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Burundi : la crise du français touche élèves et enseignants

Face à la dégradation du niveau de français dans les écoles et les milieux professionnels, le constat est alarmant. Les acteurs du secteur éducatif burundais tirent la sonnette d’alarme. Le ministre de l’Éducation reconnaît l’ampleur du problème, aggravé par le manque de ressources, les effets de la réforme de l’école fondamentale et un désintérêt croissant pour les langues. Dans les classes, de nombreux élèves peinent à suivre les cours dispensés en français, tandis qu’enseignants, parents et responsables d’établissement appellent à des mesures urgentes pour sauver cette langue, pilier de l’enseignement national.

Le niveau de maîtrise du français, aussi bien chez les élèves que chez les enseignants, ne cesse de reculer. Le phénomène se manifeste non seulement dans les établissements scolaires, mais aussi dans de nombreux secteurs professionnels où la langue de Molière reste pourtant un outil de travail essentiel. Dans ces milieux, les erreurs de langage et d’écriture se multiplient, révélant une fragilité préoccupante.

Le 17 juin 2025, devant l’Assemblée nationale, le ministre de l’Éducation, François Havyarimana, a reconnu publiquement la baisse du niveau de français, aussi bien chez les élèves que chez leurs enseignants. Il a notamment pointé la réduction du temps consacré à l’apprentissage — autrefois réparti sur deux périodes quotidiennes — ainsi que le manque criant de matériel pédagogique.

S’il admet que des réformes s’imposent, le ministre précise qu’elles requièrent à la fois du temps et des moyens financiers. Le dossier, a-t-il indiqué, est actuellement à l’étude au sein du Conseil des ministres.

Des enseignants démunis

Interpellé sur le faible niveau de français des enseignants, le ministre a évoqué une vidéo devenue virale montrant un professeur contraint d’enseigner à des enfants assis à même le sol, faute de mobilier scolaire.« Vous dites que nous ne savons pas transmettre le savoir, mais nous enseignons à des enfants qui n’ont même pas de bancs. Comment peuvent-ils apprendre à écrire assis par terre », s’est-il indigné.

Une réforme aux résultats mitigés

Concernant la réforme vers l’école fondamentale, plusieurs voix l’accusent d’avoir accentué la dégradation du niveau. Le ministre de l’Éducation reconnaît lui-même que les résultats attendus ne sont pas au rendez-vous, principalement en raison du manque de moyens pour en assurer la mise en œuvre effective.

La section Langues en perte de vitesse

Une enquête du Magazine Jimbere, publiée le 2 octobre 2025, confirme la désaffection croissante pour les filières linguistiques dans les écoles de Bujumbura. Au Lycée Notre-Dame de Rohero, la section Langues a tout simplement disparu, faute d’intérêt. « Cette section a été supprimée durant l’année scolaire 2024-2025. Les élèves ne l’aiment pas. Sur ceux envoyés par le ministère, seuls cinq se sont présentés. Nous avons donc dû la fermer. La majorité préfère les sciences : nous comptons actuellement 335 élèves dans cette filière », explique le directeur, Jean Pierre Niyorugira.

Dans d’autres établissements, les chiffres confirment la tendance. Au Lycée du Lac Tanganyika II, seulement 55 élèves sont inscrits en section Langues sur trois ans, contre plus de 150 en Sciences. Même constat au Lycée Municipal de Rohero, où la section Langues ne regroupe que 150 élèves, contre 200 dans la filière scientifique.

