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Littérature

« Une biographie qui consacre la rencontre de deux générations d’entrepreneurs »

©Jimbere | Bonaventure Nicimpaye (gauche), interviewé par Isaac Nzotungicimpaye lors du lancement de sa biographie

A l’occasion de la parution des mémoires de Bonaventure Nicimpaye, fondateur d’Intercontact Services, aux Éditions Gusoma sous le titre « Une vie au pas de course », voici une belle recension de l’ouvrage, signée Louis-Marie Nindorera

Louis-Marie Nindorera est consultant, spécialisé en justice transitionnelle

Au Burundi où les mémoires ont subi et infligé tant de blessures qu’elles s’en remettent au silence, ça peut prendre de l’audace et un certain sens de l’entreprise pour raconter et publier les siennes ! «Une vie au pas de course» consacre précisément la rencontre de deux générations d’entrepreneurs. Pour la parution de leur premier livre, les Éditions Gusoma, montées par une jeune et nouvelle race d’entrepreneurs burundais, ont choisi de recueillir et recoller les souvenirs évanescents de Bonaventure Nicimpaye, un septuagénaire à la retraite. À l’aube de la décennie 1980, il ne s’était lancé dans les affaires qu’avec l’espoir d’être réintégré dans la haute fonction publique d’où il venait. Il n’y retournera jamais. Son histoire retrace un peu celle des étroitesses de la fonction publique burundaise qui conduisirent un pionnier du métier des services à la découverte du petit monde des opportunités d’affaires.

Revivre la soirée de lancement de la biographie de Bonaventure Nicimpaye

L’histoire de Bonaventure Nicimpaye débute quelque part vers mars 1948, en ces temps où les statistiques de la population du monde et du Burundi ne comptaient jamais d’unité rundi avant qu’elle n’ait été baptisée par un prêtre et répertoriée dans un registre paroissial. Né dans une fratrie de trois, très vite réduite à deux et trop vite privée d’un père, Bonaventure va grandir par la pugnacité tenace de sa mère, Madeleine Matama, et par des solidarités familiales actives et indéfectibles. Le récit de sa vie suit un peu le tracé d’un curriculum vitae commenté, des études aux emplois.

Du collège du Saint-Esprit à ses études post-universitaires à Yaoundé en passant par ses années de scoutisme et la faculté de Droit de l’Université du Burundi, les souvenirs de l’auteur s’arrêtent aux rencontres personnelles, aux cursus scolaires, aux règles de discipline qui lui forgèrent le caractère et lui ouvrirent des vocations. Il pose dessus un regard rétrospectif critique, qu’il agrémente d’anecdotes bon enfant. Son entrée dans la carrière professionnelle ouvre les pages d’illusions et désillusions de ses mémoires. Sa gratitude nomme les hommes de bien dont il apprit, par lesquels il perça. Quant aux amertumes et aux déboires de sa carrière de fonctionnaire, il s’en tient à un récit des faits et des espoirs nés d’un très bon parcours scolaire et universitaire, ruinés dans une sphère sociopolitique aux règles opaques, aux débouchés incertains.

C’est dans cette adversité-là, après une période de chômage plus longue que prévue, à force de se convaincre qu’il reprendrait ses droits et sa place dans la haute fonction publique que Bonaventure Nicimpaye se lance dans l’aventure et le métier des services. La suite s’appelle Intercontact Services, le nom de la société qu’il créa dans le garage de sa maison de Kabondo, un quartier de Bujumbura. Aujourd’hui, Intercontact Services est une société bien connue des milliers de Burundais qui fourmillent et commercent depuis des décennies autour des opportunités de vente, d’achat, de location, d’emploi,… L’histoire méconnue de cette société apporte un éclairage sur la diversité et la limite des opportunités de services privés qu’offraient l’État et la société que le Président Bagaza rebâtissait. Les mémoires de l’homme derrière la société témoignent, elles, de la lente évolution des esprits, des regards et des perceptions de l’élite burundaise sur l’entreprenariat dans le privé, en comparaison au prestige passé de la fonction publique.

Lors de la séance des dédicaces de la biographie par son auteur…

C’est dire qu’au final, quand la vie vous a forcé tôt à braver les préjugés, il n’y avait peut-être pas tant d’audace que ça ni de barrière psychologique pour un retraité septuagénaire à briser la loi du silence et confier ses mémoires à une nouvelle entreprise d’édition du livre. Oser est sans doute devenu une seconde nature.

Au Burundi, le livre n’est pas dans son berceau historique originel ni dans son biotope. Dans les rares sorties littéraires connues au pays, l’autobiographie tient une place de choix. Largement dominé par les hommes, ce genre littéraire a quelques tabous tenaces. La vie de famille, le regard introspectif de l’époux, du père n’y tiennent pas ou peu de place. «Une vie au pas de course» ne fait pas exception. Qu’à cela ne tienne, avec cette autobiographie, Bonaventure Nicimpaye a coché une nouvelle case sur ses plans de retraité. Il reste très actif et pensif. Il réserve d’ailleurs le dernier chapitre de son livre à sa vision, à ses rêves: à 75 ans ! Y a-t-il meilleure façon de booster la génération des jeunes entrepreneurs burundais ?

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