La célébration ce 23 Avril, de la Journée Mondiale du Livre au Burundi a été marquée par les activités organisées par l’ASEB (Association des écrivains du Burundi), et a eu le mérite de montrer comment le rêve d’un Burundi qui s’affirme dans le concert des nations par les arts littéraires est loin de se réaliser. Retour sur la journée.
L’attachement de l’ASEB à organiser les festivités de cette journée se résume dans le thème choisi : « Le livre, un pont entre les générations », voulant revenir sur la capacité de cet outil, qui rame à contre-courant de l’ignorance, et dont la capacité à être une charnière entre les époques se heurte à l’oralité, largement enracinée dans la tradition burundaise.
C’est alors dans cette optique que diverses activités avaient été prévues, comme l’explique Jeanne d’Arc Nduwayo, à la tête de l’équipe organisatrice. Ainsi, les activités ont donc débutées par un panel à l’Université du Burundi, animé par Juvénal Ngorwanubusa, Aloys Toyi tous professeurs d’université, et Jeanne d’Arc Nduwayo, salonnière, couplé à une exposition des livres des auteurs burundais, puis poursuivis par une visite guidée des étudiants à la Librairie Saint Paul.
L’après-midi, encore très chargée, se tiendra un atelier d’écriture, à l’intention de 24 jeunes écrivains, et vers le soir un riche panel, composé par Sylvestre Ntibantunganya, Le Directeur Général de la culture au Ministère de la Culture, le prêtre et romancier Jean Népo Bigirimana et la romancière Bernice Muhoranamana, va être le moment propice pour dénicher les défis autour du livre et des auteurs burundais.
Le livre au Burundiː une histoire fluctuante d’amour-haine
Dans un si riche exposé, l’universitaire Juvénal Ngorwanubusa a retracé l’histoire du livre au Burundi, dont la paternité revient au Cardinal Lavigerie. L’ironie de l’histoire: au départ, ce prélat supérieur des Missionnaires de Notre Dame d’Afrique, communément connus comme les « Pères Blancs » avait interdit à ses missionnaires de mettre le livre au contact des autochtones. Plus tard, en 1878, il va se rétracter et demander à ses hommes de rédiger un dictionnaire en Kirundi.
Comme l’indique l’universitaire, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les Burundais de l’époque coloniale étaient en contact avec le livre, avec notamment la création, en 1947, des bibliothèques de Kitega et Usumbura. Par ailleurs, continue-t-il, en 1952, dans le but de promouvoir une élite locale, des cercles pour évolués sont créés, dont l’accès est garanti par une carte de mérite civique. Et de révéler qu’en 1961, on recensait 14 journaux et périodiques au Burundi.
C’est finalement la Politique Culturelle du Burundi qui pose les jalons d’une politique du livre et de lecture, étant donné qu’il préconise la création des métiers, de libraire et d’éditeur.
Néanmoins constate Ngorwanubusa, cette Politique Culturelle reste muette sur le cadre juridique plus particulièrement, en ce qui concerne le droit d’auteur, l’encouragement des gens d’affaires à investir dans le livre, et dans l’édition en particulier, en leur octroyant des avantages fiscaux.
L’horizon lointain et imprécis de l’industrie du livre au Burundi
« Depuis ses débuts au Burundi, le livre a connu une histoire d’amour-haine au gré des politiques coloniales et postcoloniales, qui n’ont pas toujours encouragé et mis en valeur cette industrie », constate le Professeur Ngorwanubusa,
Le Président Sylvestre Ntibantunganya rentrera lui aussi dans la même logique ː « Cessons de nous mentir, Il n’y a pas de place d’écriture au Burundi. Le Gouvernement doit mettre en place une stratégie nationale du livre, et faire des universités du Burundi, de véritables centres de rayonnement du livre». Cetavis pessimiste est balayé d’un revers de la main par Aimable Nkunzumwami, Directeur Général de la Culture au sein du Ministère en charge de la culture. Celui-ci rappelle que le gouvernement soutient le développement du livre, notamment à travers les actes comme la promulgation du Droit d’auteur en 2005, la mise en place de la Politique Nationale Culturelle en 2007, la Politique Nationale Linguistique en 2014, et la création de l’Académie Rundi dernièrement.
Par rapport au thème de cette édition ː « Le livre, un pont entre les générations », Père Jean Népo Bigirimana, auteur de « Corbillard ou la folie du sexe », insiste sur la nécessité d’avoir une littérature saine et de bonne foi, ː « Je veux bien que le livre soit un pont entre les générations, mais encore, faut-il que ce pont soit assez solide et pas trafiqué ».
Aux reproches des uns que la littérature burundaise est juste une revendication politique, Président Ntibantunganya cite : « J’écris pour rendre témoignage, mais je ne suis pas un historien. Il ne faut pas écrire pour justifier l’injustifiable, nier l’évidence, encore moins condamner l’autre ».
Au sujet de la polémique d’écrire en Kirundi ou en Français ː « Rien n’est moins bon que l’autre. Ça dépend de l’environnement » constate Président Sylvestre Ntibantunganya.
Pour Bernice Muhoranamana, jeune romancière qui s’est fait publier à 18 ans, également première dauphine dans la dernière édition de Miss Burundi ː « La jeunesse a son mot à dire à travers l’écriture. C’est à elle de se lever et écrire pour au moins laisser des traces ».
En fin de compte, l’échange aura touché les jeunes, mais, le majeur souci soulevé par eux demeure celui de savoir où porter les énergies retrouvées, et par quoi commencer. Ils souhaitent du coup, qu’il y ait assez de résidences littéraires pour se familiariser avec l’écriture, qu’il y ait assez de maisons d’éditions, bref que toute la chaine du livre soit restructurée. Aimable Nkunzumwami, Directeur Général de la Culture a tenu à faire savoir que le Gouvernement ne ménagera aucun effort pour appuyer la jeunesse écrivaine, tout en rappelant que le combat est de tous, d’où la conjugaison des efforts de tout un chacun est obligatoire. Une façon de dire aux jeunesː « commencer par ce que tu as, où que tu sois. »
