Jimbere

Kirundi French
Economie

Le yuan peut-il remplacer le dollar au Burundi ?

La Banque de la République du Burundi a annoncé ce 31 juillet 2025, la facilitation des paiements en yuan pour les importations effectuées de la Chine. Malgré l’érosion de la crédibilité du dollar américain, un expert trouve la mesure moins prometteuse. Analyse…   

Le communiqué de la BRB informe le grand public de la mise en œuvre de la stratégie de gestion des réserves visant à faciliter les opérateurs économiques. Ainsi, le paiement des importations faites de la Chine sera désormais en yuan chinois (CNY) en premier temps et en d’autres monnaies dans l’avenir.

Selon les observateurs, la Chine étant un fournisseur incontournable des produits manufacturés pour le Burundi, la mesure de faciliter les approvisionnements vienne à point nommé.

En effet, en 2023, le Burundi a importé des marchandises valant 190 millions de $. Parmi les produits fournis au Burundi par la Chine figurent principalement les gros laminés plats en acier inoxydable (23,9 millions de dollars), les couvre-lits (8,51 millions de dollars), les pneus en caoutchouc (5,96 millions de dollars), les camions de livraison (5,05 millions de dollars) et les médicaments emballés (4,36 millions de dollars).

 Une solution innovante ?

Cette nouvelle intervient dans un contexte burundais de pénurie des devises si cruciales pour l’importation et ou le président de la république lui-même avait indiqué que le marché noir finance les importations du Burundi à 80%. C’était lors de son discours à la nation pour l’an 2025.

Ce phénomène de non-accès aux dollars est fustigé par les opérateurs économiques à l’instar de Denis Nshimirimana, secrétaire général de la CFCIB :  « Au moment où la BRB n’accorde pas de dollars, les importateurs s’en approvisionnent sur le marché noir sur un taux exorbitant de plus de 7300BIF », s’était-il plaint le 11 juillet, lors de l’atelier sur la formalisation des PME.

Diomède Ninteretse : « En privilégiant le yuan, le Burundi risque de renforcer une dépendance unilatérale à un seul pays fournisseur »

Quant au Dr Diomède Ninteretse, spécialiste dans les sciences de gestion et le management des organisations, il s’agit d’une mesure qui vient juste dans un contexte de crise de devises.   « Aujourd’hui, la BRB estime bien qu’en utilisant le yuan, cela pourra soulager la problématique des devises au Burundi. C’est-à-dire que l’objectif visé, est juste de réduire la pression sur la demande des réserves en dollars et surtout de faciliter les importations depuis la Chine comme le premier partenaire commercial du Burundi. »

Selon ce professeur d’université, l’idée derrière cette mesure est de stabiliser le marché de devises en réorientant une partie de la demande vers une économie plus accessible, notamment la Chine.

Par ailleurs, l’expert pense : « C’est quand même une mesure pour peut-être accompagner la tendance mondiale de la dédollarisation, et non pas une mesure qui va apporter une grande valeur ajoutée puisqu’elle ne va pas augmenter la production. »

Rien n’est gratuit…

Et d’expliquer : « La Chine ne va pas donner l’argent gratuitement. Cela signifie que le Burundi est obligé d’avoir assez de quoi vendre en Chine en échange des produits chinois » Sinon poursuit-il, le Burundi se sera obligé de convertir l’argent local BIF en yuan, pour ensuite convertir les yuan en dollars, ce qui sera trop compliqué pour rien.

En outre, le Dr Diomède Ninteretse ne voit pas un avantage comparatif à long terme : « Peut-être à court terme, ça peut réduire certaines disparités, mais ça veut dire que ce n’est pas nécessairement suffisant. » Il recommande que cette mesure soit accompagnée par d’autres.  D’abord, il faut reconnaitre la cause du manque de devises, c’est déjà le problème de production : « Maintenant, ce n’est pas en résolvant les conséquences qu’on pourra trouver une solution. »

Le piège de la dépendance

Pour l’expert, la première conséquence négative, qui est même la limite de cette mesure, c’est la dépendance vis-à-vis de la Chine : « En privilégiant le yuan, le Burundi risque de renforcer une dépendance unilatérale à un seul pays fournisseur, ce qui peut fragiliser la souveraineté économique à long terme ».

Et de rappeler la récente mesure d’augmentation des droits de douane à 15 % que la Chine a dû accepter face aux États-Unis d’Amérique. Selon lui, tout cela montre que le dollar est une monnaie forte et qu’il faut absolument la garder, surtout que c’est une monnaie reconnue internationalement pour mesurer l’économie d’un pays.

Une monnaie semi-convertible

Un autre obstacle à cette mesure évoquée par l’expert est la difficulté que peuvent rencontrer les commerçants suite à la faible convertibilité du yuan. Et pour cause, explique-t-il, il faut souvent convertir cette monnaie en dollars ou effectuer certaines transactions en dehors du cadre sino-burundais.

En conséquence, les commerçants qui ne sont pas encore familiers à son usage peuvent rencontrer des problèmes. M. Ninteretse clarifie : « Les correspondants bancaires ou les taux de conversion ne sont pas encore connus et cela peut entraîner des erreurs ou des retards des paiements, surtout qu’avec l’utilisation de SWIFT, Il est difficile de travailler avec le yuan. »

Donc il y avait vraiment une transaction internationale facile, mais avec le yuan, ça va être plus compliqué parce qu’il faut avoir ce mécanisme qui est très nouveau. 

Un autre point souligné par l’expert, c’est l’exclusion potentielle de certains commerçants. Il justifie : « Le mécanisme de distribution du yuan via la BRB pourra peut-être favoriser les commerçants enregistrés et reconnus officiellement. Et non les acteurs informels du commerce. » Et d’ajouter : « Jusqu’à présent, la BRB n’a pas encore stabilisé les devises sur le marché noir et le marché officiel. Cette mesure peut quand même résoudre certains problèmes, mais pas définitivement. »

 Par ailleurs, le Dr Diomède Ninteretse attire l’attention sur l’opacité possible dans la gestion du yuan : « Si la répartition du yuan n’est pas équitable, et que la transparence n’est pas de mise, il y a un risque de favoritisme, et surtout que c’est une monnaie qui sera introduite, qui n’est pas très connue des Burundais. »

Recommandations

Pour réussir cette innovation dans l’intérêt de l’économie burundaise, M. Ninteretse recommande à l’autorité compétente qu’est la BRB d’envisager une campagne de communication et de formation à l’usage de cette nouvelle monnaie.

Et pour assurer la transparence de ce mécanisme, il préconise la mise en place d’une plateforme numérique très sécurisée pour éviter les spéculations : « Il faut absolument qu’il y ait beaucoup de services d’accompagnement pour maintenir l’équilibre multiservices et multidevises dans ce sens. »

Click to comment

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

To Top