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[Edition spéciale] Santé au Burundi : entre cherté et pénurie, les médicaments deviennent un luxe

Une des pharmacies de Bujumbura: Pour les pharmacies de détail, le bénéfice ne devrait pas excéder 40 %. Mais certaines affichent des marges de 200 à 300 %

Au Burundi, l’accès aux soins de santé reste un domaine plein d’incertitudes. Entre la flambée des prix et la pénurie de médicaments dans les formations sanitaires, les patients se retrouvent confrontés à un véritable casse-tête, mettant en péril leur droit fondamental à la santé

Les patients burundais sont de plus en plus confrontés à une situation préoccupante : la pénurie de médicaments se conjugue à des prix exorbitants lorsque ces produits vitaux sont disponibles. L’accès aux médicaments de type spécialité est désormais réservé aux plus fortunés, tandis que de nombreux patients se tournent vers les génériques, souvent sans suivre les prescriptions médicales.

Les formations sanitaires – centres de santé et pharmacies – se renvoient la responsabilité, arguant qu’elles traversent elles-mêmes une crise de médicaments. Cette situation, qui s’ajoute à d’autres défis que peine à résoudre le ministère de la Santé – départ massif du personnel, infrastructures inadaptées –, génère un sentiment d’incertitude pour le citoyen lambda, dont la santé est pourtant essentielle pour affronter le combat quotidien de la vie.

 Les plaintes des citadins de Bujumbura

« Le prix des médicaments est à son point culminant, et leur accès est devenu un véritable casse-tête. Pour nous, les démunis, c’est un risque pour la vie », s’exclame Marie, mère vivant à Bujumbura, comparant le coût actuel des médicaments à celui d’autrefois pour son enfant. Elle précise : « Par exemple, l’albendazol, qui coûtait jadis 800 BIF, est maintenant à 3 500 BIF. Un médicament que nous achetions autrefois à 12 000 BIF atteint aujourd’hui 25 000 BIF. »

Face à cette flambée des prix, de nombreux patients se tournent désormais vers les génériques, abandonnant les spécialités. Cette tendance est confirmée par certains tenanciers de pharmacies.

Une pharmacienne témoigne : « Actuellement, nous n’achetons que des médicaments génériques, car les spécialités ne sont plus abordables pour le pouvoir d’achat des patients. » Elle explique la cherté des produits : « Si nous les achetons à prix élevé auprès des pharmacies de gros, nous devons à notre tour augmenter le prix pour conserver une marge bénéficiaire. »

Entre cherté et pénurie

Au-delà de la cherté, une pénurie de certains médicaments se fait également sentir, comme le confient plusieurs patients, notamment des fonctionnaires couverts par la Mutuelle de la Fonction Publique (MFP). À Kayanza, ils déplorent ne plus avoir accès aux médicaments ni dans les pharmacies de la mutuelle, ni dans les établissements partenaires. « Souvent, lorsque nous nous rendons dans ces pharmacies, elles nous répondent que les médicaments recherchés ne sont pas disponibles. Et si un médicament l’est, on nous dit qu’il n’est pas couvert par le bon de commande », témoigne un fonctionnaire rencontré à Kayanza, sous couvert d’anonymat.

Pire encore, ajoute sa collègue, dans certaines pharmacies, si l’on présente le bon de commande de la mutuelle, on nous cache les médicaments en prétendant qu’ils sont indisponibles.

La MFP à rude épreuve

Pour ces fonctionnaires, si la Mutuelle de la Fonction Publique (MFP) n’est plus en mesure d’assurer leurs soins, elle devrait céder le pas aux opérateurs privés capables de fournir les médicaments. « Il est étonnant que nous achetions un médicament à 100 % alors que nous devrions bénéficier d’un prix convenu avec la mutuelle. Il est insensé que l’argent continue à être retenu sur nos salaires alors que nous assurons nos soins entièrement », déplore un fonctionnaire.

Dr Sylvie Nzeyimana, directrice générale de la Mutuelle de la Fonction Publique

Cette situation préoccupe également la Mutuelle. « Concernant la hausse des prix des prestations, nos clients se plaignent. Lorsqu’ils sont hospitalisés, ils constatent que la mutuelle ne prend en charge qu’une partie modique du montant », explique la directrice générale, précisant que cela est dû à d’autres services à payer, non couverts par le contrat de la mutuelle.

La directrice reconnaît également la pénurie de médicaments, mais rassure : « Nous continuerons les discussions avec les responsables concernés afin d’améliorer la situation. »

Par ailleurs, elle souligne les difficultés de recouvrement : « Certains tardent à nous payer, mais sont les premiers à nous reprocher de ne pas régler nos factures. Ce n’est pas vrai : dès qu’une facture nous parvient, nous la payons immédiatement. Mais nous peinons à recouvrer nos propres créances. »

 Les privés sous le coup…

Espérance Kaneza, secrétaire exécutive de la PAMUSAB

Dans ce contexte, les patients assurés par les mutualités sociales ne sont pas épargnés. Selon Espérance Kaneza, secrétaire exécutive de la Plateforme des acteurs des mutuelles de santé au Burundi (PAMUSAB), les termes du contrat de ces mutualités avec les institutions sanitaires prévoient que le patient doit recevoir ses médicaments dans l’établissement où il se fait soigner. Cependant, déplore Kaneza, ces derniers jours, une pénurie de médicaments se fait sentir dans ces institutions, ce qui déroute nos membres.

Pour remédier à cette situation, la secrétaire annonce : « Nous sommes dans une phase pilote de collaboration avec les pharmacies pour évaluer si cela peut améliorer l’accès aux médicaments. » Malheureusement, le prix élevé des médicaments reste un lourd fardeau pour les sociétés de mutualité sanitaire, regrette-t-elle.

Selon la présidente du PAMUSAB, les prix pratiqués par certaines pharmacies ne respectent pas la réglementation. « Pour les grossistes, le bénéfice ne devrait pas dépasser 25 % du prix d’achat, tandis que pour les pharmacies de détail, il ne devrait pas excéder 40 %. Mais la réalité est que certaines pharmacies affichent des marges de 200 à 300 % », déplore-t-elle.

Appel à des mesures d’urgence

La secrétaire du PAMUSAB appelle l’Agence de régulation des prix des médicaments à surveiller de près les pharmacies afin qu’elles respectent la loi. « Nous demandons également au ministère de la Santé de fournir des efforts pour garantir un accès facilité aux devises, afin de soutenir l’importation des médicaments », conclut-elle.

Le non-accès à des soins de qualité peut avoir de multiples conséquences. Selon l’Association burundaise pour la défense des droits des malades (ABDDM), les patients ont le droit de bénéficier d’un accès équitable à des soins de santé de qualité et de recevoir les médicaments nécessaires à leurs traitements.

En cas de rupture de stock, les patients voient leur état de santé se détériorer, mettant parfois leur vie en danger. Le manque de médicaments révèle également des inégalités entre les patients : certains peuvent se permettre d’acheter des produits coûteux, tandis que d’autres ne le peuvent pas.

Pour l’ABDDM, il est crucial que les autorités sanitaires prennent des mesures pour garantir un approvisionnement adéquat en médicaments dans toutes les structures de soins, afin de respecter le droit fondamental des patients à des soins de qualité.

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