Une filière délaissée par les élèves

De plus en plus d’élèves demandent à changer de section, jugeant que la filière Langues limite leurs perspectives universitaires. « Si j’étudie les Langues, je ne peux pas faire médecine », explique Éliane Kaneza, élève en dernière année. Même constat chez Don Divin Muhoza, qui rêve d’étudier les statistiques à l’université : « Comme les élèves de la section Langues ne peuvent pas passer le test d’entrée dans cette filière, j’ai préféré m’orienter vers les sciences. »

Gertrude Simbananiye, directrice du Lycée Municipal de Rohero, confirme la faiblesse du niveau de français parmi ses élèves. Pour y remédier, elle a instauré une règle obligeant les apprenants à poser leurs questions en français, mais beaucoup peinent à s’exprimer et finissent par abandonner.
Elle identifie plusieurs causes à cette dégradation « Les enfants sont absorbés par leurs téléphones. Ils connaissent tout ce qu’ils y trouvent, mais ne lisent plus de livres », regrette-t-elle.

La directrice pointe également la perception négative de la section Langues : « Les parents et les élèves la considèrent comme un refuge pour ceux qui ont échoué en sciences. Pourtant, toutes les matières sont enseignées en français », souligne-t-elle, non sans amertume.

Un programme qui fragilise l’apprentissage du français

Les enseignants interrogés par Jimbere estiment que la réforme de l’école fondamentale a largement contribué à la baisse du niveau de français. Dans les sections scientifiques, les élèves ne bénéficient que d’une heure de cours de français par semaine — un volume jugé insuffisant pour maîtriser la langue et suivre les autres disciplines. « Ils apprennent sans comprendre », résume un enseignant.

Même en section Langues, où l’horaire atteint pourtant dix heures par semaine, l’apprentissage s’en trouve affaibli. Certaines matières, comme la biologie ou la géographie, ont été retirées du programme, privant les élèves d’occasions d’enrichir leur vocabulaire. « Avant, les élèves connaissaient des mots comme os ou climat tropical. Aujourd’hui, ces notions leur échappent », déplore Évariste Niyonkuru, enseignant de français.

Des initiatives locales, mais des moyens insuffisants

Au Lycée Municipal de Kamenge, la direction a instauré une règle obligeant les élèves à s’exprimer exclusivement en français dès la 7ème année. En cas d’infraction, une « carte de sanction » est remise et doit être transmise à un autre élève fautif. L’objectif : encourager la pratique quotidienne du français, langue d’enseignement principale.
Depuis la mise en place de cette mesure, la fréquentation de la bibliothèque a progressé pour atteindre 60 %.

Mais malgré ces efforts, le manque de manuels et de ressources pédagogiques freine les progrès. La direction appelle l’État à renforcer l’appui matériel et invite les parents à s’impliquer davantage.

Les enseignants, à l’instar de M. Diomède Niragira, constatent quant à eux que la faible maîtrise du français entrave la compréhension des cours et les résultats scolaires. « Beaucoup d’élèves apprennent sans vraiment comprendre le sens des mots. Cela complique la transmission des savoirs », explique-t-il.

Des séances de remédiation sont organisées, mais elles restent insuffisantes. Les enseignants plaident pour une augmentation du volume horaire consacré à la langue française afin de redonner à celle-ci la place qu’elle mérite dans le système éducatif burundais.

Vers une réforme de fond

Face à cette situation, les propositions se multiplient. Révérien Ntirampeba, élève, suggère la création de clubs de langue et l’organisation de cours de français tous les samedis, centrés sur les bases. À Bujumbura, David Ninganza, représentant adjoint de la Solidarité des Jeunes pour la Paix et l’Enfance (SOJEPAE), met en garde contre les effets de la réduction des heures de français, qui risque de compromettre l’avenir universitaire des élèves. Il plaide pour un renforcement de l’enseignement du français à tous les niveaux et pour la multiplication des espaces de lecture.

Un constat s’impose : sans un sursaut collectif, la qualité de l’éducation au Burundi demeure menacée. Enseignants, responsables et acteurs du secteur éducatif appellent à une réforme en profondeur. Parmi les pistes évoquées : réintroduire certains éléments de l’ancien programme, intégrer la bande dessinée dans les écoles primaires et promouvoir la littérature à chaque niveau d’apprentissage. Des mesures qui, espèrent-ils, permettront de redonner au français sa place de langue d’enseignement et de culture.

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