Alors que les procédures d’attribution du marché de la rénovation de la place abritant l’ancien marché central semblent avoir pris un coup d’accélérateur ces derniers jours, Billy Hobimana(*) propose une réflexion qui interpelle sur l’accessibilité de la future infrastructure…
Eh voilà, nous y sommes. Quelques jours après la signature du partenariat, un exemplaire d’une maquette de ce que deviendra l’ancien marché vient d’être dévoilée. Burundi City Plaza, The Pride.
Pour nous qui suivons quotidiennement les projets de Fablice Manirakiza, rien d’étonnant. Dans le domaine de la construction, ce jeune entrepreneur a un grand sens du résultat.
Le réaménagement de l’ancienne place du marché est un projet dont les enjeux sont immenses pour Bujumbura et pour ses habitants. M. Manirakiza l’a d’ailleurs toujours rappelé, le véritable enjeu n’est pas celui du financement de la construction.
Il se résume plutôt en une question : Pour qui allons-nous construire ?
Historiquement, le marché central a toujours été un carrefour pour tous les budgets. Construit en 1994 sur près de 3ha pour 1,5 milliard BIF de l’époque, cette infrastructure qui participait à hauteur de 20% du PIB du Burundi comptait plus de 3.000 stands quand il a pris feu. Que ce soit les vendeurs ou les clients, chacun pouvait y trouver un article/produit adapté à son budget. Du VIP à vayura, chacun y avait sa place.
Est-ce que le projet envisagé restera dans cet esprit ? Est-ce que mon oncle de retour de Bujumbura, où il devait faire signer un document au ministère, pourra y passer acheter du pain à ramener à mon neuveu à Kiganda ?
C’est là le véritable enjeu/défi auquel nous devrons répondre en réaménageant la place de l’ancien marché central.
Nous ne devons pas perdre de vue que pour un projet d’une telle ampleur le poids des investissements que nous engagerons à travers « One Africa Investement », et des retours sur investissements attendus aura un impact direct et à court terme qui se répercutera sur le coût d’utilisation quotidien de l’infrastructure.
Et donc les véritables questions sur lesquels il faudra s’attarder devront être « Qui et combien » vont louer les places pour rentabiliser l’investissement ? « Qui et combien» auront le pouvoir d’achat pour y faire leurs courses ? Moyennant quel prix ?
Un bon projet répond à un besoin. Un besoin local. Besoin local empreint d’une réalité socio-économique locale, burundaise et bujumburienne.
Apprendre des erreurs des autres
Nous avons la chance d’être un pays en voie de développement, et d’avoir ainsi un visuel sur des projets de construction et d’aménagement réalisés dans d’autres villes et pays.
De Johannesburg à Kinshasa, en passant par Kigali en allant à Lagos (pour ne citer que ceux-là), plusieurs projets ont eu un effet inattendu de paupérisation et d’exil interne d’une partie de la population.
Prenons La Cité du Fleuve à Kinshasa : imaginé pour être un miroir, le quartier résidentiel s’est avéré être un amplificateur de la misère qui a simplement fuit ce progrès et s’est déplacé vers l’autre rive du fleuve Congo.
Kigali : l’aménagement tendant vers l’internationalisation de la ville y a rendu la vie si chère, qu’une partie significative de la population a dû se déplacer vers les villes alentours et ne peut plus aujourd’hui se permettre de profiter pleinement de leur capitale.
Ne parlons pas des contrastes de Johannesburg où le China Mall côtoie des taudis en tôles de la Longdale Walk. Ceux au porte-monnaie inconséquent n’ont pas pu s’adapter à la métamorphose de leur quartier. Ils se sont retrouvés au milieu d’un progrès dont ils ne seront pas les bénéficiaires.
Nous devons en tirer des leçons et ne pas commettre les mêmes erreurs.
Ce billet évoque le cas du marché central, mais ceci reste valable dans toutes les politiques d’aménagement et de planification futures sur Bujumbura (surtout en matière de logements et d’aménagements économiques).
Des projets locaux emprunts d’une réalité économique locale
Si nous voulons construire à Bujumbura, construisons pour tous les habitants de Bujumbura dont la majorité ont une situation financière que nous connaissons et qui est ce qu’elle est pour l’instant.
Dans la vision Burundi 2040-2060 dans laquelle nous sommes tous engagées, nous ne devons laisser personne derrière.
En matière de construction, ne nous contentons pas des standards ! De ce qui se fait ailleurs ! Soyons audacieux certes, mais réaliste, innovant, entreprenant. Construisons un marché adapté aux réalités locales.
Construisons par exemple une structure hybride qui tout en répondant aux standards régionaux et internationaux, permettrait également de répondre aux besoins locaux. Construisons pour tous les portes monnaies des habitants de la capitale.
Par exemple, la maquette présentée par « Ubaka Nation Group » est très intéressante en ceci que le projet semble être réalisé avec deux ou trois constructions plus ou moins autonomes, et une tour pour couronner le tout. Ne serait-il pas envisageable qu’une des trois constructions soit faite en marché ouvert, à l’image de l’ancien marché central ? Ce qui permettrait d’avoir des aménagements identiques à ceux de jadis, et de surquoi moins cher pour accueillir les vendeurs au petit budget ?
Un carrefour plus que vital pour toutes les économies
Si jusqu’aujourd’hui nos mamans vendeuses de légumes, nos frères cordonniers de l’avenue du marché, ainsi que les divers commerçants persistent et reviennent avec leurs marchandises s’installer autour de l’ancien marché, ce n’est pas par amour du soleil de 14h, ou pour défier l’administration. Mais c’est qu’ils ont compris que cet emplacement stratégique, n’est pas le fruit d’une anodine politique d’aménagement.
La place de l’ancien marché constitue la plaque tournante de notre capitale économique. Des quatre points cardinaux de la capitale, tous les axes convergent dans une certaine mesure vers les lieux.
Nous nous devons donc d’exploiter cette place de telle manière que tous à Bujumbura, toute puissance de porte-monnaie confondue, puissent avoir une raison de s’y rendre, d’y entrer, d’y faire son business, et aux autres d’y faire leurs achats.
Nous pouvons donner à tous les Burundais une place dans le Burundi 2040-2060.
Et cela est encore possible à ce stade.
Une maquette, un projet peut évoluer, mûrir.
(*) Né en commune Ntahangwa, Billy Hobimana a fait ses études universitaires à la faculté de droit de l’université Lumière de Bujumbura. Il s’est ensuite orienté vers une spécialisation en droit de l’urbanisme et de la construction, axée sur les politiques d’aménagement et de planification urbaine en France, où il travaille actuellement comme instructeur des autorisations du droit des sols. Il a toujours été intéressé par la configuration urbanistique de Bujumbura et plus particulièrement l’emplacement du marché central.