Depuis plus d’un mois, la pénurie du carburant qui s’observe au Burundi n’épargne aucun secteur. Focus sur l’enseignement et la flambée des prix des denrées alimentaires…
Nord de Bujumbura, au parking situé près du marché de Kinama, les gens sont regroupés en masse de part et d’autre de la route goudronnée. Tous attendent un bus pour se rendre au centre-ville. Parmi eux, des fonctionnaires en uniformes disent ne pas comprendre ce qui se passe. « Pas plus tard qu’hier, nous avons appris que les bus ont été approvisionnés en carburant de type Mazout mais aucun bus n’est en vue depuis une heure. »
Parmi ce monde se compte beaucoup d’élèves. Certains en noir et blanc, d’autres en bleu blanc. Tous disent fréquenter des écoles situées en plein centre-ville. Sous anonymat l’un d’eux confie : « Il est difficile de se pointer à l’école à 7h30. » Faute de moyens de transport, indique-t-il, certains se rendent à l’école à pied mais ils arrivent fatigués et ont du mal à être attentifs en classe. »

Propos corroborés par un enseignant de l’école Stella Matutina pour qui, depuis le début de l’année scolaire, les élèves venant des quartiers éloignés n’arrivent plus à l’heure : « Pour les élèves et même les enseignants, le respect des horaires est impossible en raison de la pénurie de carburant, ce qui entraîne une baisse de l’apprentissage car les élèves arrivent fatigués. »
La situation est la même au Lycée Notre Dame de Rohero où les performances du premier trimestre ont été médiocres. Le nombre d’élèves a diminué car certains ont abandonné l’école faute de moyens de transport, nous confie un des enseignants : « Certains élèves venant de zones éloignées comme Ruziba et Carama arrivent épuisés après avoir marché de longues distances.. »
Des retards pénalisés…
Conséquence : beaucoup d’élèves s’endorment en classe et certains finissent par abandonner l’école. Cela a sérieusement affecté les résultats scolaires surtout pour les élèves de 7ème et 8ème années qui sont très jeunes.
Malgré cette réalité, les écoles situées dans le centre-ville de Bujumbura exigent la prise du bus et les élèves en retard sont punis. Au Lycée Notre Dame de Rohero, le salut du drapeau commence à 7h10 .U.W indique qu’ils tentent de suivre les règlements, mais le manque de bus occasionne des retards car la plupart d’élèves viennent à pieds. Pour assurer le respect du règlement de l’école, les enseignants essaient de trouver un équilibre en imposant de petites sanctions comme le nettoyage, au lieu de retirer des points aux élèves en éducation afin de les encourager à arriver à l’heure malgré les difficultés de transport.
Cette situation est dénoncée par des parents. «Nos enfants vont désormais à l’école à pied ». Même lorsqu’il y avait du carburant, poursuit-t-il, les frais de transport scolaire pour un enfant étaient de 22.000 BIF par mois, mais maintenant ils dépassent 45.000 BIF selon l’école fréquentée.
De plus, laisse-t-il entendre, les heures de retour des élèves ont changé : « Auparavant, les enfants partaient à 6h du matin et revenaient à 13h, mais sans les bus, ils arrivent à la maison autour de 15h. Imaginez des enfants de quatre ans prenant seulement un thé le matin, et n’ayant pas de repas avant 15h. » Et de supplier les autorités à résoudre le problème du carburant car il semble hors de contrôle.
De mal en pis
D’aucuns constatent l’aggravation de cette pénurie. Au moment où nous publions ces lignes, certaines stations ont été servies les 23 et 24 derniers en carbunat de type essence. La dernière livraison d’essence remontait au 6 janvier 2025 et ne concernait que six stations-services à Bujumbura.
A côté de ce secteur de l’éducation touché de plein fouet par la pénurie de carburant, d’autres sont également affectés, entrainant une baisse de la productivité, les services essentiels et les lieux de travail se trouvant principalement dans le centre-ville de Bujumbura, ce qui nécessite de se déplacer avec un bus.

