Se mouvant sur ses béquilles, il étonne les gens qui le voient s’imposer en faiseur d’ordre dans les lignes de bus. Retour sur son parcours inédit.
Province Ngozi, commune Busiga sur la colline Mparamirundi. Assis sur sa natte dans la cour à l’ombre d’un arbre, Mpawenimana Celeus reçoit une visite spéciale, celle d’un ami handicapé comme lui qui lui vend mille et une providences dont regorge la capitale. « Mon cher ami, tu n’as aucune raison de rester dans ces collines. À Bujumbura, il y a plusieurs personnes qui offrent des grosses sommes aux handicapés qui font la manche, tu devrais tenter ta chance », conseille l’ami. Séduit par ce discours promettant un avenir plutôt doux où les billets couleraient en abondance, il s’embarque pour Bujumbura.
Sans famille ni ami pour la prise en charge, il vit de la mendicité. Du matin au soir, sous un soleil de plomb ou une pluie battante, il tend la main à chaque inconnu qui passe. Les âmes charitables lui glissent quelques sous. Les autres se foutent tout simplement de ce pauvre handicapé qui fait la manche à longueur de journée et lui lancent un coup d’œil désintéressé rapide.
Le jour où tout a basculé
La période de 2006 à 2014, Céleus la passe dans la mendicité. Huit années, à un certain moment ça devient trop. Le natif de Ngozi commence à en avoir assez. Il commence à cogiter sur une voie de sortie. Avec son handicap, impossible de faire comme les autres jeunes gens de l’intérieur du pays qui sont venus à Bujumbura convertis en vendeur à la sauvette au marché central. Il n’a pas de capital consistant pour ouvrir un petit commerce. Malgré tous ces obstacles, l’envie d’en finir avec la mendicité reste persistante.
Après ces huit années passées sur la place du marché, Céleus a minutieusement observé à longueur de journées le travail des rabatteurs de bus communément appelés Abakokayi. Ces personnes souvent jeunes et pleines de vivacité l’ont fasciné. Et l’idée fait tilt dans sa tête. « Pourquoi pas moi donc ? », se demande-t-il. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’une personne se déplaçant sur des béquilles n’est pas l’archétype du rabatteur à qui on s’attendrait à voir en train de crier sur les chauffeurs qui veulent enfreindre les codes ou raisonner les passagers se disputant un siège.
Mais Céleus n’est pas du genre à se laisser intimider par les peurs que l’on se construit. Il prend son courage à deux mains et va demander au responsable de l’imbuga, le lieu de stationnement des bus. « Il ne m’a pas du tout compliqué la tâche, il a accepté et mes pairs m’ont accueilli chaleureusement », fait-il savoir, souriant.
Un prophète chez lui
Depuis, la vie de Céleus a connu un changement radical. Finis les matins qui s’annoncent sans savoir si le soir il aura quoi mettre sous la dent. Finies les brimades et insultes de ceux qui lui lançaient à la figure des « tu n’as qu’à retourner chez toi, nous aussi avons besoin de quelqu’un qui nous aiderait ». Désormais il vole de ses propres ailes. Rapidement, il se fait même respecter dans son milieu par son intransigeance envers ceux qui veulent violer la loi. « Quand Céleus est aux commandes, il est difficile de faire les choses comme bon il te semble », dévoile un chauffeur.
De par son expérience, il essaie de convaincre les autres handicapés à en découdre avec la vie de mendicité. Un exercice pas toujours des plus faciles. « Certains m’insultent. Ils me disent qu’après tout ce n’est pas moi qui contrôle l’argent des donateurs et que je n’ai aucune raison de m’immiscer dans leurs vies privées », confie Céleus qui se réjouit quand même de quelques réussites. « Un ami handicapé est actuellement vendeur des fripes grâce à mes conseils. Je retourne souvent aussi sur ma colline natale pour témoigner au sein des associations des handicapés pour les inciter à changer de mentalités ».
Côté cœur, Mpawenimana est marié et père de quatre enfants.