Mi-juillet 1934. Le Burundi est sous le joug de la colonisation belge. De la politique, en passant par l’économie jusqu’au domaine religieux, le pays fait face à plusieurs défis. A l’image de la pucelle d’Orléans, Inamujandi se lève et demande aux populations de Ndora, une région à cheval entre Kayanza et Cibitoke, de se joindre à elle pour « botter dehors l’envahisseur et remettre les rênes du pouvoir à qui de droit » …
Dans « Les mouvements religieux de liberté et de salut des peuples opprimés », Vittorio Lanternani affirme que «la situation sociale, politique et culturelle résultant du heurt entre les communautés indigènes et blanches devrait, à un certain moment, provoquer des révoltes de grande envergure à un certain moment». La période coloniale de l’Histoire du Burundi ne déroge point à cette réalité. Bien avant Inamujandi, des mouvements protestataires ont été observés à l’instar de celui de Runyota.
En 1922. Ce dernier avait su mobiliser les gens du territoire de Kitega et s’est même fait des adeptes dans le territoire de Muhinga. Mû par des aspirations mythico-nationalistes, il avait mobilisé ses troupes en pleine séance d’ukubandwa, promettant de «chasser les Belges du pays, interdire l’utilisation de l’argent et remettre sur le trône du Burundi un nouveau Ntare». Pour convaincre, il utilisait une rhétorique propagandiste mâtinée d’histoires à dormir debout. Le brave harangueur promettait à ceux qui s’allieraient à sa cause une immunité des plus sûres: «Les balles des colons se transformeront en eau, ou en farine d’arachides. Ceux qui ne veulent pas l’admettre courent le risque de voir leur argent devenir des tas de cendres».
D’où son sobriquet qui lui a survécu, Runyota.
Une « Jeanne d’Arc burundaise »
Plusieurs traits rapprochent « la sorcière de Ndora », comme l’ont qualifiée le pouvoir colonial et ses suppôts, et la pucelle d’Orléans. Alors que le France et l’Angleterre végètent dans la Guerre de Cent Ans, une jeune femme s’élève et promet qu’«avec l’aide de Dieu, elle va vaincre les Anglais et leurs alliés les Bourguignons, et remettre sur le trône Charles VII ». Exactement (presque) ce que promettait Inamujandi dans des situations quasi similaires.
Le Burundi est sous le joug de la domination belge et y est aidé par des « collaborationnistes » burundais, plutôt moins récalcitrants au message du colonisateur. Une frange qui compte notamment dans ses rangs le chef Baranyanka. Ce dernier est, écrit l’historien Joseph Gahama dans « Le Burundi sous l’administration belge », un des alliés indéfectibles de l’occupant au sein de l’establishment local.
Comme Jeanne d’Arc à cinq siècles de là, une femme se lève et demande aux populations locales de se joindre à elle pour botter dehors l’envahisseur et remettre les rênes du pouvoir à qui de droit. Elle joue la carte de l’aide de l’Au-delà.
Elle affirme avoir des pouvoirs surnaturels comme changer les cartouches des fusils belges en eau, ressusciter les morts, … voire envoyer les animaux sauvages dévorer ceux qui feraient la sourde oreille. Autant dire qu’avec ce coup de poker, être la pâture des félins était hors de question chez les récipiendaires de l’appel d’Inamujandi. Qui la suivront sans broncher.
Les ferments du mouvement d’Inamujandi.
A mille lieux d’être un mouvement ex nihilo, l’action d’Inamujandi se nourrissait de circonstances préalables qui jouaient les bombes à retardement. Sur le plan politique, la région de Nkiko-Mugamba venait d’être mise dans les mains des chefs acolytes de Baranyanka, au détriment des proches de Kilima, le fils naturel de Ntare Rugamba né au Bushi qui était revenu au Burundi réclamer la royauté. « Kilima était comme un véritable roi dans son fief, fait savoir l’historien Emile Mworoha, il célébrait même l’Umuganuro et abondait en largesses devant ses sujets ». De quoi se tailler une image d’un chef généraux dans la conscience collective des dirigés.
Les nouveaux chefs installés par l’administration coloniale furent donc vus comme des troublions : « De surcroît, Baranyanka était qualifié de Mweyerezi [personne venant de Bweyerezi, région de Gitega], donc un brin étranger dans cette époque où les gens n’étaient pas les moins régionalistes. Pire, vu comme un chef inféodé aux colonisateurs, la population de ces terres récemment sous ordres de Kilima ne pouvait qu’apposer un rejet catégorique à Baranyanka et ses associés», renchérit l’universitaire.
Pour mettre le feu aux poudres, la conjoncture économique qui sévissait, exaspéra la situation déjà délétère. La peste bovine qui avait fait des ravages dans le cheptel du Sud du Rwanda voisin en 1932, avait installé une psychose due à une crainte de contagion.
Les sauterelles, quant à elles, venaient d’abattre une sale besogne dans les champs des paysans, les laissant aux bords du dénuement. N’en déplaise au duc de Sully, le pâturage et le labourage sont aussi les mamelles du Burundi et quand elles vont mal, c’est la morosité totale.
« Dans un état des lieux pareil, il y’a des phénomènes qui apparaissent, où des personnes affirment opérer une rupture entre le temps présent, pour des lendemains qui chantent. Cela s’appelle le messianisme. Ces ‘prophètes’ surgissent en affirmant être investis de pouvoirs émanant des divinités », explique Pr Mworoha. Ce que fit avec brio celle qu’on surnommait d’ailleurs « Mukamana ».
Mais sans surprise, les balles des belges ne se sont pas transformées ni en eau, ni en en poudre d’arachide. Les insurgés de Ndora seront matés par une répression sans merci. Les domaines de la « sorcière » razziés, et elle, a fini incognito à l’Est du pays, après avoir fait la taule à Ruyigi.