110 milliards BIF, c’est le montant des recettes qui a passé à travers les mailles du filet des caisses de l’Office Burundais des Recettes (OBR) sur les 4 derniers mois. Un manque à gagner qui donne du tournis, d’autant plus que les activités commerciales et l’économie burundaise sont mal-en-point…
Les langues se délientaprès l’annonce de l’ex grand argentier, Audace Niyonzima, d’un déficit colossal de 110 milliards BIF sur le montant des recettes qui devraient pourtant être collectées entre juillet et octobre 2024. C’était lors d’une réunion entre le Ministre en charge des Finances et les cadres de l’OBR, tenue le 29 novembre 2024.
Depuis, l’affaire fait tomber des têtes et le torchon brûle tant à l’OBR qu’au maroquin des Finances. Ainsi, 4 hauts cadres de l’OBR, y compris le Commissaire Général en la personne de Jean Claude Manirakiza, ont été démis de leurs fonctions, le 6 décembre dernier. Trois jours après, c’était au tour du Ministre Audace Niyonzima d’être destitué par décret présidentiel.
Avant son limogeage, Audace Niyonzima avait mis en garde le personnel de l’OBR, contre les fraudes au niveau des douanes et des taxes internes, en les exhortant « à couper court avec ces mauvaises habitudes, et à faire le suivi du fonctionnement du système des factures standardisées qui permettent de collecter la taxe sur la valeur ajoutée, car, selon lui, il s’est avéré que les commerçants ne donnent plus ces factures à l’OBR. »
Pourtant, les agents de l’OBR expliquaient au Ministre d’alors que cette lourde perte est due « à la pénurie des produits pétroliers, au manque de devises et aux effets du changement climatique qui ont impacté négativement la production, et par conséquent les recettes fiscales. »
Un coup dur pour le trésor public
Plusieurs observateurs n’en reviennent pas après cette révélation. Alors que le pays est plongé dans une crise économique marquée par la pénurie des produits de première nécessité et l’inflation galopante, on apprend de la part de l’ex Commissaire Général de l’OBR, lors de journée du contribuable le 3 décembre dernier, que « sur 101 camions de biens entrant au Burundi contrôlés les quatre derniers mois, seuls 23 avaient correctement déclarés leurs importations aux douanes, occasionnant ainsi une perte de près de 2,5 milliards BIF. »
Pourtant, selon les prévisions de l’exercice en cours du budget de l’Etat, il y a un déficit projeté de plus de 20%. Pour l’économiste Diomède Ninteretse, le déficit de 110 milliards BIF, durant le dernier trimestre, est une énorme perte. « Autrement dit, si on devait projeter sur une année, c’est-à-dire qu’on aura un déficit de plus de 440 milliards, soit plus de 10% du budget de 2023/2024 », prévient-t-il.
Les conséquences sont aussi énormes, d’après toujours Mr Ninteretse. Certes, l’approvisionnement de certains services ou produits qui devraient être achetés par le service public pourrait être perturbé, en plus d’un probable retard des salaires des fonctionnaires. De surcroît, déplore-t-il, le paiement des factures pour la construction de certaines infrastructures risque d’être affecté par ce manque à gagner.
