Outre la restauration supprimée depuis 2018, les retards dans le versement du prêt-bourse, les étudiants de l’Université du Burundi font face à de multiples défis et suivre les cours est devenu un vrai casse-tête…
L’étudiant de l’université se lève tôt pour se rendre à l’auditoire. Les cours commencent habituellement à 8h. Peu d’étudiants ont la possibilité de prendre le petit déjeuner. La pause de midi à 14h est le temps de « chasse à la nourriture » dans les petits restaurants périphériques de Nyakabiga et de Kukabasazi (zone Gihosha) pour les étudiants du campus Mutanga. Pour ceux qui en ont les moyens, c’est le même périple le soir.
« Pour manger, je pars à Nyakabiga. Nombreux sont les étudiants qui y vont grâce à la quantité et aux prix raisonnables de la nourriture servie par rapport à la bourse de l’étudiant. Il devient impossible de pouvoir retourner tôt et se reposer avant de revenir à l’auditoire », raconte Éric B, un étudiant du campus Mutanga.
Ceux qui logent dans les périphéries comme Mugoboka ou Kanyari se réunissent à 5 ou 6 dans le même studio et rassemblent de l’argent pour se nourrir. Lorsque s’ajoute le retard du prêt-bourse, cet argent ne leur permet pas de vivre décemment. Ils restent dans une situation d’endettement chronique.
Rudes conditions de vie
Le professeur Siméon Barumwete, enseignant de longue date à l’Université du Burundi, est sans équivoque lorsqu’il dépeint cette situation dans laquelle vivent les étudiants : « Les 60.000 francs burundais qu’on leur donne ne sont pas vraiment suffisants pour couvrir leurs besoins au niveau nutritionnel. Si on les compare à ceux qui ont étudié dans les années passées, les étudiants actuels perdent beaucoup de temps dans la recherche de la nourriture alors qu’ils ont besoin d’étudier. On les voit souvent faibles, en train de somnoler ou des fois tomber en syncope… ».
Il ajoute que les conditions de vie liées à la fois à l’hébergement, à la restauration et au déplacement sont devenues trop rudes et qu’elles ne permettent pas la formation des élites dont le pays a grandement besoin pour se développer.
Communément appelée « agafashanyo » ou « aide », les étudiants de Rumuri trouvent qu’elle est dérisoire. Remiane Niyokwizigira, nouvelle venue dans cette communauté estudiantine rappelle que « même le mot agafashanyo est significatif. Le prêt-bourse en soit n’est pas suffisant. C’est de l’assistance pure et simple. Mais nous sommes venus étudier étant déjà informés de la situation. C’est pourquoi nous ne sommes pas surpris ».
…révolue l’époque où l’étudiant ne faisait qu’étudier…
« Le coq qui chante a été un jour un œuf », dit-on. Avec le niveau de vie des étudiants qui se détériore de jour en jour, sera-t-il possible d’avoir des leaders dignes de ce nom ?
« Quand on était à l’université, on vivait dans les homes universitaires et on mangeait dans le restaurant universitaire. On avait les cours dans le même campus, on ne nous demandait qu’étudier. Maintenant que les étudiants ne bénéficient pas de ces services, ils rencontrent des difficultés énormes dans leurs études parce que les conditions ne sont pas réunies pour se consacrer uniquement aux études », déplore Siméon Barumwete.
Beaucoup d’informations circulent à propos de la vie difficile des étudiants de l’Université du Burundi. Elles seraient la cause de ce manque d’engouement pour les futurs étudiants de s’y orienter. Ils disent craindre de subir ce calvaire.
Certaines filières de plus en plus désertées
Une autre cause qui expliquerait ce manque d’envie de venir étudier à l’Université du Burundi, c’est le choix des filières imposé par les autorités universitaires. La majorité de ceux qui s’y inscrivent affirment avoir été orientés dans des filières qu’ils n’ont pas choisies. Les autorités en sont conscientes.
« Il y a des filières dans lesquelles les étudiants ne veulent pas se faire inscrire notamment l’IEPS, la Cartographie foncière de Cankuzo,… », a indiqué le Recteur de l’Université du Burundi.
Un des lauréats de la décennie 2010 témoigne : « Moi-même, si j’avais su le genre de vie que j’allais mener, je n’aurais pas fréquenté l’Université du Burundi ».
