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Asha, l’impératrice du cheveu

Bujumbura et ses salons de coiffures! On ne finirait pas, s’il fallait en faire un éventaire. Mais parmi tous, un empire: « Salon de coiffure Romantica chez Asha ». L’originalité ? Sa patronne.

Non, vous n’y êtes pas du tout! La patronne n’est nullement cette dame, hautement perchée sur ses talons rouges, maquillée comme un sapin de noël et sentant la cocotte! Non. Ici, la patronne, comment vous dire…on ne la voit pas. On l’entend surtout. « Chérie, karibu! Qu’est – ce qui te ferait plaisir? Une coupe, un défrisage, des tresses?… » – « Moussa, mteja uyu! » (Moussa, voici une cliente! ndlr)- Amina, mkoshe, atasuka ma rasta… » (Amina, lave-la, elle se fera des dreadlocks » ndlr) – « Mami, plante? » (Ma chère, tu souhaites des extensions? ndlr) -« Eriiiiiiiké??? » (Eric??? ndlr). Ce moulin à paroles, c’est Asha. La petite dame en burqa noir et petites sandales kényane aux pieds, assise dans le coin droit du salon de coiffure. C’est elle, la patronne. Milles mots à la minute, une cliente par heure « plantée » (mettre des extensions de cheveux); et cela, sept jours sur sept, 12h/24h.

Dans la salle, trente travailleurs s’affairent en rires, en histoires et en musiques. Les bigoudis sont mis autour d’une rumba congolaise, par Moussa, le grand spécialiste. Trois femmes, têtes dans les casques, sont absorbées par « Amour interdit » (une série des telenovelas). A l’arrière, des tragi-comédies sont contées ou jouées avec passion par les tresseuses, sous les rires moqueurs des manucuristes.

Aujourd’hui, il est question de la dernière aventure de Zirfa. « Elle a été ensorcelée…- Yoooooo, c’est pas vrai! – Si, je te jure! Toutes les nuits, elle voit deux chats noirs qui poussent une brebis orange dans une toilette. – Huuuum, aca kusema?! (Huuuum, dis pas ça?!) – Puis la brebis ressort, le bec, rouge sang, 8 souris en guise de boucle d’oreilles…- Zirfa ne dort plus alors?- Plus que d’un œil, l’autre guettant les chats, W’Allah! »

Les trois clientes, coincées entre les jambes des tresseuses, sont circonspectes. « Vous autres, avez des histoires à dormir debout! » se moque Fiston. Explosion de rires, suivie d’un rappel à l’ordre par la patronne « Simtumike jameni! (Et si vous travailliez les gars!).

Nous sommes vendredi, 9h. La dixième « chérie » vient de franchir la porte:  » Et encore, c’est à cause de cette crise! A l’époque, on les comptait par vingtaine », fait savoir Asha.

« Je viens de loin »

Asha, née Aïsha Mbonabuca en 1974 à Bwiza, n’a pas eu une scolarité facile. Elle le reconnaît elle-même « Je redoublais constamment… ». Mais non pas parce qu’elle n’était pas futée. Loin de là. Petite orpheline, élevée par une grande sœur tresseuse, elle devait aider sa sœur dans son travail : « Tous mes après midi, je les passais ainsi. A tresser, pour pouvoir payer mes études, l’uniforme, les cahiers, le bus, etc », explique-t-elle et d’ajouter tristement « Je n’avais pas de temps pour réviser mes cours, ni pour tout autre chose d’ailleurs ».

Après une cinquième primaire reprise deux fois, et une sixième facilement échoué, elle décida d’arrêter son calvaire à l’Athénée Primaire et se consacra à ce qu’elle savait faire de mieux. « J’ai commencé alors à tresser, pour 50Fbu. 100Fbu pour les plus riches », se souvient Asha. Elle débuta par de petites tresses à la main, puis se forma à d’autres coiffures: les mèches, les extensions, etc.

Puis, elle rencontra un homme, eut un enfant avec lui et…« Je dû le quitter car il m’empêchait de travailler. Il voulait une femme au foyer… », raconte Asha, sans émotion.

Mon travail, ma vie!

« Lui, m’a tout de suite soutenu! », une courte phrase qui cache mal toute la reconnaissance qu’Asha éprouve envers son mari. En 1990, elle épouse Aziz, importateur de Dubaï, qui lui ouvre un petit salon de coiffure, au Boulevard de l’Uprona : « Nous avons commencé avec 2 casques, 2 travailleurs et moi, mon mari tenant la caisse ».

Au bout de 6 ans, la petite affaire familiale avait suffisamment grandi, et ils s’installèrent à la Galerie du Marché. Ils y resteront 8 ans, le temps de se faire un nom. puis un dernier déménagement en plein centre ville, en face de l’Institut Français du Burundi (ex-CCF). « Mon salon a tenu le coup face à toutes les crises qu’a connu notre pays! Je n’ai jamais fermé, pas un jour, même lorsqu’on lançait des grenades en ville… »

« Même enceinte, je travaille jusqu’au bout du terme. Trois jours après l’accouchement, je reviens, bébé sur le dos, travailler! »

« Shangazi (la tante), toi, tu ne la connais pas! », souffle Cécile, une des tresseuses. En effet, c’est mal la connaître que de demander à Asha, quand est-ce qu’elle se repose. « Le seul moment où je ne suis pas au boulot, c’est le dimanche après midi, quand je fais un saut à l’Hôpital Prince Régent Charles pour donner à manger aux malades, et satisfaire certaines de leurs doléances ! Mais je reviens juste après. »

Asha dans son salon entrain de « planter » ©Jimbere

Pas de jour de récupération? – » Quand je ne bosse pas, je suis comme malade. Même enceinte, je travaille jusqu’au bout du terme. Trois jours après l’accouchement, je reviens, bébé sur le dos, travailler! » confie la boulimique du travail.

Ce rythme de travail lui vaudra d’ailleurs quelques médisances et suspicions. Certains allant jusqu’à dire qu’elle vient d’un monde parallèle, ou qu’elle a pactisé avec les diables. Quant à ses mèches, ce seraient des cheveux arrachés aux morts qu’elle ramène de Tanzanie, etc. « Dieu est mon seul témoin » dit simplement la jeune grand-mère de 42 ans, cherchant du regard son petit fils venu lui rendre visite.

Pendant que les jaloux délient leurs langues, Asha, elle, ramasse tranquillement son blé, achète des parcelles, épargne et surtout innove. Depuis avril dernier, son salon de coiffure a un jumeau en Ouganda, géré par sa nièce. Mais alors, à combien se chiffre son empire? Tentons-nous discrètement de savoir:  » Euuuuh, je ne vous dirai pas un chiffre. Mais grâce à Dieu, mes sept enfants sont à l’abri du besoin pour le reste de leur vie ».

 

 

 

 

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