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Viols à Muramvya et Mwaro : la justice ne laissera rien passer

877 filles et femmes violées, ont été recensées par le Centre Seruka qui fournit l’assistance psychologique, médicale et judiciaire aux victimes des violences basées sur le genre au cours de l’année 2022. Un chiffre loin d’être exhaustif, plusieurs facteurs empêchant les victimes de dénoncer leurs bourreaux. Un phénomène qui ne cesse de s’amplifier au Burundi en général et dans les provinces de Muramvya et de Mwaro en particulier. Reportage.

Par une journée comme les autres, un groupe de journalistes recueille un témoignage d’une femme dont la fille a été violée deux fois, à l’âge de 8 ans et à l’âge de 12 ans. Avant, elle a encaissé la situation car elle était dans l’incapacité d’engager un procès. Lors de la deuxième fois, elle n’a pas été indifférente. Elle a porté plainte.

Elle nous raconte les circonstances du viol : « J’avais dit à ma fille d’aller puiser de l’eau et moi je suis partie au champ. De retour vers 18h, j’ai trouvé qu’elle ne l’avait pas fait. Par peur que je la frappe, elle a pris le petit jerrican et elle est partie à la source. Je l’ai attendu mais en vain et j’ai pris la décision d’aller la chercher en pleine nuit. Elle pleurait quand nous l’avons trouvée au bord du chemin: elle avait été violée».

Choquée, sa mère a pris la décision de l’amener à l’hôpital le lendemain et grâce au CAFOB elle a porté plainte et le violeur a été emprisonné. Pour elle, à peu près 78.000 Fbu sont partis en fumée pour les soins hospitaliers. Elle a dû hypothéquer un lopin de terre.

Une jeune fille de 17 ans violée une année auparavant en commune Kiganda de la province Muramvya. Un acte criminel qui a été commis par des voisins. Elle fait partie des milliers d’autres qui sont violées chaque année. Elle raconte son calvaire : « C’était un dimanche soir et je revenais du champ familial où j’ai rencontré deux hommes mariés qui me barrèrent le cheminé que je fus violée par l’un des deux hommes sous la complicité du deuxième ».

Un témoignage glaçant que la jeune fille ne peut pas terminer à cause du choc subi. C’est J.B. son père qui raconte la suite. Informé, il a fait arrêter l’un des deux bourreaux. Il s’est après précipité pour accompagner sa fille à l’hôpital afin qu’elle bénéficie des premiers soins. Les deux coupables ont, de leur côté, été incarcérés dans les cachots de la commune Kiganda puis transférés à la prison de Muramvya.

Sévir à tout prix contre les violeurs et leurs complices

En Province de Mwaro, les viols sont signalés aux autorités de la province qui s’empressent de prendre les mesures immédiatement en faveur des victimes, comme l’indique Claver Ngurube, Conseiller du Gouverneur chargé des Affaires socio-culturelles: « Comme partout ailleurs, nous recevons des cas de viols sur les filles et les femmes dans notre province. Lorsque ces cas sont rapportés, nous nous appuyons sur les animateurs communautaires. Ceux-ci conduisent les victimes à l’hôpital pour recevoir les premiers soins et les aident à saisir la justice. Si le viol a eu lieu, les criminels sont punis conformément à la loi ».

Claver Ngurube, Conseiller du Gouverneur de Mwaro chargé des Affaires socio-culturelles

Christophe Nemeyimana, Chef de cabinet du Gouverneur de Muramvya reconnaît que les viols sont bel et bien une réalité dans la province. Des crimes combattus par les autorités provinciales et réprimés par la justice : « Même s’ils ne sont pas très nombreux, il s’observe des cas de viols à Muramvya. Mais il s’observe une mauvaise pratique selon laquelle les parents des victimes des VBG préfèrent l’arrangement à l’amiable. Généralement, ces cas ne nous parviennent pas. Mais les  assistants sociaux des Centres de Développement familial font des investigations, les portent au grand public et sensibilisent la population sur le fait de dénoncer de tels cas ».

L’arrangement à l’amiable  entre les parents des bourreaux et les parents des victimes des viols est une pratique courante dans ces provinces du centre du pays comme partout ailleurs dans le pays. J.B., le père d’une victime de viol témoigne. Il a été lui aussi approché et intimidé par l’autre partie pour faire l’arrangement à l’amiable mais il a refusé.

Les associations de lutte contre les VBG s’insurgent elles aussi contre cette pratique comme nous le fait savoir Jean de Dieu Ndayikunda, juriste au CAFOB Muramvya : « Nous faisons le suivi et l’accompagnement des dossiers des VBG et font en sorte que le parquet poursuive ces criminels et les traduise en justice. »

L’administration à Mwaro est elle aussi contre ces arrangements. Pour le Conseiller du Gouverneur chargé des Affaires socioculturelles à Mwaro, les personnes attrapées entrain de dérouter les victimes sont sévèrement punies : « Nous insistons toujours sur le fait qu’il ne doit pas y avoir d’arrangement à l’amiable entre la famille de la victime et celle du violeur. Nous avons fait savoir que si une personne est attrapée entrain de le faire, qu’elle soit de l’administration ou un membre de la famille, elle sera punie de la même peine que le vrai coupable ».

Les associations de lutte contre les VBG sont désormais toujours vigilantes à Mwaro et à Muramvya. Elles rapportent chaque jour les actes de viols et collaborent avec les autres intervenants dans cette lutte contre les VBG.

Me Delphine NDAYIZAMBA, Juriste de CAFOB à Mwaro affirme que « ce serait se tromper si on disait que le nombre de cas de viols va en diminuant. C’est plutôt le contraire car la situation est alarmante. Au CAFOB, nous recevons au moins un cas par mois. Les chiffres que nous recevons officiellement diffèrent loin de la réalité sur terrain car il y a des victimes qui préfèrent garder le silence pour des raisons multiples ».

