Depuis 2003, a été adoptée la stratégie de Prise en Charge Intégrée des Maladies de l’Enfant (PCIME) au Burundi. La prise en charge de la malnutrition étant l’une des de ses composantes, comment est-elle mise en œuvre au niveau des établissements de santé? La question a récemment fait l’objet d’une publication. Entretien avec son auteur, le Dr Manassé Nimpagaritse
Quels sont les principaux résultats de l’étude ?
Nous avons voulu savoir les questions posées par le prestataire lors des consultations curatives comparé aux questions qu’il devrait poser. Et s’il réalise en totalité ou pas les examens physiques exigés. En tout, le prestataire doit poser sept questions à l’enfant de moins de deux ans, incluant des questions liées à l’allaitement. Et cinq questions pour l’enfant allant de deux à cinq ans. Globalement, il ressort que ces questions ne sont pas posées pour la majorité des enfants qui se présentent en consultation curative. Pour les enfants de moins de deux ans : aucun avait été posé les sept questions, et moins de 30%, les questions sur l’allaitement. Pour les enfants de plus de deux ans : à aucun parmi eux on avait posé toutes les cinq questions, et seulement chez 3 % d’entre eux, tous les examens spécifiques avaient été effectués. Par rapport aux prestataires, sur les 145 enquêtés : 99 qui avaient reçu des enfants de moins de deux ans, seuls 21 avaient systématiquement posé la question sur l’allaitement de l’enfant. Uniquement 56 avaient pesé ou discuté le poids de l’enfant pris avant la consultation curative, et seuls 26% avaient mesuré la taille de l’enfant ou discuté avec la maman de la taille qui avait été prise dans d’autres endroits. Pis encore, 50% des prestataires n’ont jamais donné de conseils nutritionnels.
Est-ce que vous vous attendiez à ces résultats ?
Non. La PCIME est une stratégie qui a bénéficié d’appuis importants, et on considérait qu’elle était bien mise à contribution du moment que c’est une stratégie à courte durée. Mais d’un autre côté, je dirais qu’on pouvait s’y attendre vu la persistance des cas de malnutrition chroniques qui s’élèvent à 56 % et une malnutrition aiguë qui reste quand même dans les 5%.
Vous indiquez que 50% des prestataires reconnaissent n’avoir jamais donné de conseils nutritionnels. Quel enseignement devrait-on tirer de ces chiffres ?
La leçon est simple. Nos prestataires font probablement la routine et se limitent à la plainte du patient. On se rend compte que ce n’est pas inculqué dans leur pratique quotidienne de penser à la malnutrition, de s’imaginer que derrière la fièvre qui se présente, il y’a probablement des cas de malnutrition qui peuvent se cacher. Penser à la malnutrition reviendrait à discuter avec la maman de l’enfant sur le poids, sur l’allaitement de l’enfant, à chercher à savoir si tout va bien à la maison, etc.
Cela voudrait donc dire que l’on passe probablement à côté de certains cas de malnutrition lors des consultations …
Absolument. C’est dans un autre article à venir mais d’ores et déjà l’on sait qu’il y a des cas d’enfants en consultation que l’on laissait partir alors qu’ils étaient mal-nourris parce que l’on n’a pas correctement investigué. Bien sûr, il y a des cas qui entrent en consultation dans un état délétère où l’on peut voir déjà que l’enfant est mal-nourri. Ceux-là, ils ne les loupaient pas. Mais pour des cas qui exigent la prise des paramètres anthropométriques et des calculs, on a absolument trouvé des faux négatifs.
Pourquoi, la prise en charge de la malnutrition a-t-elle du mal à s’ancrer dans la pratique quotidienne des professionnels de la santé alors que les chiffres de malnutrition infantile sont alarmants dans notre pays ?
De un, ce n’est jamais une plainte. Il est rare que la maman qui arrive en consultation curative se plaigne que son enfant ne grandit pas comme les autres. Et comme ce n’est jamais une plainte, les prestataires ont pris cette habitude comme quoi tout enfant mal-nourri se présente directement le jour du dépistage. La consultation curative n’est plus donc vue comme un canal qui peut servir de diagnostic de malnutrition. Si on considère les curricula de formation de nos prestataires, l’on peut se demander si l’on a des lauréats qui passent suffisamment de temps en contact avec les enfants mal-nourris. Ce n’est pas évident car les enfants (mal-nourris) viennent une fois la semaine ou les deux semaines. Et l’élève ou l’étudiant qui est en stage verra rarement les enfants mal-nourris. Troisième aspect. L’affaire de la malnutrition a longtemps été une affaire des ONGs dans le cadre humanitaire. Quand bien même vous regardez les services nutritionnels au niveau des structures sanitaires, c’est comme s’ils sont cachés et ce n’est jamais une infrastructure digne de recevoir un malade. On est resté avec cette image que les enfants mal-nourris ne passent pas par le même canal que les autres enfants. C’est pourquoi ils apparaissent seulement à ce jour dédié au dépistage de la malnutrition.
Dans vos recommandations, vous demandez que soit revisitée la stratégie du Financement Basé sur les Performances(FBP). Pourquoi ?
La stratégie FBP a été adoptée depuis 2010 afin d’inciter les structures hospitalières et les centres de santé à améliorer l’efficacité de leurs services. Dans la stratégie FBP, il y a des aspects d’évaluation de la qualité. Et cette dernière comprend notamment l’évaluation de la qualité des consultations curatives. Et avec ce qu’on a trouvé, on se demande si tous les enfants qui sont validés dans le cadre du FBP ont été soignés correctement. Et c’est là où l’on dit qu’il faudrait être un peu rigoureux dans la pondération de la qualité. Il ne suffit pas de soigner cent enfants. Encore faut-ils les soigner correctement.