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Marché de change : à quoi s’attendre à la BRB ?

Dis-moi où trouves-tu les devises ! Cette question est plus que délicate à répondre quand posée aux commerçants importateurs ou à ceux qui voyagent souvent. Le dollar (et l’euro) se raréfient toujours malgré les différentes réformes récemment entreprises par la Banque centrale. Si cette dernière affirme être encore sur le coup, à quoi encore s’attendre ?

Depuis octobre 2022, la Banque de la République du Burundi-BRB a entamé une série de réformes de la politique monétaire et de change. Plusieurs et anciennes restrictions de change ont été levées. La Banque centrale cherche à tout prix à réunifier les taux de change dont le différentiel ne cessait de s’envoler à la hausse, par une libéralisation progressive du marché des devises.

Des réformes oui. Mais, quid de la réalité du marché ?

Voici la réponse de N.J à la question « où ou comment trouves-tu les dollars pour tes voyages et ou le fonctionnement au quotidien de ta jeune entreprise » : « C’est un vrai casse-tête », assène-t-il. Dernièrement, j’ai risqué d’en demander au banquier où je détiens les comptes courants de l’entreprise et les miens. »

D’après N.J, cela fait un mois qu’il cherche « un petit 4.000 USD » pour aller en Ouganda s’acheter une machine pour son usine. Après des détours sans succès dans des bureaux de change, il s’est tourné vers sa banque qui n’a pas non plus pu satisfaire à sa requête.

Quant à Oscar, un commerçant importateur de Dubaï : « C’est très difficile de pouvoir mobiliser auprès des banques commerciales ou bureaux de change une somme assez suffisante : ça m’a pris plus de deux semaines de chasse pour collecter les 20.000 USD que m’a coûté mon récent voyage d’affaire à l’étranger, » indique-t-il. Oscar confie avoir même opté pour une voie de recherche de bouche à oreille, auprès des amis.

Concrètement, ces amis étaient amenés à jouer les commissionnaires. S’ils arrivent à connaître quelqu’un en possession de billets verts, ils étaient appelés à les connecter à Oscar. Celui-ci va, par la suite, acheter les dollars au taux du marché noir, autour de 4.000 Fbu contre celui fixé au #MID, variant autour de 2800 Fbu, précise-t-il.

Vos papiers !

De notre passage dans différents bureaux de change, au centre-ville de Bujumbura, presque tous les changeurs parlent d’une seule et même voix quand on leur demande s’ils disposent de devises: « Nous n’en avons plus. Au contraire nous allions vous demander (vous, le client) si et seulement si vous remplissez les conditions requises pour vous en procurer. »

Conformément aux orientations de la BRB, les bureaux de changes servent les petits commerçants ou des voyageurs qui ne sollicitent que des montants n’excédant pas 5.000 USD. Les banques commerciales, à leur tour, alimentent les grands importateurs, excepté ceux des produits pétroliers.

Et, pour toutes ces catégories, chaque demandeur est tenu de justifier, au moyen des pièces (passeport ou laisser passer, billet d’avion, visas,…), pour quel usage il recherche les devises.

Les vendeurs de devises ne sont pas épargnés non plus. Une transaction de change effectuée avec un bureau de change doit être sanctionnée par un enregistrement de l’identité complète du client. Cette identification arrive même à renseigner sur le revenu mensuel, les sociétés dans lesquelles le client détient des participations, etc.

Plusieurs bureaux n’hésitent pas d’ailleurs d’afficher ces différentes démarches requises qui, selon Oscar, constituent « une tâche gênante pour les clients« . Le parcours du combattant.

Revue des réformes mesures de la politique monétaire et de change
> La première importante mesure a été celle d’octobre 2022 autorisant la réouverture des bureaux de change (fermés en depuis février 2020) et le règlement en devises des fonds issus des transferts instantanés internationaux, sans devoir les convertir en monnaies locales telle cela était en vigueur depuis mars 2020.
> Décembre 2022, la BRB suspendra ensuite la politique spéciale de refinancement des secteurs dits porteurs de croissance qui était entreprise depuis 2019. «Le marché bancaire était devenu sur liquide devant un contexte d’une inflation très prononcée… »
> Avril de cette année, c’était le tour de la mesure ré-autorisant les missions diplomatiques ou consulaires et les organisations internationales de domicilier leurs comptes auprès des banques commerciales, une prérogative dont ces institutions étaient dépourvues depuis sept ans…
> Enfin, la réinstauration du Marché Interbancaire des Devises-MID sera annoncée le 28 avril 2023 pour devenir effective depuis le 3 mai 2023.

