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Modesto Todeschi, une vie consacrée et un combat pour les plus faibles

36 ans dans son pays natal et 50 ans au Burundi, le Père Modesto aura consacré sa longue existence à servir Dieu et à défendre les plus démunis. Sa disparition laisse l’empreinte des souvenirs indélébiles autour de lui. Témoignages…

 Les derniers instants d’un homme de foi

Le père Modesto Todeschi, prêtre italien de la congrégation des missionnaires Xavériens, a rendu son dernier souffle le samedi 16 novembre 2024, suite à une inflammation pulmonaire, au dispensaire de la paroisse Saint Guido Maria Conforti de Kamenge. Avec la détermination et l’humilité qui le caractérisaient, il demanda : « Cherchez-moi un taxi moto. » Je préfère me faire soigner au dispensaire paroissial, refusant ainsi qu’on le transporte à l’hôpital en voiture. »

Né le 30 novembre 1938, Modesto allait célébrer sa 86ème bougie dans quelques jours. Il a été enterré au cimetière du Grand Séminaire de Bujumbura ce 20 novembre 2024, marquant la fin d’une vie dédiée au service des autres et aux défis du Burundi.

Un parcours missionnaire éloquent

Ce prêtre a été ordonné le 28 juin 1964 et affecté plus tard au Burundi en décembre 1966 où il a exercé sa profession religieuse dans 7 paroisses, à savoir Murago (Bururi : 1966-1971), Rumeza (Bururi : 1972-1975), centre pastoral de Buta (Bururi : 1977-1981), Buyengero (Bururi : 1990-1996), Gisanze (Muyinga : 1996-2002), Bujumbura-Kamenge-Rohero (2002-2014),  Bugwana (Kirundo :2014-2019), Bujumbura (Kamenge :2019-2024).

Il est reconnu pour avoir aimé et maîtrisé le kirundi et toute la culture burundaise, d’autant plus qu’il a été chargé d’apprendre le kirundi aux autres missionnaires au Centre pastoral de Buta.

Témoin des tragédies du Burundi

En 1964, au moment où les missionnaires Xavériens s’installent au Burundi, l’Église est toute jeune et les temps sont durs. Avec les massacres qui endeuillent le pays, Modesto et ses confrères n’assisteront pas du regard indifférent. Survivant des massacres de ses collègues en 1995, le père Modesto le racontait souvent.

Philibert Ntahimpera, son disciple et actuel curé de la paroisse Kamenge, rapporte ainsi les souvenirs de Modesto : « En écoutant le père Modesto, il nous parlait des événements qu’il a vécus ici au Burundi. Il disait que c’est une histoire terrible, une histoire douloureuse pour lui. Après six ans au Burundi, il a vécu les événements de 72. »

Il racontait comment ils étaient souvent en désaccord avec les militaires, poursuit le curé Ntahimpera, pour avoir caché des personnes menacées de mort : « Convoqués pour justifier leurs actions, ils ont néanmoins décidé de persévérer, refusant d’abandonner le Burundi à la merci des mercenaires. À cette époque, il était à la paroisse Rumeza, dans le diocèse du Burundi. »

Servir au péril de leur vie

Pour Père Mario Pulcini (74 ans), présent au Burundi depuis 1978, compatriote et confrère de feu Modesto, ce dernier était une personne hors pair : « Pendant la crise de 1972 alors que tout le monde était pris de panique, lui a créé un petit hôpital géré par les sœurs Xavériennes pour soigner les blessés. »

Ils ont, avec ses collègues, essayé même d’entrer en contact avec le Président de l’époque et les autorités, pour leur demander d’arrêter ce qu’ils étaient en train de faire, confie Père Pulcini : « Ils ont vécu ces moments avec beaucoup de difficultés et risqué même leur vie mais sont restés là et n’ont pas fui les gens qui étaient en difficulté. »

