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Université du Burundi, le grenier du savoir en crise

Le départ massif du personnel de Rumuri suscite des inquiétudes, soulignant un tas de défis de l’institution pour maintenir son rang. Les conditions de vie précaires et le manque d’épanouissement professionnel sont entre autres cités comme les principales causes de ce phénomène. Le point.

Il y a quelques mois, un cadre d’une ONG relatait un cas insolite : il était surpris de recevoir des candidatures pour un stage dans l’un de ses services, notamment celle d’un enseignant d’une des universités basées au Burundi. Cette situation lui semblait difficile à comprendre.

Pourtant, une correspondance d’alerte adressée au ministre de l’Éducation nationale et de la Recherche scientifique Audace Niyonzima, le recteur de l’université du Burundi a révélé un mal plus profond que ne le pensait ce cadre : les départs sont massifs et les conséquences graves.

Catégories /année2020202120222023Jusqu’au 15/12/2024
Femmes656926
Hommes1220213491
Enseignants1441041
Non enseignants1721233377
Total18252743118

Désaccords autour des chiffres et des raisons

Pour Désiré Nisubire, président du syndicat du personnel enseignant de l’Université du Burundi, les chiffres évoqués dans la correspondance du recteur sont faibles par rapport à la réalité : « Je ne sais pas si le recteur a fait le tour de tous les campus, mais les chiffres avancés correspondent à ce que nous avons remarqué dans seulement 4 facultés. Je crois aussi que les départs récents n’ont pas été généralement considérés, sinon les départs des professeurs titulaires s’évaluent à plus de 50 en 2024. »

Et de conclure que d’autres professeurs se préparent à partir : « Peut-être qu’ils attendent leurs billets d’avion ou la finalisation des signatures de leurs contrats… »

Contacté, Audace Niyonzima, recteur de l’université du Burundi, évoque la confidentialité de cette situation tant qu’un rapport détaillé, incluant les voies de sorties n’est pas encore soumis au ministère de tutelle.

Pour autant, suggère-t-il, ces départs ne doivent pas être tous considérés comme des fuites : « Il y a ceux qui partent en retraite, d’autres bénéficient des bourses d’études à l’étranger, et bien sûr, ceux qui partent à la quête d’autres opportunités. »

Quid des raisons de ces départs

Désiré Nisubire : « Les départs sont liés à la petitesse du salaire. »

A ce sujet, Désiré Nisubire n’y va pas par quatre chemins : « Il n’y a pas à chercher de midi à 14heures. Ces départs sont tributaires du salaire insignifiant qu’ils perçoivent, ce qui crée des conditions de vie précaires avec le coût de la vie au Burundi qui devient cher du jour au jour. »

Actuellement, fait-t-il savoir, un enseignant qui est embauché au Burundi ne totalise pas 200$ de salaire par mois alors qu’à l’université officielle de Bukavu en RDC, le salaire mensuel oscille autour de 2.000 $ et 4.000$ ailleurs en Afrique : « Comment est-ce qu’on peut imaginer que ces gens-là vont rester ?»

Bien plus, souligne-t-il, à l’une des universités privées burundaises, un professeur chargé de cours touche 1. 800. 000 BIF, alors qu’à l’université du Burundi, il touche 1.100. 000 BIF. Par mois. Quant aux enseignants assistants, ils sont en dessous de 700.000BIF.  Comparativementaux pays de l’Afrique de l’Est, M. Nisubire fait savoir que le salaire d’un enseignant d’université est de 2000$ voire plus.

Et de se demander : « Qu’est-ce qui m’empêcherait, par exemple, d’être recruté à l’université Lumières de Bujumbura, ou bien par l’université Espoir d’Afrique, ou encore par l’université de Ngozi, quand la différence de salaire se calcule en millions pour les enseignants avec un même diplôme ? »

Un joug pour ceux qui restent

Pour le syndicaliste, le départ des enseignants de l’université du Burundi pèse lourd sur leurs collègues qui décident de rester : « on dirait que c’est punir celui qui n’est pas encore parti. » En effet, ces derniers doivent fournir beaucoup d’efforts pour exécuter toutes les tâches vacantes.

Actuellement, certains cours ne sont plus dispensés sans parler des filières qui sont désormais quasi-inexistantes suite au manque de personnel enseignant : « Ou bien ils vont faire appel aux enseignants externes pour terminer les matières. Et les années vont continuer à être élastiques. »

Un manque de volonté politique

Pour le professeur Julien Nimubona, ancien ministre d’Éducation nationale et de la Recherche scientifique, le mal est plus profond : « Quand vous avez des discours des hautes autorités qui dénigrent la science, d’autres qui essaient d’exalter le succès d’un paysan qui produit le maïs sous motif qu’il dit qu’il n’a pas fait d’ingénierie, ou encore d’autres qui disent que les gens qui partent à l’étranger n’ont pas de patriotisme, cela traduit un malaise, un problème de la considération de la science, de la considération des scientifiques, de la conscience de l’apport de la science au développement économique . »

Et de noter que même la réussite de la vision 2040-2060 ne sera réalisable que le pays développe le secteur tertiaire dont la technologie de l’information et de la communication qui sont des domaines de recherche par excellence. « Je voudrais dire à nos dirigeants qu’aucun pays au monde ne s’est développé sans s’appuyer sur une bonne éducation et sur une bonne recherche par excellence », prévient-il.

Tout le pays en souffre

M. Nisubire soulève le risque de perdre la qualité à l’université : « Quand une université peut passer deux voire trois mois sans aucune conférence, tout le monde étant préoccupé par la manière dont leurs proches peuvent survivre, ce qu’il y a un problème. »

La fuite de cette intelligentsia, précise-t-il, touche également les autres aspects de la vie nationale : « Les gens qui partent, étaient des gens que beaucoup d’autres institutions utilisaient pour les consultances, dans l’élaboration des plans stratégiques, qui animaient les ateliers, les séminaires, qui enseignaient, par exemple comment cultiver, comment bien récolter, les agronomes. Là, il faut s’attendre au pire quand, généralement, ces gens ne sont plus au pays. »

Quant au recrutement de nouveaux enseignants comme un remède aux départs des seniors, le syndicaliste fait remarquer : « On peut engager, mais on ne remplace pas une personne. On devrait engager les assistants qui, généralement, en présence des enseignants seniors, vont apprendre comment enseigner, comment faire la recherche. »

Nécessité des solutions durables

Outre le recrutement qui s’avère urgent, le syndicaliste recommande la mise en exécution de la politique salariale dans les meilleurs délais, mais également d’une politique incitative pour retenir ce personnel.

Quant au professeur Julien Nimubona, il faut jouer sur plusieurs tableaux. D’abord, il recommande au gouvernement de donner les chances de bourses de formation doctorale aux assistants afin d’avoir ceux qui restent malgré les départs.  Ensuite, il faut inciter les jeunes docteurs à entrer à l’université en augmentant leur rémunération, mais aussi en jouant sur les primes et indemnités de logement et de recherche.

Pour lui, l’État devait se référer aux autres pays, en procédant à l’incitation à la recherche, notamment par des exonérations qui peuvent être faites sur l’achat du matériel pédagogique.

Une autre solution proposée par M. Nimubona, est le protocole d’écoute, de cadre de dialogue, d’échange, où ils parlent de leurs problèmes à travers ce qu’il appelle une sentence arbitrale, laquelle avait apporté de bons fruits lorsqu’elle était encore en place.

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