Le paysage de la région d’Imbo et plus particulièrement de Rumonge est surtout connu pour des plantations de palmiers à huile qui s’étendent à perte de vue. Longtemps source de richesse pour la population, aujourd’hui le palmier à huile n’attire plus comme avant. Les producteurs en viennent à arracher les palmiers pour y planter d’autres cultures, surtout vivrières. Une première dans l’histoire de cette région.
La commune de Rumonge surplombe le lac Tanganyika. Tout au long de ce lac se trouve les plantations de palmiers à huile à perte de vue. Sur la RN3 qui longe le lac ou sur la route Rumonge-Bururi, il n’est pas rare de rencontrer les transporteurs de l’huile de palme. Ils sont sur vélo ou dans des camionnettes, tous à destination des provinces éloignées non productrices de cette denrée.
Derrière ce panorama se cache une autre réalité : les agriculteurs ne sont plus attirés par cette culture qui fait vivre les ménages de la région par l’argent qu’ils en tirent et l’huile que la population des autres régions utilise dans la cuisson.
Le palmier à huile, la carte postale de Rumonge et ses environs
Nathanael Binyaruka est un ancien agronome de l’Office de l’Huile de Palme à Rumonge. Toute sa vie professionnelle, il l’a consacrée à l’amélioration de la production du palmier à huile. Pour lui, le palmier à huile a une histoire. Il a été introduit en Commune de Rumonge de manière industrielle en 1983. A l’époque, c’était la Société Régionale de Développement de la commune de Rumonge (SRD Rumonge) qui a apporté un changement dans la culture du palmier à huile. « Son projet est venu dans l’objectif de changer ou bien implanter une nouvelle variété Tenera car la variété qui était cultivée s’appelait Dura et donnait une production insuffisante. Or avec cette nouvelle variété Tenera, elle était très productive mais aussi précoce », confie Nathanael Binyaruka.
D’après toujours ce retraité de l’OHP, cela a été possible grâce aux commandes de graines germées pour faire une pépinière de cette variété Tenerra en 1983. « Cette variété, comme je vous l’ai dit, est précoce. Après sa mise en place, elle commence à produire, à émettre des efflorescences mâles et femelles à l’âge de 4 ans. Mais dans les bonnes conditions, elle peut commencer à produire à l’âge de 2 ans et demi. C’est une expérience que j’ai eue », souligne-t-il.
Une chute de production aux conséquences désastreuses

Lorsque Nathanael Binyaruka essaie de comparer la production à l’époque de la SRD et celle d’aujourd’hui, il trouve que les plantations de palmiers à huile de l’époque étaient bien entretenues mais également bénéficiaient des apports en engrais chimiques grâce aux financements de la Banque Africaine de Développement (BAD).
Il n’oublie pas de souligner le rôle des agronomes qui faisaient un suivi rigoureux des plantations : « Les agronomes, à l’époque, étaient obligés de loger tout près des plantations. Donc l’encadrement était rigoureux. Mais quand on a changé. Quand l’OHP est venu, il y a eu des questions d’engrais chimiques. La BAD, qui était le fournisseur de ces engrais chimiques, a arrêté de les fournir. Alors, s’il était temps d’inviter les cultivateurs de palmier à huile à donner leur apport ; ce qu’ils n’ont pas fait. Ils ne le font pas. Or, comme il y a des éléments minéraux exigés, la production a chuté et c’était évident ».
Un constat similaire chez Marc Niyongabo, un autre agriculteur du palmier à huile de Rumonge. Il est propriétaire d’un demi-hectare obtenu en 1987. Il fait savoir qu’on leur donnait du fumier et autres intrants, qu’il n’y avait pas d’obligation de cultiver du palmier et qu’on pouvait cultiver même des haricots, maïs, légumes, etc.
Pour lui, il faut chercher la cause de la hausse du prix de l’huile de palme dans la faible production : « Avant on nous donnait de l’engrais pour que le palmier à l’huile puisse avoir de production mais maintenant on ne nous donne rien. »
Il ajoute : « Il y a quelques années, nous pouvions avoir 30 tonneaux mais aujourd’hui nous n’obtenons que 5 tonneaux seulement. Avant un tonneau pouvait s’acheter à 400 ou 500.000 FBU mais aujourd’hui on l’achète à un million. »
Le palmier à huile, une culture qu’il faut sauver à tout prix
Les personnes rencontrées à Rumonge, producteurs comme utilisateurs de cette denrée alimentaire, sont unanimes pour vanter les qualités de l’huile de palme. Edouard Niyongabo est l’un des producteurs de l’huile de palme. Pour lui, cultiver le palmier à huile a plusieurs avantages évidents : « Si tu vends un Rudi Paints, tu envoies les enfants à l’école, tu t’achètes des habits et tu peux acheter des briques pour construire une maison. Un Rudi Paints s’achète aujourd’hui à 1.200.000 FBU. Si tu as au moins 10, c’est le développement de ta famille et du pays qui est assuré. Avec cet argent, tu peux acheter une propriété foncière et construire une maison.»
