C’est le verdict de la comédienne burkinabé Odile Sankara, au terme d’une troisième formation du meilleur de l’actuelle scène théâtrale burundaise, avec son compatriote Aristide Tarnagda.
Deux semaines en 2017, trois en 2018, de nouveau deux en 2019. A chaque fois, le duo est revenu à Bujumbura pour d’intenses journées de travail sur la mise en scène, le jeu d’acteur, la maîtrise du souffle, etc. Et la rigueur paie: « Au bout de ces trois années, on mesure à quel point ces jeunes ont progressé », note Odile Sankara, citant des visages qui l’auront marquée, Lyca, Claudia, Rivardo, Arthur… Et si le théâtre africain a été porté par des figures venues de la Guinée, de la Côte d’Ivoire, du Mali ou du Burkina Faso, c’est au Burundi qu’elle perçoit la source de rafraîchissement du métier dans les dix années à venir.
Les promesses à maturité chez cette nouvelle génération de comédiens burundais sont si belles que la jeune Linca Lyca Mugisha, 23 ans, vient d’obtenir une série de résidences sur une année à partir de septembre prochain aux Récréatales. Les formations issues de ces voyages aboutiront sur des créations qui seront présentées lors de la 11ème édition du festival de théâtre d’Ouagadougou.
???? Professionnalisation du théâtre au #Burundi: @SabimbonaFreddy, acteur et Directeur artistique du Festival #BujaSansTabou est en #Italie pour deux semaines dans une rencontre avec des metteurs en scène du monde et une mise en réseau, dans le cadre d'une résidence de @LaMaMaETC pic.twitter.com/oNGyJuoTyg
— Jimbere (@JimbereMag) August 5, 2019
Près de deux mois donc de formation, étalés sur trois ans, et qui ont permis de tisser des liens entre les formateurs et les jeunes talents burundais, de déceler les forces et faiblesses de chacun, de suivre la progression des acteurs. Une expérience porteuse, selon Aristide Tarnagda: « Ils ont fait un bond, en termes de confiance en soi, de lucidité, de technique ».
Un monde exigeant
Et cela n’a pas été facile d’y arriver: « Le plus dur pour eux a été d’intérioriser l’exigence et l’endurance que demande le métier de comédien » se rappelle Odile Sankara, dont le nom évoque d’ailleurs au sein des compagnies de théâtre burundais plusieurs anecdotes. « La dureté de cette Burkinabé », les exercices physiques intenses avant chaque formation (« Comme si nous allions participer aux prochaines Olympiades! », se souvient-on), le renvoi d’un acteur à l’ego précoce… les premiers jours auront été traumatisants pour de nombreux jeunes, peu habitués à une discipline de fer en milieu artistique.
Une exigence particulièrement ressentie par les actrices: « Ma technique avec tout ce groupe a été de les bousculer, de révolter ces jeunes en déconstruisant leurs coins de certitude. Après le premier contact, j’ai été claire que je ne voulais pas de filles pour jouer aux mannequins sur scène. Ceux qui ne voulaient pas parler distinctement allaient rentrer. Au théâtre, on parle, on sort sa voix, le corps s’exprime. Ce qui n’est pas souvent compatible avec la culture d’ici, aux caractéristiques semblables à celle des Peuls dont je suis issue ».
« La poésie protège l’art »
Le partage d’expérience avec la sœur du célèbre président-martyr du Faso ne s’est pas arrêté qu’à la maîtrise des corps. Il a aussi été question des enjeux ultimes de l’art, peindre la société, l’interroger, y maintenir l’empathie: « L’art est par excellence le lieu de la réflexion. Et si la pensée ne sous-tend pas l’action, alors le souffle de l’art se perd assez vite. D’où l’importance de lire, de se documenter, d’apprendre à introduire la forme dans le théâtre, de connaître ce qui se passe afin de trouver les formes d’expression artistique les meilleures qu’on veut, peut convoquer ». Citant la vie du génial Sotigui Kouyaté, Odile Sankara rappelle que « Picasso s’est nourri d’art africain ».
Un message fort, quand on sait la pauvreté de la culture générale ambiante: « L’art est une porte ouverte, très facile à emprunter. Tout le monde vient. Mais très peu savent se poser les vraies questions, en y mettant de la forme. Si la forme n’accompagne pas le fond, on s’épuise très vite. La poésie protège l’art ».
Le potentiel de la langue
Durant ces trois années de passage à Bujumbura, Artistide et Odile auront eu le temps de côtoyer les thématiques qui habitent les jeunes créateurs burundais. La liberté, la démocratie, la question du genre, les générations, le rapport au pouvoir, … Et ils ne craignent pas que la scène burundaise s’intéresse à des sujets dans l’air du temps, que ce soit l’immigration, le viol, la prédation capitaliste ou les défis environnementaux: « On peut toujours dire la même chose, mais autrement, en s’appuyant justement sur la forme« , complète Odile Sankara.
Et pour elle, la langue maternelle peut être l’outil qui donne accès aux nouvelles formes d’expression: « Quand les acteurs s’expriment ici sur scène en kirundi, il y a une forme de libération et d’apaisement qu’on perçoit très rapidement. Mais si on a envie de convoquer les langues, à l’image de certains acteurs burundais, Sony Labou Tansi a été clair: il faut d’abord maîtriser ces langues, qui nous appartiennent ».