Les billets de 10 mille et 5 mille Fbu datant du 4 juillet 2018 sont retirés de la circulation, depuis le 7 juin dernier, pour être remplacés par des nouveaux datant du 07/11/2022. Une décision prise pour pallier les défis liés à leur carence dans le circuit formel, explique Dieudonné Murengerantwari, gouverneur de la Banque Centrale. Pour Pr Gilbert Niyongabo, cette mesure vise à inciter les agents à l’adoption du numérique…
Quelles sont les causes qui peuvent pousser la banque centrale à opter pour le retrait des billets de la circulation? On parle d’une grande quantité de billets hors du circuit bancaire…
Comme tout le monde le sait, la BRB dispose de la part de l’Etat, le monopole de la politique monétaire. C’est-à-dire la création des billets ou tout ce qui est de la politique monétaire. Et il existe plusieurs indicateurs de la mesure de la monnaie : il y a la monnaie qui circule d’abord en dehors du système financier bancaire, donc qui passe de main en main. Normalement, c’est un montant qui ne devrait pas être élevé. Le deuxième indicateur, c’est la monnaie qui circule compte à compte et qui nous permet de faire différentes transactions. Le troisième concept concerne les dépôts à terme et également les devises. À partir d’une politique monétaire donnée, la banque centrale peut intervenir sur ce marché avec ces moyens. Pour le cas présent, les billets qui circulent hors banque, c’est difficile pour la banque centrale de les contrôler. Elle peut constater que la vitesse est trop lente. C’est-à-dire que les agents sont en train de thésauriser ou de mettre de l’argent hors circuit monétaire et cela est gênant parce que la monnaie qui circule doit être proportionnelle aux transactions qui se font dans un pays.
C’est pour cela que, s’il y a des agents qui thésaurisaient les montants d’argent qui devraient circuler et les garder dans leurs coffres, il y a toujours moyen de les faire sortir. Ainsi, la création des nouveaux billets peut obliger tout le monde à les faire sortir.
La BRB n’aurait pas pu passer par d’autres moyens, notamment la hausse des taux d’intérêt, sans pour autant changer les billets ?
Si vous passez par d’autres mesures, peut-être, elles sont indirectes et peuvent ne pas être efficaces. Et puis, vous savez que sur le plan légal, si vous détenez de la monnaie, c’est votre propriété, même si elle est supposée aider dans des transactions. Cela veut dire que quelqu’un peut garder la monnaie sous forme de réserves. Si vous voulez, c’est mieux d’obliger les individus à garder sous forme de réserves, mais sur un compte bancaire. Si les gens gardent la monnaie comme du bétail ou une propriété foncière, ça c’est diffèrent. Normalement, l’argent qui circule de main en main devrait être un montant très faible.
Estimez-vous que la banque centrale va réussir son pari de ramener la monnaie dans le circuit formel ?
La banque centrale a ses objectifs. Si elle utilise ce moyen, elle compte atteindre ses objectifs. Si elle n’atteint pas ses objectifs, elle va le faire autrement. Disons que ce sont deux objectifs à la fois: faire sortir de l’argent des coffres, mais aussi faire circuler de manière électronique la monnaie. Ainsi, il faut que toutes les agences de transfert de monnaie électronique, et même toutes les banques commerciales soient impliquées pour faciliter les différents types d’opérations.
Par rapport aux mécanismes de retrait desdits billets, il a été fixé des montants plafonds que les différents agents ne doivent pas dépasser dans leurs dépôts, un délai de grâce pour les anciens billets qui est jugé court et bien d’autres balises. Tout cela ne freine-t-il pas la Banque Centrale elle-même dans ses objectifs ?
