Récemment instituée capitale politique du Burundi, Gitega a éclos d’un projet de délocalisation d’une résidence coloniale. Une odyssée qui s’est déroulée non sans accrocs.
« Une ville ex nihilo », peut-on lire sur la quatrième de couverture de « Gitega capitale du Burundi » de l’historien Jean Pierre Chrétien qui revient sur la genèse de cette ville. Au départ, elle est érigée pour abriter une résidence allemande ou tout simplement, la capitale de l’Urundi comme l’on disait à l’époque.
Dès 1896, les Allemands qui venaient d’hériter de la Conférence de Berlin notamment des territoires du Ruanda-Urundi et du Tanganyika, s’étaient installés à l’Ouest du Burundi, dans la station d’Usumbura offrant des facilités logistiques. Sur le lac Tanganyika qu’elle borde croisera notamment le Hedwig Von Wissmann, bateau à vapeur assurant la liaison entre différents postes de la colonie, notamment Usumbura et Ujiji.
Cependant, les moustiques et autres petites bestioles des tropiques qui pilulent notamment dans les marécages de Kajaga, puis à Kabondo où les Allemands construisent un fort (Boma) grâce à la main d’œuvre swahilie venue de Tanzanie, causent la dégradation de la situation sanitaire.
En 1905, une grave épidémie de trypanosomiase (maladie de sommeil, ou Urusinziriza en kirundi) fait des ravages. La population de l’Imbo est réduite à moitié, ceux qui ne sont pas morts ayant fui la calamité. « Il faudra des décennies avant que les dommages soient quelque peu réparés », écrira l’explorateur et géographe allemand Hans Meyer à propos de cette épidémie, dans son ouvrage “Les Barundi”.
Quid du site et du nom
Pour la colonie d’Allemands, il faut penser à déménager vers une autre région plus clémente. Laissant les ouvriers, Askaris (soldats africains) et marchands asiatiques dans le Quartier Swahili d’Usumbura, ils s’engagent dans le projet d’un déplacement de leur résidence dans ce qu’ils nommaient l’inner Urundi, l’Urundi de l’intérieur.
Où précisément ? C’est la grande question. Une panoplie de sites sera proposée. Le capitaine Werner von Grawert, résident pour le Burundi jusqu’en 1908 défendra bec et ongles l’idée de la région de Bukeye. Pour lui, « ce serait une erreur de choisir un centre géographique ». Il militait pour une résidence installée à proximité d’un domaine royal important.
Von Grawert, quittera son poste sans que son rêve ne soit réalisé. Après lui, le résident Heinrich Fonck proposera la région de Mugera, arguant qu’elle présente « des avantages économiques au vu de son emplacement géostratégique au cœur d’un réseau commercial actif ».
Il a fallu attendre l’avènement d’Erich von Langenn-Steinkeller (résident de 1911 à 1913, puis de 1915 à juin 1916), pour jeter le dévolu sur le site actuel. Du site choisi, le nom à lui donner sera un point de discorde. Il y aura quatre propositions. Musinzira, qui signifie « une bonne place pour dormir », Kurunani du fait que dans cette région trônait un arbre sur lequel s’était abattu la foudre sans l’endommager (un tel arbre est appelé ikinani en kirundi), Bweyerezi qui veut dire « une contrée sans bois de chauffage » et enfin, Kugitega parce que l’endroit est relativement plat. Le nom allemand de Rechenberg, en hommage au gouverneur portant le même nom avait été proposé, sans rencontrer l’approbation.
Gitega, ville Allemande, sueur burundaise
Le 30 octobre 1912, Gitega est déclarée « Kronland » ou terre de l’Empire. Les « indigènes » sont donc sommés de quitter ce poste étranger en terre burundaise. Pour toute indemnisation, le roi Mutaga IV reçoit 50 roupies, et chaque chef de famille expulsé du Kronland, 5 roupies.
Pour donner vie à leur ville, les Allemands compteront sur la force manuelle des Burundais, pourtant peu réceptifs aux travaux forcés. En témoignent les résistances comme celles des chefs Macemagu et Biziragusura, qui finiront par s’exiler de leurs domaines au lieu de se courber face à la chicote.
La pierre pour les premiers bâtiments de Gitega, la brique dont le bois à brûler venait de Gasunu, à trois heures de marche, les troncs pour les charpentes de Mugera, sur tête d’hommes, traversant les gués de la Ruvubu et la Ruvyironza, tout cela essoufflera bien la population locale.
Les répercussions de la conjoncture politique mondiale mettront fin à ce chantier allemand avant sa finition. En pleine débâcle de la Grande Guerre de 14-18, les Allemands abandonnent leur projet de résidence en 1916. Le 16 juin de cette année, ils déclarent Gitega « ville ouverte », synonyme d’une capitulation face à l’offensive militaire belgo-congolaise.