Me Delphine NDAYIZAMBA, Juriste de CAFOB à Mwaro

Au niveau national, le Centre Seruka de Bujumbura reçoit les victimes et fait leur suivi médical et psychologique : « Nous accueillons autour de 100 cas de viols par mois dans le service médical. Ce ne sont pas tous les cas qui arrivent dans le service juridique parce qu’il y a plusieurs paramètres qui ne permettent pas à la victime d’accéder à la justice notamment les victimes  qui ne connaissent pas les auteurs ».

Le rôle de la justice dans la lutte contre les VBG salué

La répression des actes de viols à Muramvya comme à Mwaro est une réalité selon plusieurs personnes interrogées et provenant de divers milieux. Les victimes de ces viols et leurs proches saluent le travail des autorités administratives, la justice et la police. J.B est satisfait de la rapidité avec laquelle la justice à Muramvya a puni les violeurs de sa fille : « Le Tribunal de Grande Instance de Muramvya a prononcé contre les deux violeurs de ma fille une peine de 15 ans de prison et une amande de 500 mille ».

Même son de cloche chez Me Delphine Ndayizamba, juriste de CAFOB à Mwaro qui se dit satisfaite de la bonne collaboration avec les instances judiciaires dans la lutte contre les viols sur les filles et les femmes : « La justice est rendue aux victimes des VBG en Province de Mwaro et Muramvya. Par exemple, nous avons gagné le procès sur tous les 12 cas de viols que nous avons amenés devant les tribunaux depuis septembre 2023. Les  coupables ont interjeté appel et nous sommes confiants que nous allons aussi gagner dans les juridictions supérieures ».

Son collègue de Muramvya est lui aussi élogieux vis-à-vis du travail des juges : « Le manque d’indépendance de la magistrature et la corruption peuvent favoriser l’impunité des violeurs mais à Muramvya nous constatons que ces pratiques ne sont pas monnaie courante. Les coupables sont généralement punis », apprécie Jean de Dieu Ndayikunda, Juriste CAFOB à Muramvya.

Même si la justice fait son travail, il n’est pas rare que les plaignants abandonnent les procès en cours de route faute de moyens ou de suivi comme le constate le Centre Seruka de Bujumbura : a« Au cours de l’année 2022, nous avons reçu 877 cas qui ont manifesté la volonté de porter plainte. Mais nous n’avons pas eu de retour car toutes les victimes ne sont pas revenues pour nous dire où elles en sont. Seule une cinquantaine a bénéficié d’une assistance juridique et a eu des avocats. Notre avocate a une cinquantaine de dossiers ».

Malgré les efforts fournies par la justice, il y a des fois où les violeurs ne sont pas emprisonnés ou sont libérés après avoir été emprisonnés suite aux multiples raisons notamment la corruption, les responsabilités de la personne ou son statut dans la société, etc.

Un des avocats de Gitega nous raconte : « J’ai eu des cas où la justice n’a pas été appliquée à cause du statut du présumé auteur du viol, ils peuvent dire qu’il est prêtre, officier,…or la loi devrait être appliquée de la même manière pour tout le monde ». Pour elle, il est difficile de déterminer la cause de l’impunité des VBG car elles sont diverses mais il faut de la volonté aux juges dans l’application de la loi.

La sensibilisation, principal moyen de lutte contre le viol

Tous les acteurs dans la lutte contre le viol et d’autres VBG à Muramvya et Mwaro sont unanimes pour dire que la sensibilisation, de la base au sommet, est un impératif pour lutter efficacement contre ce fléau. Pour cette Avocate des victimes des VBG à Gitega, la loi doit être appliquée dans sa rigueur à côté de la sensibilisation quotidienne : « Le chemin à parcourir dans la lutte contre les VBG reste long mais il y a une évolution dans leur répression. »

L’on assiste, explique-t-elle, à des cas de viols commis sur les filles et les femmes mais qui ne sont pas punis. S’ils étaient punis dans l’immédiat, cela servirait d’exemple et constituerait un outil de dissuasion vis-à-vis de ces criminels. Communiquer sur les violences basées sur le genre, appliquer la loi et punir sévèrement les fauteurs de ces viols sans regarder le statut du violeur pourraient éradiquer ce phénomène.

L’autre élément qui entrave la lutte contre le viol est le changement de mentalités comme le fait savoir le Centre Seruka. Il continue de sensibiliser des victimes des viols car plus les gens en parlent, plus les victimes sont conscientisées à porter plainte. D’un autre côté, malgré les formations offertes par le Centre Seruka, le grand problème reste le changement : « Certains magistrats et certains OPJ restent réticents lorsqu’il faut appliquer la loi d’où l’engagement du Centre Seruka de les sensibiliser pour qu’il y ait un changement de comportement de leur part ».

Le cabinet du Gouverneur de Muramvya occupe une bonne place dans la structure provinciale de lutte contre les VBG et se dit satisfait car il figure dans la chaîne pénale. Le chef de cabinet du Gouverneur souligne que différents corps de la province tel le Cabinet du Gouverneur, le Tribunal de Grande Instance et la Police judiciaire travaillent en synergie pour lutter contre cette impunité.

Les acteurs de la société civile engagés dans la lutte contre les VBG  se disent satisfaits des avancées dans la législation. Pour eux, malgré les défis auxquels ils font face, il y a des efforts engagés par le Gouvernement telle que la Loi spécifique sur les VBG, les lois spécialisées qui ont été instaurées au niveau du Parquet et des Tribunaux de Grande Instance ainsi que la cellule spécialisée aux questions des VBG mise en place par le Ministère de la Justice.

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