De longues heures de route, des nuits blanches, des attentes interminables dans la chaleur suffocante… Voici ce que vivent les chauffeurs qui se battent pour remplir leur réservoir. Une situation difficile et épuisante pour ces hommes contraints de dormir dans leurs voitures, à des kilomètres de leurs familles et foyers. Ils demandent au gouvernement d’arranger rapidement cette situation et sauver la vie de milliers de familles en détresse.
7h45 du matin. Nous sommes à la station-service Lybajas City Oil, située au quartier Kigobe, l’une des rares stations qui est connue pour ne jamais manquer de carburant, même en ces temps difficiles de pénurie qui touchent tout le pays, et qui frappent de plein fouet la ville de Bujumbura.
Nous rencontrons A. Hakizimana, un chauffeur de taxi qui, après bientôt 15 ans d’expérience, a appris à vivre avec les hauts et les bas liés à son métier. « Ma voiture, c’est comme une pioche pour un mineur, elle est indispensable pour ma survie« , nous confie-t-il avec un air fatigué et assoiffé d’espoir après une longue nuit à attendre l’arrivée tant désirée du carburant.
Cependant, après une attente interminable qui l’a laissé ahurie, son visage épuisé trahit la désillusion face à la dure réalité de la situation. Après une journée d’attente vaine à la station King Star, Hakizimana a finalement trouvé refuge à la station Lybajas City Oil. Il nous révèle qu’il appartient à un groupe WhatsApp regroupant des chauffeurs de bus et de taxi, qui ont développé une solidarité nécessaire en ces temps difficiles : « On ne peut marcher seul dans cette situation », confie-t-il.
Dans ce groupe, ils partagent des informations essentielles sur la situation de l’approvisionnement en carburant, afin de mieux s’organiser pour remplir leur réservoir. Toutefois, cette entraide doit composer avec des informations qui ne sont pas toujours fiables.
⛽ 3 jours après la hause du prix du #carburant (https://t.co/UAWUUCuRzs), des taximen rencontrés ce 24/07/2023 en @MairieBuja sont pessimistes quant à la résolution du problème récurrent de la pénurie de l'#essence et du #mazout. "Les files d'attente des véhicules aux stations… pic.twitter.com/5kDTUzROLe
— Jimbere (@MagazineJimbere) July 24, 2023
Inlassable patience
En effet, il arrive que la station indiquée pour offrir du carburant annonce que seuls ceux ayant des bons de commande seront servis, laissant les chauffeurs en détresse. Malgré cela, cette solidarité est essentielle pour assurer la survie de ces chauffeurs qui vivent dans l’incertitude quant à leur approvisionnement quotidien en carburant.
À 10h45, la fatigue commence à se faire sentir chez notre interlocuteur. La chaleur étouffante du soleil pénètre la couche protectrice du véhicule, alors que les rayons brûlants s’abattent sur lui. Lassé par l’attente interminable, Hakizimana, son T-shirt détrempé de sueur et sa bouteille d’eau vide à la main, rejoint ses amis pour rencontrer le gérant de la station et comprendre pourquoi ils ont attendu pendant cinq heures, alors que le carburant était censé leur être livré à 8h.
Le gérant explique : « Notre camion-citerne est bloqué à l’intérieur du pays, coincé dans l’examen de sa quantité de carburant. Nous sommes dans l’attente du processus administratif. Nous avons aussi reçu un appel d’un ministère spécifique, qui a exigé que leurs véhicules soient approvisionnés en priorité. Nous devons donc faire preuve de patience », conclut-il.
Malgré leur épuisement et leur frustration, Hakizimana et ses amis n’ont d’autres choix que de patienter et de continuer à attendre leur tour pour être servis.
Survivre comme seul choix
Cette situation est d’autant plus difficile à supporter sous la chaleur écrasante du soleil et en l’absence d’eau, mais ils comprennent que c’est la seule option qui s’offre à eux et espèrent que le processus suivra son cours rapidement, afin de pouvoir reprendre leur travail.
Imaginez la situation difficile d’un père de famille qui doit subvenir aux besoins de sa femme, de ses cinq enfants et de deux autres enfants dont il a la charge. Hakizimana a du mal à joindre les deux bouts, car sa seule source de revenus est fortement affectée par la pénurie de carburant qui dure depuis près d’un an. Face à cette situation, il doit prendre des mesures importantes pour faire face à cette difficulté.
Il prend souvent le risque de contracter des prêts dans différentes caisses d’épargne où il a épargné. Cette décision n’est pas sans conséquences, car il sait que rembourser ces crédits de consommation ajoutera encore à ses difficultés financières. Malgré cela, Hakizimana ne peut pas se permettre de rester les bras croisés alors que sa famille souffre. Il explique : « Les défis auxquels nous sommes confrontés sont grands, mais il faut trouver des solutions pour subsister ».
🙆🏾♂️ Face à une pénurie généralisée du #carburant dans tout le pays, les automobilistes, à bout de nerfs, sont exaspérés: "Plusieurs stations-service sont sèches, nous venons de passer 5 jours à dormir dans nos voitures faisant la queue dans l'attente du carburant de type #essence… pic.twitter.com/x9uF8EDxvy
— Jimbere (@MagazineJimbere) June 27, 2023
En plus du manque de carburant qui affecte considérablement ses activités génératrices de revenus, Hakizimana doit également faire face à la charge financière de payer ses factures d’eau et d’électricité, ainsi que de préparer la rentrée scolaire pour ses enfants. Les frais scolaires, les uniformes, les fournitures et le transport sont autant de coûts qu’il doit prendre en compte, tout en veillant à ce que ses enfants soient bien nourris et disposent d’un environnement d’étude propice malgré ses difficultés financières.
Respect des règles, un choix pas si simple par les temps qui courent
Avant, les autorités avaient annoncé qu’un partage équitable de carburant serait mis en place pour les véhicules de transport en commun, qui auraient droit à 20 à 40 litres par jour, contrairement aux véhicules de particuliers qui auraient droit à 30 à 60 litres. Cependant, la réalité sur le terrain est toute autre, selon Hakizimana et ses amis. « Les méandres de la corruption qui se jouent ces derniers jours sont extraordinaires« , déclarent-ils. « Les pompistes touchent le jackpot en acceptant d’énormes pots-de-vin allant de 30.000 à 200.000 Fbu pour remplir les réservoirs des véhicules. Parfois, même les véhicules haut de gamme ne font pas la queue », ajoutent-ils.
Au cours de notre journée d’immersion avec Hakizimana et ses amis, nous avons été témoin des défis considérables auxquels les chauffeurs de taxi sont confrontés en raison de la pénurie de carburant et des pratiques de corruption qui en découlent.
Face à cette réalité décourageante, les automobilistes sont confrontés à un dilemme. Respecter les règles équitables mises en place par les autorités ou céder à la tentation de la corruption pour pouvoir subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille ?
Cette situation de corruption généralisée pose la question de l’efficacité des mesures prises par les autorités pour réguler le marché du carburant. Les règles sont-elles réellement appliquées et monitorées ? Les populations sont-elles réellement protégées contre l’injustice et l’inégalité ?