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Etats généraux de la presse, 3ème édition: beaucoup d’attentes chez les professionnels

Les Etats généraux de la communication et de la presse se tiennent du 24 au 25 novembre à Gitega. Quels sont les défis qui guettent notre métier, quelles attentes pour cette 3ème édition ? Le point avec quelques responsables des médias…

Selon le décompte du Conseil National de la Communication, organe institutionnel chargé de réguler le paysage médiatique burundais, il y avait au 29 juin dernier 236 organes de presse toutes catégories confondues, la majorité opérant en ligne.

Il y a dix ans, la plupart de ces organes n’existaient pas et entretemps, l’eau a coulé sous les ponts. En 2011, la seconde session de cette grande messe avait recommandé la dépénalisation des délits de presse, pour ne citer que celle-là. Mais la crise de 2015 est passée par là, avec le recul en matière de liberté de la presse qu’on lui connait.

A titre d’exemple, Blaise Pascal Kararumiye, correspondant de la radio Isanganiro en province Karusi, a été appréhendé début 2020 après son reportage sur l’ingérence de certains administratifs dans la gestion du financement des coopératives Sangwe, puis libéré cinq jours après sa détention.

Le cas le plus emblématique fut l’emprisonnement de nos confrères du Journal Iwacu Christine Kamikaze, Agnès Ndirubusa, Egide Harerimana et Térence Mpozenzi, libérés le 24 décembre 2020 à la suite d’une grâce présidentielle accordée par le Président de la République Évariste Ndayishimiye, après 430 jours de prison. Ils avaient été appréhendés en plein reportage en province Bubanza en train de couvrir une information sur une attaque des rebelles.

Les points sur lesquels devraient se focaliser les débats…

Pour Philippe Ngendakumana, Directeur Général du journal en ligne Ikiriho, les débats de la grande messe de la presse de la semaine prochaine devraient revenir sur la loi de la presse de 2018 et éclaircir ce point de délit : « Il faudrait écrire noir sur blanc ce que le journaliste doit surtout éviter. » Et pour cause, explique-t-il, dans la loi sur la presse actuelle, il n’est mentionné nulle part « les délits » que le journaliste ou un organe de presse doit éviter.

Philippe Ngendakumana, Directeur Général du journal en ligne Ikiriho

 Or, poursuit-il, ce sont des « délits » que réprime le Code pénal : « Vaut donc mieux que ça soit répété comme dans le Code de 2015 et de 2013, puisque les délits de presse ne sont pas dépénalisés. »

Et de suggérer que le terme « délits de presse » soit modifié car il n’est pas approprié : « Il faut carrément parler d’infractions commises par voie de presse. »

Sur la même question, Claude Nkurunziza, Directeur Général de la Radiotélévision Rema se demande si le journaliste burundais est protégé et la manière dont il est considéré dans son travail : « Est-ce que la loi permet de faire certaines investigations comme il le veut ? S’il décide que oui, ne risque-t-il pas des poursuites ? »

Sylvère Ntakarutimana, Directeur Général de la RTI (Radiotélévision Isanganiro), quant à lui, suggère l’amélioration des relations entre les autorités publiques et les médias pour faciliter l’accès à l’information.

A ce sujet s’ajoute la question du renforcement de capacités sur tous les plans car, constate Philipe Ngendakumana, beaucoup de journalistes n’ont même pas subi une formation basique, selon le genre de média : « C’est dommage que les Burundais soient informés par des journalistes en exil ou basés à l’étranger alors que l’effectif des médias et organes de presse ne cesse d’augmenter. » Quant à l’accès aux sources, suggère M. Ngendakumana, les détenteurs de l’information devraient être conscients de l’importance de la presse et livrer l’information sans restriction.

Qui est journaliste et qui ne l’est pas ?

D’après les professionnels des médias interrogés, l’autre point sur lequel devraient se pencher les Etats généraux en vue, est l’agrément des organes de presse. « Il y a actuellement une pléthore de médias agréés par le CNC sans toutefois qu’il y ait pluralité de papiers », pesteM. Ngendakumana.