Au niveau des délais, peut-être que la banque centrale va constater l’état d’avancement des activités. Et, si vous voulez, dans les premiers jours, c’est normal que cela crée de l’embouteillage. De l’autre côté, si on regarde la taille des rémunérations ici au Burundi, un individu qui dépose 10 millions, c’est peut-être un agent qui n’est pas tout à fait un individu, c’est une société peut être mini ce qu’on appelle normalement les micro-entreprises. Ce qui est en train de changer, peut-être, c’est de pousser les gens qui ont des entreprises, mais qui utilisent des comptes personnels de créer des comptes professionnels. Si vous êtes un même individu et que vous utilisez le même compte pour les opérations avec votre entreprise, là, c’est un statut diffèrent, il y a des limites. Il y a peut-être un changement qui est en train d’être fait par la Banque Centrale du point de ces opérations. Le message qui est donné, c’est de pousser l’électronique vers le maximum et donc d’empêcher les gens de payer avec le cash. Et je pense que c’est bien si on peut aller vers le moderne comme ça. Tous les pays se sont développés sur le plan financier avec des terminaux financiers qui facilitent les transactions sans toutefois se promener avec des sacs d’argent.

Du côté des retombées de cette mesure, de tels changements brusques et sévères ne renvoient-ils pas un mauvais signe aux investisseurs ?
Imaginez si vous avez créé une entreprise et que vous faites passer des transactions sur son compte, c’est quelque chose qui est bien. Ça permet de faire circuler l’argent. Malheureusement, c’est que nous avons un secteur informel assez développé ou qui risque de se développer plus que le formel. Les banques devraient jouer ce jeu-là de multiplier les terminaux et d’encourager les gens à s’ouvrir à l’utilisation des téléphones mobiles pour faire des transactions. C’est vrai au Burundi, il n’y a pas d’opérateurs qui le font, mais il faut aller jusqu’à tous les coins du pays. Le vrai défi est que le banquier aille le plus loin possible, jusqu’à la dernière transaction, sinon, ça va circuler toujours de manière informelle.
Certains parlent d’un déclenchement de « la dollarisation de l’économie burundaise », car, à l’égard des dernières décisions de la BRB, les gens risquent de perdre confiance dans le franc burundais… Qu’en pensez-vous ?
Je pense que c’est mieux de se trimbaler avec le Fbu que les dollars car, d’abord, il n’y a pas d’opérations où vous êtes obligés de payer en dollars. S’il y en a, elles sont très peu nombreuses par rapport au volume global des transactions. Donc, si vous devrez faire une opération entre deux agents, vous êtes obligés de passer par le troisième pour payer. C’est vrai qu’à un certain moment les gens peuvent préférer garder le dollar comme monnaie de réserve, mais il y’en a d’autres. Et puis en plus, pour quelqu’un qui n’est pas très riche, garder une réserve, quelle que soit sa forme, ce n’est pas quelque chose qui est commode. Si vous regardez les Burundais, ils consomment tout leur revenu. La dollarisation, ce n’est pas un problème qui est évident. Aussi, si vous regardez le Fbu, il a deux qualités : il y a le cours légal et les gens y croient. Si vous partez en dehors de Bujumbura, à l’intérieur du pays, il y a des gens qui ne savent même pas ce que c’est le dollar. La dollarisation n’est pas quelque chose qui est prête à augmenter d’ampleur, c’est peut-être un petit refuge pendant un moment, puis après, on va relancer avec les opérations telles qu’elles devraient être. C’est-à-dire garder l’argent dans un compte courant et effectuer des transactions de manière moderne.
Vous parlez d’une mesure qui, en principe, devrait susciter les agents à adopter le numérique. Qu’est-ce qui devrait être fait urgemment, pour arriver à cela ?
Il faut qu’il y ait plusieurs agences dans tout le pays. Que ce soit les agences des banques ou les agences de microfinances et d’autres agences qui sont dans le système financier, pour que celui qui est à Cendajuru, par exemple, puisse faire des transactions. Il faut aussi encourager les gens à utiliser les moyens modernes. C’est un progrès qui est partout dans le monde et on est en train d’aller vers là.