Par-dessus le marché, le déficit en question aura un impact social, selon toujours cet économiste car beaucoup de ministères n’ont pas un budget annuel de 110 milliards BIF : « On comprend bien que ça va affecter absolument les services sociaux de base d’une manière générale, notamment dans les secteurs de l’éducation, la santé… »
En effet, le Ministère en charge des Finances avait instruit à tous les portefeuilles ministériels, le 29 novembre dernier, « la suspension de tout nouvel engagement de dépenses non prioritaires, dans l’attente de la promulgation de la révision budgétaire pour l’exercice en cours. »
Pour Faustin Ndikumana, président de l’ONG Parcem, la gestion d’une telle situation ne convainc pas : « C’est regrettable que les dépenses d’investissement soient toujours revues drastiquement à la baisse, au détriment de celles de fonctionnement. L’avenir économique du pays est ainsi hypothéqué. »
A voir l’état des taxes actuelles extrêmement élevées, martèle M. Ndikumana, cela donne l’idée du principe économique qui dit que « les hauts taux tirent le taux ». « Si on a tendance à augmenter les taux de taxation, moins on va récolter les recettes. On taxe, on taxe les gens, et ils abandonnent les activités économiques. Parce que par conséquent, la base imposable et l’assiette fiscale diminuent progressivement. Et en fin de compte, la somme collectée diminue au fur et à mesure que l’on augmente les taux d’intérêt de façon excessive. »
Faustin Ndikumana attire aussi l’attention sur le manque de devises qui limite le dynamisme des activités économiques, surtout l’importation. « Plusieurs taxes proviennent de l’importation à travers la perception des taxes sur la valeur ajoutée, les droits de douane dans une moindre mesure ou pas. Actuellement, les activités d’importation affichent une morosité conséquente suite à ce contexte de pénurie de devises. »
Risque de surendettement élevé
Quand il y a un déficit au niveau de collecte de recettes, poursuit cet activiste de la société civile, l’État a tendance à s’endetter. Pour rappel, l’endettement intérieur et extérieur était à plus de 6.000 milliards BIF : « Malheureusement, maintes fois, le gouvernement a u recours à la planche à billets avec des effets inflationnistes. Déjà, l’inflation est élevée. Et si on ajoute le facteur de planche à billets pour alimenter l’inflation, ce sera vraiment un drame qui s’ajoute à un autre drame. »
L’économiste Diomède Ninteretse évoque, quant à lui, un probable effet d’éviction, c’est-à-dire que l’État cherche à sécher les capitaux bancaires destinés à financer le secteur privé. Dans ce cas, avertit Mr Diomède, le citoyen ou la population ne va pas avoir accès au crédit, parce que finalement, les banques vont devoir prêter à l’État. « Autant les investisseurs privés que les ménages vont payer un lourd tribut car leurs ressources seront de plus en plus limitées. Le taux de pauvreté peut augmenter davantage, et le climat des affaires s’obscurcira fortement. »
Des mesures urgentes à prendre
Mr Ninteretse plaide pour le renforcement des capacités sur les recettes fiscales : « Cela passera absolument par une lutte contre la corruption et l’amélioration de l’administration fiscale, sans oublier une gestion rationnelle des exonérations. »
Sur ce point, Faustin Ndikumana regrette l’absence de l’audit des services de l’OBR : « C’est la seule entité administrative qui n’est pas auditée. L’inspection générale de l’État n’a jamais fait un contrôle du fonctionnement de l’OBR. Peut-être que c’est la cause principale des dépassements des exonérations qui s’observent toujours par rapport aux prévisions. »
En outre, intervient Diomède Ninteretse, le gouvernement doit négocier avec certains partenaires, notamment les bailleurs, pour qu’effectivement ce déficit soit provisionné. « Parce qu’un déficit qui n’est pas provisionné va causer beaucoup de problèmes, notamment la décroissance économique, notamment l’inflation », glisse-t-il.
L’autre recommandation de Mr Ninteretse est la diversification de l’économie et l’investissement dans le secteur productif : « Il ne faut pas compter sur les impôts et taxes. L’État doit prendre des mesures pour qu’effectivement il y ait les exportations. »
Bien plus, souligne cet économiste, si un déficit n’est pas contrôlé, il peut entraîner un cercle vicieux de pauvreté pour un pays. « Je crois qu’il faut être honnête et chercher à trouver des indicateurs macroéconomiques réalistes et pouvoir nous ajuster, et c’est possible. » Pour cela, il suffit de renforcer la capacité de l’administration fiscale, mais aussi d’améliorer les conditions de travail.
Et cela passe par la lutte contre la corruption en mettant des mécanismes clairs de suivi et d’évaluation. « À chaque fois, au lieu d’attendre un trimestre, il faut identifier le problème avant que la situation s’aggrave », conclut-t-il.