Claude Nkurunziza, lui, n’y va avec le dos de la cuillère. Il estime que le « métier » a été envahi par des youtubeurs, des influenceurs et des gens qui se considèrent comme journalistes alors qu’ils ne le sont pas : « Il faudra qu’on puisse bien redéfinir ce qu’est un journaliste, un média, parce qu’on ne peut pas considérer tous les comptes YouTube, Twitter ou Facebook comme des médias auxquels on devrait faire allusion quand on parle des médias ici au Burundi. »

Et malheureusement, s’inquiète-t-il, même au niveau de la loi, personne ne peut distinguer ce qu’est un média en ligne de ce qui ne l’est pas : « Ce n’est pas très clair. » Et de suggérer un grand nettoyage en améliorant la loi régissant la presse au Burundi.

Claude Nkurunziza, Directeur Général de la Radiotélévision Rema

L’autre question à débattre proposent nos sources, c’est l’obtention de la carte du CNC qui devrait, selon eux, être conditionnée à la présentation d’un contrat de travail entre l’employeur et l’employé. Sur ce point, le CNC est en train d’y travailler puisque, selon les prévisions, chaque journaliste doit, à partir du 1er décembre prochain, avoir une carte de presse délivrée par le CNC.

Mettre fin à l’achat de conscience

Les raisons de cette exigence s’expliquent par le fait que beaucoup de journalistes n’ont pas de contrat. Et même pour ceux qui en ont un, il s’observe plusieurs manquements, entres autres le respect du Code de travail qui prévoit que chaque contractuel doit toucher son salaire au plus tard le 8 de chaque mois. Ce n’est pas respecté, sans parler de l’existence d’un Salaire minimum garanti (SMIG).

Pour le Directeur d’Ikiriho, le CNC devrait proposer un contrat-modèle liant un journaliste et son employeur et dont le CNC devrait être le garant : « Ce contrat-modèle instaurerait un SMIG et déterminerait l’évolution de carrière du journaliste. » Et d’expliquer que tout cela va revaloriser la profession en lui évitant notamment de tomber dans des cas de phénomènes d’achat de conscience.

 Actuellement, en effet, constate M. Ngendakumana, les journalistes multiplient les reportages intéressés pour gagner ne serait-ce que les 10 mille Fbu de « déplacement ». Un achat de conscience, étant donné que celui qui a donné les 10 mille Fbu de déplacement veille à ce que le journaliste bénéficiaire ait produit quelque chose, et dans le sens qu’il veut (un publireportage gratuit, quoi !)

A ce sujet, Claude Nkurunziza rappelle que la plupart de médias burundais naissent dans un contexte des fois de crises, dans un contexte où ils sont soutenus par des organismes internationaux ou même nationaux, mais qu’ils ne naissent pas pour fleurir dans un environnement permettant d’engranger des bénéfices : « Il faut revoir au niveau de la loi ce qu’il y a à changer parce que, par exemple, au Burundi, nous sommes exemptés de la TVA. Mais, en pratique les droits de douane sont plus chers que la TVA. »

Le fonds des médias, une question cruciale

Les professionnels des médias sont également revenus sur la question centrale du financement de leurs organes de presse. Selon Philippe Ngendakumana, le Gouvernement devrait l’alimenter davantage, suivant en cela la volonté affichée au plus haut niveau par le Président de la République avec le slogan « Jamais sans les médias « . 

Sur ce même point, Sylvère Ntakarutimana, Directeur Général de la RTI (Radiotélévision Isanganiro), estime nécessaire que l’Etat renfloue le fond d’appui aux médias à hauteur de 1% du budget national, et supprime les redevances de l’ARCT. 

Sylvère Ntakarutimana, Directeur Général de la Radiotélévision Isanganiro

La survie des médias traditionnels est un point très important, renchérit de son côté Claude Nkurunziza. Partout au monde, fait-il remarquer, les médias traditionnels ou bien le modèle économique des médias traditionnels est en train de disparaître : « Ça ne fonctionne pas devant les géants comme You Tube, Facebook, Twitter et autres. Donc, à un certain moment, il faut penser financer les médias dits traditionnels pour élever le débat citoyen, une information certifiée. »  Actuellement avec les réseaux sociaux, se désole le DG de REMA, un tweet suffit à une autorité pour fermer un débat public sur une question d’importance capitale pour une nation.

Et de conclure qu’il s’attend à discuter des vraies questions qui hantent le métier de journaliste au Burundi et non pas à des thématiques imposées et qui, souvent n’avancent en rien la mission d’informer.

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