Emmanuel Mashandari, président du syndicat Conapes, affirme que cette pénurie de carburant a des conséquences négatives sur tous les secteurs du pays : « Les travailleurs ont du mal à se rendre à leur travail et passent leur journée à penser à la manière dont ils rentreront chez eux, ce qui nuit à leur efficacité. »
Cela aggrave les difficultés déjà existantes. « Nous nous plaignons déjà de la baisse du niveau d’apprentissage, et maintenant, les problèmes de transport aggravent encore la situation. C’est une perte pour l’avenir du pays, car les enfants qui étudient aujourd’hui seront les dirigeants de demain. Si les élèves ne peuvent pas étudier correctement et si les enseignants n’arrivent pas à l’heure, cela compromet leur capacité à remplir efficacement leurs responsabilités. »
Les prix de transport atteignent des sommets
M. Mashandari a ajouté que la pénurie a également un impact sur les familles, car les frais de transport ont considérablement augmenté, passant de 2 000 FBU à 10 000 FBU par jour, ce qui réduit le budget des ménages pour d’autres besoins essentiels.
Il appelle le gouvernement à prendre toutes les mesures possibles, en collaborant avec ses partenaires, pour résoudre ce problème de pénurie de carburant.
Des tarifs exorbitants
Les propos de Mashandari sont confirmés sur terrain. A l’arrêt de bus Cotebu le 21 janvier 2025, les frais de transport pour Gitega était passé de 9 500 FBU à 35 000 /50 000 FBU. Les trajets jusqu’à Ngozi suivaient la même tendance. Pour les communes de Bukeye et Muramvya, les tarifs sont passés de 5 500 FBU à 20 000 / 25 000 FBU. Un voyage de Bujumbura à Kayanza coûte désormais entre 30 000 et 40 000 FBU. Ces prix varient en fonction de l’heure et du nombre de passagers.
Que ce soit les chauffeurs opérant dans la ville de Bujumbura ou ceux des provinces intérieures, tous disent que la rareté du carburant, notamment de l’essence, depuis un certain temps les oblige à se tourner vers le marché noir pour trouver du carburant, afin de subvenir aux besoins de leurs familles. Ils expliquent que c’est la raison pour laquelle ils ne respectent pas les tarifs de transport fixés par l’État. Les chauffeurs rencontrés à Cotebu affirment être contraints d’acheter du carburant de contrebande en provenance de la République démocratique du Congo ou de Tanzanie au prix de 30 000 – 40 000 Fbu pour une bouteille de 1,5 litre. Un bidon de 20 litres coûte autour de 500 000 Fbu. Sachant que le prix officiel d’un litre d’essence est de 4000 Fbu et le 3925 Fbu pour le mazout.
Des prix alimentaires qui s’envolent
Ce n’est pas que ces denrées manquent, mais le coût de leur transport depuis les provinces intérieures est exorbitant. Certains commerçants de Bujumbura qui s’approvisionnent en produits alimentaires dans les provinces expliquent que le transport de ces denrées est plus coûteux que leur achat.
J.F., un commerçant vendeur des vivres témoigne : « Actuellement, transporter une voiture de type Probox remplie de denrées alimentaires de Gatara à Bujumbura coûte 200 000 FBU, alors que cela ne dépassait pas 80 000 FBU auparavant. Une voiture venant de Gatabo dans la province de Muramvya coûte entre 120 000 et 150 000 FBU. »
Un autre exemple donné par ce commerçant est le coût de transport d’un camion de 6 à 10 tonnes de la province de Kirundo jusqu’au nord de Bujumbura, qui varie désormais entre 2 et 3,5 millions de FBU. Ce montant n’inclut pas les frais de chargement, de déchargement, les taxes et autres frais. Tout cela contribue à la hausse des prix à Bujumbura, mais dans les provinces, les prix restent bas car les producteurs préfèrent vendre à bas prix plutôt que de laisser leurs récoltes se détériorer.
Le secteur de la santé pas en reste ?
Même le secteur de la santé est touché. Bien que certains disent qu’il n’y a pas de problème pour transporter les patients car les ambulances trouvent du carburant, d’autres affirment que cela devient difficile lorsque qu’ils ont un patient à transporter. Ils doivent alors utiliser des véhicules privés pour sauver la vie de leurs proches.
A Rumonge, le transport des patients des centres de santé aux hôpitaux principaux est devenu difficile, contraignant les patients à utiliser des véhicules privés. Les hôpitaux reçoivent chaque mois 80 litres de carburant pour les ambulances, une quantité insuffisante pour couvrir les besoins. Alexis Nkurunziza, le médecin chef du district sanitaire de Rumonge demande une augmentation de cette allocation.

Des mesures pour stabiliser les tarifs de transports publics?
En ce qui concerne le chaos dans le secteur des transports, où les prix de bus, taxis-motos ont triplé. Fabrice Mbazabugabo, responsable des transports à en mairie de Bujumbura, explique qu’il est difficile de fixer les prix des taxis et motos car on ne sait jamais comment ils obtiennent leur carburant. Selon lui, la situation se stabilisera lorsque le carburant sera de nouveau disponible.
