Dans les pays à revenu faible, quand une famille a la possibilité de scolariser un enfant, c’est le garçon qu’elle choisit en priorité. Souvent, la fille est cantonnée aux tâches domestiques, ou doit travailler pour aider les siens. Ce réflexe s’observe encore au Burundi, et empêche de nombreuses filles à bâtir une carrière pouvant les mener vers des opportunités de leadership
L’équilibre entre femmes et hommes dans la sphère privée reste un enjeu majeur de l’égalité des sexes. A la maison comme à l’école, la jeune fille burundaise semble ne pas jouir des mêmes avantages que le garçon. Cela se traduit à la longue par une faible représentation de la femme dans les instances décisionnelles.
Malgré une forte sensibilisation à l’éducation par le Gouvernement à travers son programme « Education pour tous », les filles occupent toujours un faible taux de représentativité dans les organes de prise de décision: en 2021, les femmes ne représentaient que 18% de l’effectif des gouvernants au Burundi.
Un faible taux de scolarisation toujours récurrent
Même si, depuis quinze ans, avec la gratuité de l’éducation de base, la situation évolue progressivement, la jeune fille burundaise est sous-représentée dans les instances de prise de décision.
Il y a bon nombre de facteurs qui permettent d’expliquer cette situation. Primo, l’absence même des femmes dans les postes de décision freine les jeunes filles à s’imaginer gravir des échelons vers des postes de leadership. Souvent sans modèles, elles reproduisent les schémas classiques de socialisation, qui mènent dès la vingtaine au foyer.
Secundo, la scolarisation des filles est plutôt problématique dans des familles souvent frappées de plein fouet par la pauvreté: «Ces deux facteurs-causes sont fortement liés car, quand les filles ne sont pas formées et qu’elles manquent de référence, il est très rare de voir les femmes dans les postes à responsabilité. Et si l’on ne voit pas de femmes leaders, les jeunes filles manqueront une vitrine d’inspiration comprenant leur situation et capable de plaider en leur faveur», explique Elvanie Ndayemeye, militante des droits de l’enfant et représentante de l’association Artisans de Paix.
Changer les mentalités : l’expérience rurale
Au chef-lieu de la commune de Muyinga sur la colline Ruganirwa, Jean Marie Barengayabo, époux et père de six enfants, trois filles et trois garçons, tranche en faveur d’une implication des parents dans la transmission d’une éducation dépourvue de favoritisme: «Dans ma famille, tous mes enfants sont égaux. J’ai grandi dans une fratrie de quatre. Comme aîné, j’héritais d’une sorte de leadership. Si mes petites sœurs ont appris de moi, ma famille ne pouvait que suivre. Ainsi, j’envoie tous mes enfants à l’école, pour qu’ils contribuent tous à la croissance de notre famille».
Ciella, sa fille âgée de 14 ans, réaffirme l’avis de son père: « Il n’y a pas de tâches que mon grand-frère peut faire et que je ne peux pas exécuter. C’est ainsi dans notre famille, on se complète», remarque-t-elle.
Même chose à côté, dans la province de Kayanza. Selemani Ngendakumana, mari et chef de la famille, partage le même avis: «Comment empêcherais-je ma fille de ne pas aller à l’école alors qu’on voit de nos jours des femmes nommées gouverneurs ou ministres? Quant à mon fils, je dois faire en sorte qu’il soit un bon père pour sa future famille. Cela inclut de l’habituer aux tâches ménagères», affirme-t-il.
Le droit d’accès à la terre, une autre entrave
La femme burundaise n’a toujours pas un statut légal lui conférant le droit d’hériter au même titre que l’homme. Il serait étonnant d’évoquer une masculinité positive en faveur de la participation des femmes dans les hautes sphères de prise de décision alors que ces dernières demeurent les grandes oubliées du droit de la succession, lequel permet une émancipation économique.
Comme nous l’explique Dorine Muco, juriste de formation, quand une femme possède des biens de production, dont la terre est la base, cela participe à son autonomisation financière: « Les biens possédés peuvent constituer une source de revenus ou une garantie nécessaire afin d’obtenir un financement pour exercer d’autres activités économiques », constate-t-elle.
L’interprétation actuelle de la coutume sur la succession foncière admet que la femme se voit attribuée «igiseke» (une portion de terre attribuée à une fille mariée) sur la terre de ses défunts parents.
Mais, selon une étude réalisée par deux enseignants chercheurs – Prof. Anaclet Nzohabonayo et Prof. Jean de Dieu Ndikumana – une analyse profonde permettrait de démontrer qu’une fausse lecture de cette coutume l’a détournée de son sens original. L’objectif final étant de légitimer les intérêts des descendants mâles que la société traditionnelle burundaise a toujours considérés comme supérieurs à la descendance féminine.
Un engagement qui donne de l’espoir
Au niveau du Gouvernement, le Président Évariste Ndayishimiye a souhaité, à l’occasion de la journée internationale de la femme 2022, que des “gender offices” soient créés dans tous les ministères afin que le genre soit pris en compte dans les programmes, plans et politiques du pays.
Il a chargé le bureau du Forum national des femmes de mener la discussion sur le droit à la succession des femmes, un domaine encore régi par le droit coutumier et le système traditionnel patriarcal.
Si le Burundi connaît des avancées quant à la possibilité de promulguer une loi garantissant aux femmes les mêmes droits qu’aux hommes en termes de succession, il convient de souligner que l’effectivité de ces droits attendra le déclin de la coutume successorale, et que les mentalités burundaises évoluent pour en accepter les effets.
