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Théâtre: MAL(E), le coup de maître de CLIV pour sa première

La troupe CLIV signait son entrée dans l’arène théâtrale burundaise à Buja Sans Tabou ce 30 avril. Pour sa première, la pièce Mal(e) détricote avec brio les fils d’un amour sortant du champ des possibilités d’un Lazario, domestique envers Anny sa patronne dont il va tuer le mari. Zoom.

Quelle est la recette pour faire une bonne pièce de théâtre ? Prenez un peu d’amour, ajoutes-y de la passion, saupoudrez avec un grain de noir, une mort par exemple, une amante qui donne pas gain de cause à des sentiments d’amour lui avoués, agitez le mélange avec les petites déconvenues qui peuplent la vie ; le malheur des enfants de la rue dont «Sayidia mama» devient l’unique salutation à tout passant, le convoyeur qui rentre sans sou après une journée de dur labeur et obtenez le résultat : une création troublante et illusoire. Mal(e), écrite par Pascal Hakizimana, mise en scène par lui-même et Alain Pascal Simbabaje, jouée par la troupe théâtrale CLIV, est un coup de maitre dont la frontière entre comédie et tragédie est difficile à cerner.

Quand le burlesque se mêle au désarroi

L’histoire mise en scène par Mal(e) est celle d’Anny dont le mari meurt empoisonné. Mais qui aurait bien pu l’empoisonner ? La trame de la pièce est jetée juste au tout début. Dans la tête d’Anny, il n’y a qu’une personne dont cette mort peut profiter, Muerte, un ami de son mari qui la courtise depuis un bon bout de temps. La pièce met en scène également l’infortuné Lazario, un domestique bavard, malgré la mort de son patron survenue en son absence.

Celui-ci, mesquin et ironique parle par provocation que par conviction. C’est le cas surtout quand Muerte vient rendre visite à Anny sous prétexte de la consoler alors que son envie est tout autre : la séduire alors qu’elle est en deuil. Muerte a tendance à donner priorité à ses sentiments et sa personne avant de se soucier d’Anny. La douleur et la peine de celle-ci s’en retrouvent accentuées et la confusion est totale pour elle qui ne sait pas s’il faut chasser Muerte de chez elle ou pas.

Un dénouement très inattendu

Quand Anny eu le courage d’appeler Lazario pour chasser Muerte, c’est là où tout va basculer. En effet, Lazario dans une sorte d’interrogatoire par sa patronne et Muerte, cède et admet qu’il savait que les deux couchaient ensemble. La nouvelle prit de court Anny. Et si Lazario avait révélé son infidélité à son mari ? Et s’il s’était suicidé?

Il faudra attendre la fin pour voir l’auteur nous révéler la supercherie ou la vraie nature de Lazario. D’après le testament du défunt, c’est à Lazario, son « loyal » domestique que revient toute sa fortune au détriment de sa femme.

Lazario s’empressa d’aller demander la main de sa patronneː « Maintenant je suis riche…aimez-moi », Anny en perd la tête. Dans cette partie, l’auteur joue avec les sentiments du spectateur. Il présente Lazario sous un autre jour, non plus héroïque mais lâche et nombriliste. En effet, Lazario indifférent, admet être l’assassin de son patron. Oh le choc ! Le spectateur est pris à contre-pied. Lazario qu’il prenait jusqu’ici comme un héros se révèle plutôt un anti-héros qui mit sur pied un plan machiavélique pour s’attirer les grâces d’Anny.

Bel effet pour lequel Lazario se décrit comme une victime d’un amour à sens unique qui n’a eu d’autres choix que d’empoisonner son patron pour le faire souffrir comme il a souffert, ne pouvant accéder à sa femme Anny. De cette façon, l’auteur met en scène l’emprise de l’amour, la difficulté d’aimer, de pouvoir avouer ses sentiments.

Au finish, nous avons une illusion comique qui donne lieu à une tragédie, un théâtre dans un théâtre réussi de main de maître par l’auteur qui joue avec la curiosité du spectateur et le tient en haleine du début jusqu’à la fin. Le spectateur perplexe n’aura pas vu le temps passer et en redemande encore.

La troupe théâtrale CLIV est la dernière des compagnies du théâtre burundais. Il regroupe des jeunes qui se sont rencontrés à partir de l’année 2019 dans différentes formations sur le théâtre organisées par différentes compagnies et Buja Sans Tabou et qui se sont mis ensemble pour créer leur propre compagnie au lieu d’intégrer les autres troupes déjà existantes. Après leur première pièce de théâtre mal(e) jouée à Buja Sans Tabou, vendredi le 30 avril 2021 et mise en scène par le duo Pascal Hakizimana et Alain Pascal Simbabaje, le Directeur artistique de Buja Sans Tabou Freddy Sabimbona laudatif, a salué le talent et l’originalité de la troupe qu’il trouve très prometteuse « Ils viennent de mettre la barre très haut, s’ils continuent dans ce sens, nous allons être obligés de prendre la retraite», a-t-il glissé joyeusement. Ce qu’il trouve très fascinant chez cette troupe, c’est la capacité et la maturité de l’auteur à construire une telle intrigue, l’exigence mais aussi la qualité du jeu proposée par les comédiens.

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