femmes, marquant un pas significatif vers une société plus juste. Si les défenseurs des droits des femmes et les juristes accueillent cette annonce avec enthousiasme, d’autres expriment des réserves en s’appuyant sur la tradition… 

Dans son discours en province Bubanza le 8 mars dernier, Evariste Ndayishimiye a insisté sur l’importance d’équilibrer modernité et valeurs culturelles : « S’adapter aux nouvelles réalités ne signifie pas abandonner notre culture ou nos traditions. Dans nos coutumes, le garçon est considéré comme le pilier de la maison, mais nous devons réorganiser nos pratiques pour mieux répondre aux évolutions sociales. » 

Tout en respectant les valeurs culturelles, le Président burundais plaide pour formaliser les coutumes dans des lois afin d’assurer une cohérence et d’éviter les abus : « Nous traversons une période où il est nécessaire de s’organiser pour s’adapter aux nouvelles réalités sans abandonner nos traditions. Ces coutumes non écrites devraient être formalisées et inscrites dans les lois afin de préserver leur cohérence. Dans le passé, le pays était organisé selon des valeurs et coutumes clairement établies. Aujourd’hui, nous devons documenter ces traditions pour éviter des abus ou des malentendus. »

Et de fustiger l’absence de formalisation qui permet à certains d’exploiter ou d’opprimer les autres, d’où son appel aux juristes : « Je demande aux professionnels du droit, en particulier au ministère de la Justice, de contribuer à cette initiative. Codifier certains aspects de notre culture permettra d’assurer une compréhension partagée et une mise en œuvre équitable ».

Entre espoirs et préoccupations

Cette annonce du Président suscite de l’enthousiasme chez la plupart de femmes burundaises. Julienne Harerimana native de Rumonge indique avoir accueilli cette nouvelle avec joie : « Le droit à l’héritage pour les femmes et les filles me réjouit. Cette initiative va nous aider à ne pas être marginalisées et  favorisera l’équité au sein des familles. » 

Joselyne Kezakimana, originaire de la province Kirundo, une province qui fait parler d’elle quant aux injustices familiales, témoigne : « Je suis fille unique, mais ma famille m’a refusé les terres de mon père sous prétexte qu’une fille ne peut pas hériter. Si cette loi est adoptée, elle nous serait d’une grande aide. » 

Cependant, certaines d’entre elles craignent que ces changements n’affectent les dynamiques familiales. C’est le cas d’Anitha Nkunzimana de la province Mwaro, en commune Rusaka : « Quand les femmes héritent, cela peut parfois créer des tensions avec leurs frères.  Hériter devrait donc dépendre  de la volonté des hommes pour préserver l’harmonie familiale. » 

Un espoir renouvelé…

L’Association des femmes juristes du Burundi salué, quant à elle, cette initiative, la considérant comme un aboutissement de longues années de plaidoyer et de lutte. Diane Kanyange, représentante de ladite association fait savoir que même s’il n’existe pas encore de loi sur la succession, la Constitution garantit déjà l’égalité entre hommes et femmes. Mais, « une loi codifiée apporterait une uniformité législative indispensable », clarifie-t-elle.

Elle déplore toutefois une décision de la Cour suprême en 2024 restreignant l’utilisation de la jurisprudence, mais espère que l’annonce présidentielle relancera le processus législatif : « Maintenant que le Président l’a déclaré, nous espérons que le pouvoir législatif s’engagera et codifiera enfin cette réforme. » 

Un levier d’émancipation

Pour Le sociologue Dr Vénérant Nsengiyumva, de l’Université du Burundi, cette réforme, une fois mise en place, comporte des avantages économiques au-delà de l’égalité entre les sexes : « L’accès des femmes à l’héritage foncier représente une clé d’émancipation économique. Une terre peut être cultivée, louée ou servir de garantie pour des prêts bancaires. Cela bénéficierait à la fois aux familles et à l’économie nationale. » 

Et de recommander une formalisation claire de ces droits pour éviter les ambiguïtés et les abus.

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