D’après lui, avec 5 ha, on peut facilement produire 10 Rudi Paints en l’espace de deux mois. Or, la même superficie pouvait rapporter 20 Rudi Paints lorsqu’on utilisait de l’engrais.

Selon Gaudence Nizigiyimana, Directrice générale de l’OHP, la production de l’huile de palme ici au Burundi n’est pas satisfaisante en général mais si on compare avec les années précédentes, on note quelques progrès. « En 2022-2023, l’OHP a produit 31.000 tonnes de l’huile. Au cours de l’année 2023-2024, elle a eu 41.000 tonnes. En 2024-2025, l’entreprise envisage produire 51.000 tonnes de l’huile de palme ». Elle apporte des preuves de cette avancée en termes de production car au cours de la saison culturale A, sur 25.000 tonnes de prévisions, l’OHP a déjà produit 29.987 tonnes ; ce qui témoigne, dit-elle, une avancée significative dans cette filière.
Ainsi, comme l’explique le DG de l’OHP, « L’huile de palme est utilisée en tant qu’aliment tandis que pour d’autres c’est la matière première qui est utilisée pour la transformation d’autres produits et si on regarde les statistiques, la moitié de l’huile produite par dans des usines de production, pour produire d’autres huile, de savons, détergent, etc. Ce qui peut expliquer la hausse de prix de l’huile de palme. Aujourd’hui, un kg de l’huile de palme coûte 4500 et dans des marchés de Rumonge c’est 5300f/kg. »
Les raisons de la hausse de prix
Jean Marie Niyongabo est le Vice-Président de l’association des palméiculteurs au Burundi. Il trouve qu’il faut chercher ailleurs les raisons du manque d’engouement de la population vis-à-vis de la culture du palmier à huile : « Il y a plein de raisons qui poussent à croire que la production de l’huile de palme a chuté car même dans les années passées, peu de gens mangeaient de l’huile de palme mais aussi le palmier se plantait à Rumonge. »
Dans cet élan, poursuit-il, la production n’est pas suffisante suite aux multiples raisons notamment le grand nombre de personnes qui consomment l’huile, les usines de transformation des autres produits à base de l’huile de palme qui se multiplient et qui cause le manque de l’huile.
Concernant la hausse des prix, il est nécessaire de fixer le prix selon les efforts et les moyens fournis pour avoir cette quantité d’huile. Si on compare avec les autres produits, l’huile semble marcher vu l’inflation qui s’observe.
Cyriaque Sibomana, comptable chez cette association, trouve que la production a chuté à cause de la diminution de la surface cultivée en palmier à huile car dit-il « à peu près 500 ha de palmiers ont été remplacés ».
L’autre raison est liée au manque d’engrais : « Avant il y avait un financement mais aujourd’hui ce n’est pas le cas, de surcroit le problème d’engrais reste toujours d’actualité même pour les autres cultures, le fumier pour le palmier est différent des autres cultures mais on n’a pas encore le fumier propre au palmier, on mélange tout. »
Les défis ne manquent pas
Parmi entre autres défis se trouve le budget insuffisant alloué à la culture, l’entretien et la commercialisation du palmier à huile, selon Gaudence Nizigiyimana, Directrice générale de l’Office de l’Huile de Palme de Rumonge. A cela s’ajoute la perte de l’huile de palme suite aux usines artisanales. « L’OHP prévoit la construction de plusieurs industries modernes qui permettront une grande production destinée à être exportée. »
Ensuite vient le manque d’intrants selon toujours Gaudence Nizigiyimana. Concernant le manque des intrants : « Ils viennent de l’étranger, on prend une année pour les préparer avant de les donner à la population à un prix modéré. Aussi, nous avons des encadreurs (Agronomes, techniciens,…) qui suivent la plantation, le sarclage,…Nous avons ainsi le service de transformation qui surveille la conformité des usines artisanales. Nous donnons des permis d’implantation pour chaque personne qui veut implanter une usine. Il doit renouveler son usine chaque année. Nous évaluons les statistiques pour savoir où on en est et où nous voulons arriver. Ce service récolte toutes les données pour voir ou mettre les efforts, le prix de l ‘huile de palme, etc. »
Une culture budgétivore
Un autre défi est lié à la population qui ne s’est pas encore approprié cette culture de l’huile de palme comme elle le fait avec d’autres cultures : « Ils pensent que c’est une culture sauvage alors qu’il demande des intrants, de l’entretien, etc. »
Pour Jean Marie Niyongabo, vice-président de la Fédération des Palmiers au Burundi, le premier défi consiste en périmètre de terre, sans oublier que la plupart de la population burundaise vit de l’agriculture. « Si par exemple nous calculons la moyenne de terres réservées à la culture des palmiers, c’est seulement 0,5 ha. Les terres sont devenues rares alors que la population augmente. Il faut de nouvelles techniques pour avoir une grande production. Le retour des réfugiés a occasionné des conflits fonciers », rappelle-t-il.