Période Bagaza

Philibert continue de rapporter : « Quand Bagaza a expulsé les missionnaires en 1983, même le Père Modesto était concerné. D’ailleurs, il était en Italie pour un petit repos et il a reçu sa lettre d’expulsion. » Mario est aussi témoin de l’expulsion : « Nous, les Xavériens, nous étions au diocèse de Bururi où nous avions la paroisse Minago, Rumonge, Kigwena, Murago, Mugamba et Rumeza. »

Après l’expulsion de Bagaza, tout le monde pensait que l’Église allait s’effondrer mais  le contraire s’est produit grâce au travail de ces missionnaires. En effet, raconte Père Pulcini, ils étaient parmi les premiers formateurs de catéchistes, de responsables de mouvements, de pastorales, mais n’avaient pas encore commencé la formation pour le candidat à la vie consacrée : « Lors de notre départ, il y avait des séminaristes, des catéchistes, et tout ce monde a continué l’oeuvre de Dieu. »

Survivant des Martyrs de Buyengero

Les Xavériens rentreront au Burundi en 1988 avec la chute de Bagaza mais les mésententes entre eux et les militaires resurgissent avec  la guerre civile de 1993. « Quand les militaires commettaient quelques bavures, nous ne faisions pas semblant de ne rien voir. Nous exigions des  explications et cela heurtait les autorités. En sachant que nous étions clairs et que nous n’épargnions pas des critiques, différentes autorités militaires nous avaient visées et cherchaient à nous faire taire », se rappelle le Père Modesto dans le livret intitulé Les traces des témoins courageux.

Un livret qui parle de l’assassinat de ses confrères à la paroisse Buyengero en 1995. Ils étaient Ottorino Maule (Italien), Aldo Marchiol (père italien) et la volontaire italienne Catina Gubert, qui furent tous tirés à bout portant, le 30 septembre 1995. « Ce qui a sauvé le père Modesto est son nouveau poste de supérieur régional des Xavériens qui l’avait obligé à se déplacer vers Bujumbura en janvier 1995 », témoigne toujours Mario. Lui, il était prêt, sans peur de rien. Et quand on a tué ses confrères, il a dit : « Pourquoi je n’étais pas là ? Moi aussi, j’aurais voulu verser mon sang pour Jésus ».

Un héritage social

D’après le père Philibert, bien que Modesto n’ait pas écrit de livres, son impact se mesure à travers son engagement social au-delà de ses préoccupations religieuses : « Lui, il s’est intéressé beaucoup au développement du peuple autochtone, ce que nous disons les Batwa. » Il leur a construit des maisons, que ce soit là où il était à Bugwana, mais aussi ici à Kamenge, à Nyambuye et à Benga de la commune Isare. Il a aussi scolarisé les enfants Batwa, en leur achetant des uniformes et le matériel scolaire au début de chaque année. »

Pour le Père Mario, Modesto ne prêchait pas dans l’air ou dans les rangs : « Il prêchait en sachant qu’il était crédible, parce qu’il mettait en pratique ce qu’il prêchait. » Il ne disait jamais : « Aimez-vous les uns les autres, mais aimez, comme lui l’aimait ». Et de souligner : « Lui aussi, comme tous, on a toujours incité les gens, la population, à donner le mieux, à ne pas rester les bras croisés. Dieu aide si tu t’aides. »

Un legs pour ses successeurs

Actuellement, père Modesto achève sa course après avoir animé des jeunes aspirants à la vie religieuse, et déjà 10 prêtres burundais de la congrégation Xavérienne le sont grâce à son infatigable engagement. Son amour pour le Burundi, et plus particulièrement le Kirundi, reste gravé dans les souvenirs de la communauté religieuse. Pour Mario, les Burundais devraient le prendre pour modèle.

Pour rappel, depuis 2020, cette congrégation a perdu d’autres prêtres, notamment le père Angelo (2022), Claudio Marano, récemment décédé (27/7/2024), à côté des martyrs qui ont versé leur sang au Burundi.

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