Mettre le Burundi sur la carte cinématographique africaine et mondiale, promouvoir les talents locaux en favorisant les échanges entre les professionnels et, enfin, participer au développement et au rayonnement de la culture burundaise par le biais du cinéma. Voilà en résumé la trilogie sacrée constituant la mission que s’est donnée le Festicab qui en est à sa 12ème édition. Mais y parvient-il ? Le point
C’est la volonté de porter le récit authentique du Burundi sur le grand écran qui guida un Léonce Ngabo vivifié par le succès de son film Gito l’Ingrat (1992), tout premier long métrage burundais, à créer ce rendez-vous du film burundais en 2008, il y a de cela 13 ans.
Celui-ci contraint à l’exil lors de la guerre civile, il revint au Burundi en 2006, pour créer une société de production, Production Grands Lacs. 3 ans plus tard, il va créer le Festicab. Il nous livre les raisons qui l’y ont poussé ː« Le Burundi était connu à travers le monde sous l’angle négatif des crises et des famines répétitives alors qu’il y a plein de choses positives à célébrer. Je trouvais que le Burundi est un terrain propice à l’émergence du cinéma car il y a une diversité de thèmes au Burundi, de paysages et de culture qui pouvaient attirer plus d’un producteur et avec le recul je peux dire que j’avais raison. »
« Il y a de quoi être fier »
13 ans plus tard, de l’avis de plusieurs, le décompte est plutôt satisfaisant : « Le Festicab constitue une occasion extraordinaire d’exposition et de reconnaissance professionnelle aux cinéastes burundais », note Christian Nsavye, journaliste à la Radio Isanganiro qui a suivi le Festicab depuis ses balbutiements. Pour lui la réussite est sans équivoques : « C’est le seul festival qui peut se targuer d’être régulier au Burundi et qui peut exister jusqu’à 12 éditions. Vous ne vous imaginez pas ce que ça représente en termes d’efforts financiers et organisationnels. »
Le succès, Léonce Ngabo ne s’en cache pas outre mesure. « Le parcours a été long mais fructif à la fin. Aujourd’hui, le Festicab a considérablement pris de l’envergure et a déjà formé plus de 250 burundais travaillant dans le secteur du cinéma », affirme-t-il. Bien plus, martèle ce natif de Kamenge, il y’a eu une très grande évolution à tel point que les cinéastes burundais parviennent à avoir des débouchés de leurs réalisations à l’étranger et cela n’était pas évident avant.
De son avis, le Festicab a plutôt contribué au rayonnement culturel du Burundi en Afrique à travers ses partenariats avec le Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou (FESPACO en sigle), le Festival du film africain de Luxor (LAFF) en Egypte et tant d’autres.
Et de continuerː « Maintenant il y a eu la naissance de beaucoup de cinéastes aux talents plutôt diversifiés et affirmés comme Eddy Munyaneza, lauréat du Prix Spécial des Droits Humains du Fespaco 2010 grâce à son film documentaire autobiographique « Histoire d’une haine manquée », et tant d’autres qui arrivent à composer avec plutôt des défis techniques de production existants, le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils sont de plus en plus dévoués. C’est pourquoi cette année nous avons introduit la section long-métrage dans la catégorie des films produits au Burundi pour honorer le travail de tous ceux qui se donnent et qui n’étaient pas pris en considération avant. »
Le Festicab, incontournable mais encore fragile
« Il n’y a pas de cinéma au Burundi. On travaille tous dans la vidéo…Ailleurs il existe des Centres d’enseignement du Cinéma, il n’y a aucun soutien à la création, il n’y a pas de matériel, il n’y a pas de salles de cinéma, … Pourtant le potentiel est là », c’est le verdict très cru de la part d’Eddy Munyaneza en 2011. Si ces mots semblent durs, ils n’en sont pas moins valides même actuellement.
D’ailleurs, si le Festicab a tenu pendant ces 12 ans, il en va sans dire qu’il a dû naviguer à travers des eaux troubles et ce n’est pas Léonce Ngabo qui dit le contraire. Pour l’auteur du célèbre Sagamba Burundi, le défi majeur a toujours été celui de prouver au niveau local et international, la grandeur et le professionnalisme du Festicab.
Mais si Léonce Ngabo affirme qu’ils y sont parvenus, Jean Richard Niyongabo, acteur et cinéaste fustige plutôt la chute progressive du Festicabː « Avant 2015, le Festicab se portait bien avec des formations des jeunes, ce qui a suscité leurs passions et des nombreuses opportunités d’exporter leurs productions à l’étranger. Aujourd’hui cela n’est plus le cas. Le départ massif en 2015 des journalistes, producteurs, réalisateurs impliqués alors dans le cinéma burundais, couplé à la coupure des fonds de différentes agences et organisations internationales qui appuyaient ce domaine, a occasionné une période de vache maigre dans le monde cinématographique. »
Remise en cause et foi en l’avenir
Jean Richard Niyongabo n’hésite pas d’ailleurs à remettre en question la qualité des contenus proposés dans les films : « Fautes des formations, les jeunes réalisateurs n’arrivent pas à produire des contenus de qualité, capables de se faire une place à travers le continent et le monde entier » Ce à quoi Léonce Ngabo rétorque ː« Il faut savoir que c’est un processus. C’est pourquoi au Festicab nous misons toujours sur le renforcement des capacités. »
A la question de l’absence des grandes figures du cinéma Africain comme il fut dans le temps, Christian Nsavye se refuse d’y voir un signe que le Festicab battrait de l’aile ː « La présence d’un invité de marque est certes une bonne chose surtout pour le réseautage et l’élargissement des horizons à nos artistes mais si le Festicab a choisi de donner la place aux locaux pour parrainer et mener les ateliers moi personnellement je ne leur en voudrais pas. Tout n’est que question de choix. »
Pa ailleurs, Christian Nsavye loue l’initiative de mettre en valeur les jeunes du quartier dépourvus des moyens en promouvant leurs productions alors qu’avant, le Festicab était réputé être exclusivement ouvert aux cinéastes de haut vol. De quoi susciter de nouveaux talents à embrasser le septième art.
