
Les banques burundaises affichent une bonne santé : bénéfices en hausse, stabilité exemplaire, confiance retrouvée. Mais cette réussite ne doit pas masquer un paradoxe : un système bancaire florissant dans une économie réelle encore assoiffée de financement productif.
Entre prospérité financière et ambition nationale, il est temps d’apprendre à irriguer toute la vallée.
- La vache grasse et la vallée aride
Imaginez une vallée asséchée où un troupeau affamé erre, tandis qu’une seule vache, grasse et lustrée, se dresse, paisible.
Les villageois s’interrogent : comment prospère-t-elle là où les autres dépérissent ?
Cette image illustre le paradoxe burundais : un secteur bancaire performant, tandis que les PME, les agriculteurs et les jeunes entrepreneurs manquent toujours d’eau : de crédit à long terme.
La vache prospère prouve que le pâturage a du potentiel ; il faut maintenant que toute la vallée soit irriguée.
- Une réussite légitime mais partielle
Les chiffres sont clairs : selon la Banque de la République du Burundi (BRB), les bénéfices des banques ont progressé d’environ 20 % en 2025, et la solidité financière du système reste exemplaire.
Mais cette prospérité repose surtout sur (i) des activités à faible risque : obligations d’État, financement du commerce, opérations de change, crédits de consommation (ii) des financement alignés sur la durée de leurs ressources : des dépôts à vue ou des dépôts à terme de 1 an.
Rien d’anormal : les banques remplissent leur rôle prudentiel.
Mais la finance productive, celle qui irrigue les secteurs créateurs d’emplois, reste en marge.
Le défi n’est donc pas de blâmer le succès, mais de le relier à la transformation économique.
La Vision Burundi 2040–2060 exige une finance qui ose, qui investit, et qui accompagne.
- Des leçons à tirer du passé
Le pays a déjà tenté de corriger ce déséquilibre. Le mécanisme de financement des secteurs porteurs de croissance, initié par la BRB, avait permis aux banques de financer des projets industriels à long terme.
Résultats : des réussites, mais aussi des abus. Et en voulant corriger les excès, on a fini par jeter le bébé avec l’eau du bain.
Pourtant, cette expérience montre que le financement patient et structurant est possible, à condition d’être mieux encadré.
L’avenir réside peut-être dans des canaux spécialisés : les Institutions de Financement du Développement (IFD) — BNDE, BHB, BIJE, BIDF — qui doivent devenir le bras armé du financement productif.
Mais pour y parvenir, elles ont besoin d’un renforcement profond : gouvernance modernisée, expertise sectorielle, ressources longues. Elles doivent être capables d’évaluer le risque, de suivre les projets, et de soutenir la croissance sans fragiliser le système.
- Le PAEEJ : une graine à faire pousser
Le Programme d’Autonomisation Économique et d’Emploi des Jeunes (PAEEJ) illustre cette ambition.
Des milliers de jeunes ont accédé à un financement pour créer ou développer leurs activités : agriculture, transformation, artisanat, services.
Les résultats sont visibles, mais les moyens encore limités. Le PAEEJ a planté les premières graines d’un financement inclusif. Il faut désormais cultiver le champ : renforcer les liens entre ce programme et les IFD, permettre aux jeunes entreprises viables d’accéder ensuite au financement bancaire classique, et associer le secteur privé à l’accompagnement technique.
Ainsi, les initiatives publiques deviendront des tremplins, et non des expériences isolées.
- Vers une stratégie nationale coordonnée du financement du développement
Au niveau national, il devient urgent d’élaborer une stratégie coordonnée du financement du développement, intégrant l’ensemble des IFD existantes dans une approche complémentaire et concertée. Cette stratégie devrait reposer sur trois piliers :
- La coordination institutionnelle – instaurer un cadre de concertation permanent entre les IFD, les autorités monétaires et les partenaires techniques pour éviter la dispersion des interventions et mutualiser les efforts.
- La segmentation et la spécialisation – définir clairement les champs d’action de chaque institution selon ses compétences (logement, agriculture, industrialisation, entrepreneuriat des jeunes, etc.), afin d’éviter les chevauchements et d’optimiser l’impact sectoriel.
- La stratégie de mobilisation des ressources – développer des mécanismes modernes de levée de fonds (emprunts obligataires, partenariats public-privé, coopération avec les bailleurs et fonds d’investissement régionaux) pour doter les IFD de moyens financiers à la hauteur de leurs ambitions.
Une telle approche permettrait de transformer la mosaïque d’institutions existantes en un véritable écosystème intégré, capable de canaliser efficacement le financement vers les secteurs productifs et d’assurer un impact durable sur la croissance.
- Responsabiliser les partenaires internationaux
Le Burundi ne peut relever seul le défi du financement long.
Les institutions internationales et régionales (IFC, BAD, TDB, FSA, PROPARCO, BIO, etc.) ont un rôle crucial à jouer.
Mais trop souvent, elles considèrent la fragilité économique du Burundi comme une raison d’hésiter. Or, cette fragilité devrait être une raison d’intervenir davantage, car c’est dans les économies vulnérables que leur mission prend tout son sens.
Elles doivent mettre de l’eau dans leur vin, assumer une part du risque et soutenir la montée en capacité des institutions locales.
💬 « Le développement ne se finance pas en se protégeant du risque, mais en apprenant à le gérer collectivement. »
- Les marchés de capitaux : irriguer la vallée entière
Enfin, le Burundi doit activer un véritable marché des capitaux, pour compléter le rôle des banques.
Obligations vertes, sukuks, titres de la diaspora, fonds d’infrastructure : autant d’outils capables de canaliser l’épargne nationale vers les projets stratégiques.
Les fonds de pension et compagnies d’assurances disposent déjà de ressources considérables ; encore faut-il les orienter vers la production, pas seulement vers la sécurité.
Les marchés de capitaux, s’ils sont bien encadrés, peuvent devenir le réseau d’irrigation durable de notre économie.
- Conclusion : nourrir tout le troupeau
Le Burundi peut se réjouir de la bonne santé de sa vache : son système bancaire.
Mais la Vision 2040–2060 appelle à revitaliser tout le pâturage.
Renforcer les IFD, structurer des programmes comme le PAEEJ, impliquer des partenaires internationaux plus audacieux et dynamiser les marchés financiers : voilà la voie d’une prospérité partagée.
Alors, la vache ne sera plus seule à briller : le troupeau tout entier retrouvera sa vigueur, et la vallée sa verdure.