A côté du manque de fumier rapporté par la majorité des cultivateurs de palmier à huile, Jean Marie Niyongabo parle aussi des effets du changement climatique et les terres ont été détruites par les glissements, les inondations qui ont causé la perte d’autour 100 ha.
Il suggère un travail en synergie avec l’OHP pour trouver la solution aux multiples défis, « Par exemple, on pourrait étudier comment mettre en place une industrie propre aux agriculteurs de l’huile de palme. Cela demande beaucoup de moyens mais ensemble nous pouvons y arriver car les autres industries ne sont que des concurrentes et n’aident en rien aux paysans qui font la culture du palmier. »
Tout n’est pas perdu pour autant

Toujours selon Nathanael Binyaruka, les palméiculteurs comme lui, doivent améliorer l’entretien qu’ils font en y apportant le fumier organique et l’engrais chimique.
Dans le contrat avec OHP ou SRD Rumonge, il est permis aux palmeiculteurs, de vendre leurs palmiers à condition que l’acheteur respecte ce contrat. Autrement dit, il faut qu’il respecte l’entretien, donc qu’il continue l’entretien de ses palmiers. Aussi, il doit donner des apports en engrais chimiques.
Il voit dans la hausse du prix de l’huile de palme un avantage pour le palmeiculteurs, selon la loi de l’offre et de la demande : « L’huile de palme est très sollicitée dans les industries de transformation, dans les savonneries, il y a de l’huile raffinée. Dans les différentes usines, il y a beaucoup d’usines de transformation. C’est pourquoi l’offre est inférieure à la demande. »
La Directrice Générale de l’Office de l’Huile de Palme de Rumonge est catégorique. Dans la vision 2040-2060, la production sera multipliée par 3 de par la production de 2022-2023 de 31.000T à 10.000T et plus. Ceci doit se faire à travers de multiples travaux que nous effectuons surtout dans la plantation de nouveaux champs dans les régions où la culture du palmier n’est pas répandue (Moso, Cibitoke, Muyinga,…) : « Nous envisageons aussi collaborer avec la population dans le sarclage et l’arrosage des palmiers. En moyenne on obtient entre 8 et 9 Tonnes par Ha mais si on entretient bien ces palmiers on pourra avoir une production élevée sans attendre même 2040. »
Implication de l’administration locale
Quant au gouverneur de la province de Rumonge, les cultivateurs de palmiers à l’huile doivent premièrement changer le comportement et la mentalité. Ils doivent en deuxième lieu respecter les conseils et orientations de l’OHP pour une meilleure rentabilité en vue d’atteindre la vision du gouvernement en 2060.
Pour le vice-président de l’association des palmeiculteurs au Burundi, l’Etat doit mener des études sur les palmiers. « Quand ils sont attaqués par une quelconque maladie, nous ne pouvons pas connaître le type de maladie et comment l’éliminer. L’ISABU doit intervenir là-dessus. Aussi, l’implantation des usines modernes pour la fabrication de l’huile de palme devrait-être une priorité ».
Cyriaque Sibomana suggère enfin qu’il y ait des sensibilisations continues auprès des agriculteurs pour maintenir l’entretien des palmiers.
Au-delà du développement personnel de la population, Niyongabo trouve que les caisses de l’Etat profitent de cette culture car sur un tonneau d’huile de palme, 6000 sont versés comme taxes communales à 7000 FBU l’OHP.
La Directrice générale de l’Office de l’Huile de Palme de Rumonge invite la population de Rumonge à se regrouper en coopératives pour remplacer les usines artisanales par les usines modernes. Ainsi, dit-elle, « ils pourront produire beaucoup pour un large marché. »
Même son de cloche chez le gouverneur de la Province Rumonge : « Pour une petite comparaison, sur un hectare on devait avoir 5 tonnes, mais actuellement, on collecte 6 à 7 tonnes. En tant qu’administration, nous sommes en train de mobiliser la population, de la remonter au bien-être, de travailler dans les coopératives. »
Dans le budget 2023-2024, la somme allouée à un projet de développement de l’huile de palme s’élevait à 1.200.000.000 BIF tandis que pour l’année 2024-2025 elle est à 1.435.000.000 BIF avant d’être révisé.
