Malgré leurs efforts pour devenir autonomes, la plupart de femmes de Kirundo restent exclues de la gestion des biens dans leurs familles comme dans leurs ménages. Plusieurs causes dont le poids de la tradition expliquent cette violence économique. Le point.
Alors que le monde célébrait dernièrement les 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre, les habitants de Busoni en province Kirundo affirment que la femme n’a toujours pas droit au chapitre sur l’utilisation de son propre argent ni celui de son conjoint et encore moins sur certaines décisions importantes dans le ménage.
Bien plus, ajoute T.M, habitant la même contrée, certaines femmes se voient obligées par leurs familles de déposer l’argent gagné auprès de leurs parents, ou leurs maris pour celles qui vivent en couple.
Pire, confie encore T.M, d’autres sont battues ou ont carrément été abandonnées par leurs conjoints pour avoir refusé que les biens de la famille soient dilapidés.
C’est le cas de P.M. : « Mon mari m’a dit de vendre notre terrain et j’ai refusé de signer. Depuis lors, il a commencé à me battre, puis il m’a abandonnée. »
Au début de leur mariage, raconte-t-elle, son mari la maltraitait déjà, et cela a empiré lorsqu’elle a commencé à se servir dans la caisse ou elle gardait son propre argent sans l’aval de son mari : « Il me laissait faire du commerce, mais volait tout ce que je vendais, même les petits gains que je cachais. Il rapportait cet argent à sa concubine. Lorsqu’il m’a proposé le terrain familail, ça a été la goutte de trop. »
Une autre femme raconte que son mari l’a abandonnée avec leurs enfants dans une maison en paille. Elle avait construit une petite maison en tôle et élevait des chèvres. Un jour, de retour des travaux champêtres, toutes les chèvres et les récoltes avaient disparu. Quand elle a posé la question, des coups de poings et des gifles ont commencé à tomber. Et de demander aux autorités d’agir afin qu’elles aient droit de cité dans la gestion des finances familiales.
Une autonomisation mise à rude épreuves
Ce qui blesse encore plus ces femmes, c’est de voir leurs maris se permettre de mener des projets de développement sans les avoir consultés. Et ceux qui feignent de participer à leur autonomisation, ne versent qu’un capital de démarrage pour tel ou tel autre projet à leurs épouses : « Lorsque c’est le cas, là tu es triplement puni car toutes les dépenses familiales deviennent les tiennes. Le mari te lance à la figure de te débrouiller chaque fois que tu lui demandes de l’argent comme si ce capital versé l’exemptait désormais de son rôle de père de famille. »
Pour Alice Muhorakeye, commerçante au marché central de Kirundo, l’homme doit comprendre que donner un capital à sa femme ne signifie pas l’abandonner à son sort. Il doit continuer à la soutenir, car le développement du foyer repose sur les deux partenaires.
Louise Niyonzima, présidente de l’association ‘‘Haguruka Umukenyezi ntidusubire inyuma mu kurwanya amabi dukorerwa’’ trouve honteux ce qui se passe dans cette province. La femme agricultrice n’a aucun droit de regard sur les biens du foyer, accuse-t-elle, même lorsqu’elle génère de l’argent par des activités champêtres : « La situation se corse lors de la récolte car tous les gains vont dans les poches de son mari. »
Toutes ces femmes demandent à être soutenues pour avoir des droits dans la gestion du foyer. Quant aux femmes qui reçoivent du capital et cherchent ensuite à dominer le foyer, elles devraient abandonner cette habitude, car cela pousse certains hommes à les abandonner en raison de ce comportement
Les conceptions patriarcales et sexistes dénoncées
Pour les autorités locales de Kirundo et les leaders du mouvement associatif, plusieurs causes expliquent les violences subies par les femmes dans leurs foyers. Cela va des stéréotypes et les préjugés fondés sur le genre à la perception de la famille comme une sphère privée placée sous l’autorité masculine en passant par l’acceptation générale de la violence dans la sphère publique. « Des gens peuvent regarder un homme en train de battre sa femme sans broncher », dénonce Clescence Habonimana, vice-présidente du forum de femmes en zone Nyagisozi,
En outre, poursuit Mme Habonimana, il existe encore des expressions ou proverbes ainsi que des pratiques traditionnelles qui conduisent à la marginalisation de la femme dans la société burundaise telles que « Umukobwa ni umuzenzwanzu, umunyakigo » … ce qui incitent certains hommes à maltraiter les femmes.
Lucie Niyoyitungira, membre de réseau de femmes actrices de paix et dialogue en commune de Kirundo explique que les violences économiques envers les femmes s’intensifient principalement entre le mois de mai et septembre, pendant la période de récolte du riz. Pour la simple raison que pendant cette période, plusieurs hommes prennent des concubines. « Les épouses sont alors violentées à dessin pour les empêcher de participer à la gestion de cette récolte ou des revenus. »
Quid des voies de sortie
Malgré cette réalité, l’administration s’active de plus en plus pour inverser la tendance. Pour Richard Ngabonziza, administrateur de la commune de Busoni, la fréquence de ces violences est en diminution bien qu’elles soient encore présentes. Les femmes victimes de ces violences, affirme-t-il, se tournent maintenant vers lui en cas de maltraitance. Pour mettre fin à ces pratiques, l’administration multiplie des réunions de sensibilisation aux populations.
Même son de cloche chez Éric Nduwayezu, chef de cabinet au bureau du gouverneur pour qui, les VBG bien qu’une réalité à Kirundo sont en nette diminution par rapport aux années précédentes : « Au cours des deux dernières années, la province de Kirundo était en tête des violences basées sur le genre, avec 4 femmes tuées à Busoni et 6 à Ntega. Aujourd’hui, on ne recense qu’un ou deux cas par an, voire aucun. Notre objectif est de réduire ces violences jusqu’à zéro cas. »
Pour y arriver, des réunions de sensibilisation doivent continuer et si nécessaire, infliger des sanctions exemplaires pour dissuader les auteurs de violences.
Et de lancer un appel aux hommes de contacter l’autorité habileté en cas de différends avec leurs épouses afin d’éviter de recourir à la violence car, une fois enclenchée, celle-ci entraîne des problèmes qui perturbent le bon fonctionnement de la famille, portant socle des communautés.