Le MID et ses effets

Avec toutes les réformes et les différentes restrictions enlevées, la Banque centrale recherche, à tout prix, à réunifier les taux de change dont le différentiel ne cessait de s’envoler à la hausse ces derniers temps, par une libéralisation progressive du marché de change. A titre illustratif, vers fin avril 2023, le cours du marché noir était arrivé à 5.000 BIF/USD contre l’officiel de seulement 2.000BIF/USD et quelque.

L’instauration du MID sera particulièrement saluée par les économistes car « théoriquement, avec le MID, le marché de change devient libre. Ceci dit que ce sont l’offre et la demande de devises adressées aux banques qui déterminent le taux de change officiel », explique Armel Michel, enseignant à l’Université du Burundi.

Et de poursuivre: « Ce changement implique que le taux de change officiel reflète davantage la réalité économique. Par conséquent, le marché des devises étant plus transparent, non seulement la spéculation devrait diminuer, l’écart entre le taux de change officiel et le taux de change du marché noir devrait également se réduire. »

Dans la soirée du 4 mai 2023, un taux de 2.875,17 BIF/USD a été publié par la BRB comme l’aboutissement des premières négociations issues du MID, lequel marché deviendra effectif dès lors. Ce nouveau taux est loin de celui qui était appliqué par les bureaux de change et même au « noir » (2.940 BIF/USD). Pourtant, les devises deviennent de plus en plus introuvables auprès des institutions agréées. Et cette situation inquiète.

La réalité est que l’évolution tend vers l’ancienne case de départ de prime de change élevée. Souvenez-vous bien, le taux du marché noir est de 4.000BIF/USD, versus 2.800BIF/USD à l’officiel

Dans les coulisses de la BRB 

Pour pouvoir pérenniser les acquis de la mise en place du MID, Faustin Ndikumana de la PARCEM recommande à la Banque centrale de maintenir l’offre de devises sur le marché : « L’offre de la BRB ne devrait ni diminuer ni être cassée. En effet, ladite institution a la lourde responsabilité d’une situation de crise afin d’assurer une disponibilité des devises. Et cela, à travers les aides ou les appuis multiformes ou même des emprunts, pour augmenter le niveau des réserves de change, l’indicateur par excellence de la disponibilité des liquidités monétaires en devises. »

Du côté de la BRB, l’intervention à travers l’offre de devises reste de mise, et bien d’autres mesures sont en vues. Ferdinand Nsabimana, directeur des opérations, appelle l’opinion à s’impliquer également dans la dynamique. A titre d’exemple, illustre-t-il, les documents exigés pour l’octroi des devises auprès des bureaux de change ne seront plus exhaustifs. « Les demandeurs devraient alors proposer à la BRB d’autres formes d’exigences à tenir en compte suivant la diversité des opérations pour lesquelles ils sollicitent les devises», insiste Nsabimana.

Si les bureaux de changes achètent mais ne vendent pas à leur tour les devises recueillies de leurs clients, ces derniers sont tenus toujours à demander des bordereaux d’achat-vente à toute opération qu’ils effectuent avec leurs changeurs.

Selon Nsabimana, cette pièce justificative témoigne, en principe, que l’opération de change a été enregistrée dans Burex, le logiciel recommandé à tous les bureaux de change. Ainsi, grâce à l’interconnexion, la BRB peut, en cas d’une spéculation qui est signalée par exemple, se renseigner en temps réel sur la situation des mouvements de comptes de tout bureau donné, continue le directeur des opérations à la BRB.

« S’il le faut, un centre d’appel sera même créé afin de réussir une gestion efficace des cas de plaintes relatives à la question de change », révèle enfin M. Nsabimana.

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