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Le très faible taux de chômage des Burundais, l’arbre qui cache la forêt

Cet article parle des chiffres officiels. Les derniers en date sur le taux d’activité* dans le pays : au niveau national, 78,1% de la population sont des actifs occupés (ont un emploi), 20 % des inactifs, et 1,9% des chômeurs, au sens large, selon l’Isteebu.

Trois chercheurs, Gilbert Niyongabo (Université du Burundi), Ephrem Niyongabo (Institut de développement économique du Burundi – IDEC), et Fidèle Iranyibutse (Institut de Statistiques et d’Etudes Economiques du Burundi – Isteebu), se sont appuyés sur ces données – de l’enquête modulaire sur les conditions de vie des ménages (2013/2014) – pour discuter des tensions sur le marché burundais de l’emploi, et ont produit un papier, plutôt intéressant, en cours de publication, intitulé « Déterminants du chômage et du sous-emploi au Burundi ».

Pour les chercheurs, le très faible taux de chômage au niveau national, souligne la pertinence de lui adjoindre le taux de sous-emploi. Par exemple, en se basant sur le document du Cadre stratégique de croissance et lutte contre la pauvreté (CSLP II 2012-2016), ils rappellent que la très grande part de main d’œuvre au Burundi, soit un peu plus de 95%, est employée dans l’agriculture.

Toujours en parlant du secteur agricole, ils montrent, d’autre part, que le sous-emploi y est élevé, plus que dans toutes les autres branches d’activité, avec un taux de 65,5%. Pour rappel, le domaine est dominé par une agriculture vivrière d’autoconsommation, orphelin d’appuis financiers, notamment pour évoluer vers une agriculture plus orientée vers le marché, capable d’offrir des emplois plus durables et stables.

Conséquences

Logiquement, cette situation dans le monde rural se traduit par une ruée vers la ville. « L’herbe est toujours plus verte ailleurs », dit-on. Désenchantés, les plus jeunes (60% de la main-d’œuvre dans l’agricole), en centaines de milliers, viennent alors grossir les rangs des chômeurs. Du coup, le chômage est plus important en milieu urbain qu’en milieu rural, avec un taux, au sens large, de 14,7%. Par rapport à l’âge, le phénomène de chômage touche particulièrement les jeunes de 15-35 (3,7%), alors qu’il n’est que de 1% en moyenne dans la tranche d’âges de 36-64 ans, et de seulement 0,1% pour les individus de 65 ans et plus.

Le poids du secteur informel dans l’économie

Comme le montre les données de l’enquête, la part de l’informel dans l’économie burundaise est réelle. « Sur les 522 481 emplois non-agricoles identifiés dans le cadre des activités exercées à titre principal, 76% des emplois proviennent du secteur informel. L’administration publique vient en deuxième position (14%), le secteur privé formel et les entreprises publiques et parapubliques concernent seulement 10% des emplois offerts au Burundi. Par ailleurs, pour les activités en marge de l’activité principale (activités secondaires), elles sont estimées à 180 258 emplois et la quasi-totalité (174 320) de ceux-ci proviennent du secteur informel. Au total, le secteur informel non-agricole cumulerait donc 83,1% du total des emplois dans le pays », lit-on dans le rapport de l’enquête de l’Isteebu.

L’épine dans le pied ? « Malheureusement, le secteur bien présent dans l’économie nationale, échapperait aux politiques et règlementations de l’État, lui laissant une faible marge de contrôle sur la création d’emploi et le développement du secteur privé. » Avec une telle situation, un grand nombre d’individus se retrouve dans une situation sous-emploi. Ici, les chercheurs ont retenu deux formes de sous-emploi : le sous-emploi lié à la durée de travail et celui lié à la rémunération.

Pour le premier, en considérant que la durée de travail est de 40 heures, correspondant à la durée hebdomadaire réglementaire, est en situation de sous-emploi, toute personne qui travaille involontairement moins de 40 heures dans son activité principale. Un niveau de sous-emploi de 39.8%. Pour le second, est considéré comme étant en situation de sous-emploi lié à la rémunération, toute personne dont le rapport du revenu au temps consacré à l’activité principale, est inférieur au seuil déterminé en rapportant la valeur du Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) au volume horaire mensuel prévu par la réglementation en vigueur (40 heures par semaine dans le contexte du Burundi). En tenant compte de l’évolution de l’inflation, en 2014, le revenu annuel estimé à 418 825 Fbu en milieu rural, contre 638 210 en milieu urbain de Bujumbura et Gitega, le taux de sous-emploi lié à la rémunération est de 22%, aussi élevé, mais moins que le sous-emploi lié à la durée du travail.

Les six propositions des chercheurs

D’un, susciter les investissements tant nationaux qu’étrangers, en renforçant un environnement des affaires, propice à la sécurité des investisseurs. De deux, définir une véritable politique de développement industriel, qui permettrait de mettre en place des conditions attrayantes à un plus grand nombre d’entreprises qui, en s’installant, généreraient des emplois salariés. De trois, appuyer le secteur informel pour une meilleure valorisation de ce dernier, par le développement de nouvelles formations aptes à rendre plus optimale la production dans ce secteur, et améliorer sa rentabilité.

Quatrièmement, adapter la formation aux besoins du marché du travail, notamment par le biais de formations qualifiantes. Cinquièmement, faciliter l’accès au crédit pour le financement de l’auto emploi en général, et en particulier pour les jeunes et les femmes. Sixièmement, renforcer dynamisme du secteur agricole afin qu’il offre des emplois plus durables et stables. Cela passerait par la résolution de problèmes entravant l’accès au capital productif.

En tant que citoyens, nous pouvons témoigner que l’Etat, dans son agenda, a pris en compte toutes ces propositions. Mais, comme l’évoquent si bien les chercheurs, les effets en faveur de l’emploi, ne seront perceptibles sur le terrain, que si la volonté politique se traduit par des actes concrets. « I have a dream ».

Bon à savoir

1. Le taux d’activité est le rapport entre l’effectif de la population active et celui de la population en âge de travailler. Cet indicateur renseigne sur le potentiel productif d’un pays.

2. Au sens strict du BIT (Bureau international du travail), une personne en âge de travailler, est en situation de chômage, si elle est sans emploi, disponible à travailler et à la recherche active d’un emploi. Ce dernier critère est généralement relâché pour définir le chômage élargi dans les pays sous-développés, ne disposant réellement d’infrastructures adéquates ou efficaces pour la recherche active d’emploi.

3. Les raisons d’inactivité de la population de 15ans et plus sont, entre autres, la situation d’handicap, la scolarité, le travail dans les ménages pour les femmes.

Dans le cadre du projet « Tuyage » financé par l’USAID, le Magazine Jimbere s’associe avec Search For Common Ground au Burundi (partenaire de mise en œuvre du projet) dans la production d’une série d’articles économiques

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