Pour le Professeur Barumwete, la question est ailleurs. Selon lui, « le comble de malheur est que ceux qui devraient prendre les dispositions nécessaires pour le bien-être des étudiants ne le font pas, alors qu’ils ont bénéficié de bons services à l’époque. Ils connaissent le bien fondé d’un enseignement de qualité à la fois pour les étudiants et pour le pays ».
Prêt-bourse oui mais pour quelle valeur réelle ?
Mis à part les irrégularités dans le paiement du prêt-bourse et les frais déduits de la somme, ce prêt-bourse n’est pas suffisant vu l’inflation qui s’observe. 60.000 Fbu de 2020 ne sont pas ceux de 2023, affirment les étudiants.
« Une assiette de 1 000 Fbu ne suffit pas comme repas, qui de surcroit, est souvent loin du compte en termes d’apport nutritif. On doit ajouter un fruit pour essayer de le compléter. Certains ont introduit le terme « réglage » pour désigner une quantité supplémentaire par rapport à la première assiette. Cette portion coûte entre 200 et 300 Fbu. On peut ainsi sentir quelque chose dans le ventre », précise Aline Niyuhire, une étudiante du campus Rohero.
A côté de la restauration qui est déjà un casse-tête, ces étudiants ont également besoin d’autres accessoires pour pouvoir étudier. C’est notamment le papier, les photocopies, les stylos…
Contacté, le professeur Audace Manirambona, Recteur de l’Université du Burundi, tranquillise: « On est en train de contacter des restaurateurs du secteur privé pour nous venir en aide en ce qui concerne la restauration des étudiants ».
Quant à l’étudiant Fulgence Niyonemera : « Notre proposition est soit qu’on réinstaure la restauration à l’Université du Burundi, soit qu’on augmente le prêt-bourse pour que les étudiants puissent subvenir à leurs besoins et suivre les cours normalement ».
Burundi, pays émergent en 2040 et développé en 2060, avec quel type de leadership ?
Certains observateurs affirment que, vu la situation actuelle dans laquelle vivent les étudiants, l’avenir est compromis. La question est de savoir ce que seront ces futurs leaders.
Professeur Siméon Barumwete trouve « qu’il faudra peut-être réintroduire le système de restauration dans les homes universitaires. Il faudra aussi construire des homes de qualité où les étudiants auront accès à tous les services nécessaires pour leur bien-être. On pourrait également songer à ajuster le prêt-bourse chaque fois de besoin en fonction du pouvoir d’achat, mais aussi rendre régulier comme promis cette aide parce qu’il s’observe souvent des retards ».
Dans une conférence de presse sur la gouvernance budgétaire, Faustin Ndikumana, Directeur du Parcem constate : « Le calvaire que traversent les étudiants ainsi que les conditions salariales des enseignants découlent de l’utilisation non transparente du budget de l’Etat. »
Il suggère l’appui au secteur de l’éducation pour que les lauréats des universités puissent être dotés de compétences suffisantes en vue d’aider à l’avenir dans la planification des projets phares pour le développement de l’Etat.
Ce que dit la loi par rapport au prêt-bourse
L’Université du Burundi a supprimé la restauration des étudiants tout en instaurant le prêt-bourse en vue de couvrir les besoins de ces derniers. « Il y a 6 ans que l’Université a supprimé la restauration en instaurant le prêt-bourse car l’Université du Burundi n’a plus de moyens pour nourrir tous ses étudiants. Le prêt-bourse permet à ce que l’étudiant puisse se nourrir, se déplacer, et tous les autres soins », a fait savoir dernièrement le Recteur de l’UB Prof Audace Manirambona dans une interview avec BBC Gahuza. L’article 19 de l’Ordonnance Ministérielle du 22 mars 2018 portant conditions et modalité d’octroi, de retrait, de reconduction et remboursement du prêt-bourse insiste sur le fait que le prêt-bourse aide dans la subsistance de l’étudiant. Comme le précise l’article 21 de cette ordonnance, les montants de frais de subsistance peuvent être réajustés par l’autorité compétente notamment en fonction des dotations budgétaires. Pourtant, depuis son instauration en 2018, aucune hausse n’a été revue alors que la vie devient de plus en plus chère.
C. A.