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Surpopulation carcérale : aux grands maux, les grands remèdes

De Charybde en Scylla, le rapport détenus-capacité d’accueil des prisons au Burundi, atteint des proportions de plus en plus alarmantes. La dignité humaine hypothéquée, des pertes sur l’économie des ménages et a fortiori pour le pays… Le débordement des établissements pénitentiaires s’aggrave et demeure une question délicate. Y’a-t-il un moyen de s’en sortir? Gros plan.

Difficile d’imaginer les conditions dans lesquelles vivent plus de 12.000 individus écroués dans les 11 prisons ayant la capacité d’accueillir d’environ 4.000 personnes. Le mode de vie ou de survie dépasse l’entendement. Jean* a gouté de la geôle pendant 5 ans. « Indescriptible », tente d’illustrer avec un tantinet d’aigreur. Le quotidien à l’intérieur des enclos carcéraux est loin d’être une sinécure. L’exiguïté des cellules accentuée par l’insalubrité fait des cachots des lieux de perdition au lieu d’être des lieux de correction et de redressement.

Parfois, la ration alimentaire fait défaut. Le plus accablant est que l’accès aux soins de santé pose souvent problème. « C’est affligeant ce qu’endurent les prisonniers du jour au jour. Vu le surnombre, ils n’ont aucune marge de manœuvre pour leur épanouissement », regrette Jean Marie Nshimirimana, président de l’association Ntabariza qui milite pour la protection des droits des prisonniers.

Quand la détention devient la règle et la liberté l’exception

Le surnombre des détenus s’explique en partie par la non application de la loi, observe Me Fabien Segatwa. Si la plupart des présumés atterrissent en prison avant tout procès, Me Fabien déplore surtout que ceux accusés d’infractions mineures, soient délibérément écroués sans aucune raison majeure. « Ce n’est pas normal qu’une personne poursuivie pour une infraction passe par la case prison avant que la justice tranche. Evidemment, on dit que si on le relâche, il va fuir. Mais on devrait savoir qu’on ne peut pas refuser de donner la liberté à un individu en présumant qu’il va prendre la poudre d’escampette. »

Et de rappeler qu’un présumé peut souscrire une caution que ce soit pécuniaire ou bien une personne qui garantit que l’autre ne pourra pas fuir selon la loi. En outre, poursuit Me Segatwa, il y a des mécanismes inscrits dans le droit pénal qui préservent la liberté du prévenu qui s’engage à payer une caution même lorsque la détention préventive est ordonnée : « Malheureusement, ça se passe très rarement. » 

Ce juriste chevronné trouve que la condamnation à des peines subsidiaires au Burundi est plutôt immorale. Il y’a des infractions qui méritent des condamnations aux dommages et intérêts comme l’émission des chèques sans provision, estime-t-il. Or, pour le cas d’espèce, les juges condamnent généralement à des peines de 2 ou 3 ans et à une peine subsidiaire, équivalent à 6 mois de prison par tranche de 100.000 Fbu (~30 dollars) : « Imaginez-vous si ce chèque porte sur 500 millions Fbu, l’émetteur ne sortira jamais de la prison parce qu’on doit le condamner à peu près à 100 ou 200 ans de prison. C’est illogique de condamner quelqu’un au-delà de sa vie uniquement pour payer une dette. »

L’application de telles mesures, peste-t-il, relève de vieilles lois alors qu’existe une loi internationale qui dit qu’on ne peut pas être emprisonné pour une dette civile. On devrait plutôt recourir à la vente des biens du débiteur en vue du remboursement ou lorsque qu’on constate qu’il est incapable de payer la somme due, on le fait sortir de la prison : «  Mais pour ce dernier cas, la dette n’est pas éteinte c’est-à-dire que lorsque le débiteur pourra devenir une meilleure fortune, le créancier aura toujours droit de demander l’exécution du jugement, donc la vente des biens de ce dernier. »

Abondant dans le même sens, Me Jean de Dieu  Muhuzenge souligne que la corruption explique souvent les emprisonnements injustes des gens observés pour des affaires qui ne sont aucunement pénales. Cela engendre dans une certaine mesure, selon toujours ce bâtonnier de l’ordre des avocats de Bujumbura, l’engorgement des lieux de détention, ce qui occasionne des pertes pour les ménages et pour le pays. A titre illustratif, martèle-t-il, l’Etat prévoit cette année un budget de 14 milliards Fbu contre 7 milliards Fbu en 2022 pour la prise en charge des prisonniers.

Les vices de procédure, un coup de grâce

Selon les chiffres du ministère en charge de la justice, en janvier 2023, sur un effectif de 12.313 incarcérés, seulement 5.317 étaient condamnés, les 6.396 qui restent, leurs dossiers étaient encore devant les Cours et Tribunaux. « Normalement, dès l’arrestation, le ministère public n’a que 15 jours pour se prononcer sur la détention préventive ou pas du présumé et son ordonnance n’a une validité de 30 jours avant que celui-ci ne soit accueilli en chambre de conseil. Or, aujourd’hui, plusieurs personnes croupissent en prison parce que les magistrats et les juges ne saisissent pas de leurs dossiers car d’ailleurs eux aussi sont tout le temps sollicités par de nouveaux cas », constate Me Fabien Segatwa

A ce sujet, Me Jean de Dieu Muhuzenge ajoute que des mauvais rendements des intervenants de la chaîne pénale enfoncent le clou. Pour lui, il y’a peu de dossiers qui sont clôturés par rapport à ceux qui sont prévus comme rendement à chaque magistrat ou officier du ministère public.  « Si on n’atteint pas le rendement escompté et prévu dans les règles régissant la profession, évidemment qu’il y’aura toujours des gens qui restent en prison injustement. Alors que si la célérité était respectée, la plupart auraient été libérés ou acquittés si la procédure respectait les normes et surtout si chacun était conscient qu’il doit travailler de manière à ce qu’il ait un rendement meilleur dans la clôture des dossiers qui lui sont confiés. »

Néanmoins, poursuit Me Muhuzenge, les moyens limités mis à la disposition des institutions juridiques bloquent certaines activités. « Qu’est-ce qui fait que le ministère de la justice soit l’enfant le moins chéri durant presque toutes les années, puisqu’il bénéficie d’un budget modique qui ne satisfasse pas à ses besoins ? se questionne ce bâtonnier. Par ailleurs, la justice est la source de paix & de développement et à son absence, les investisseurs ne s’intéresseront pas à notre pays. »

Me Jean de Dieu Muhuzenge, bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Bujumbura

Des grandes réflexions pour la justice burundaise

Les deux juristes s’accordent sur le fait que les travaux d’intérêt général assignés aux détenus pourrait améliorer le désengorgement des prisons : « C’est aussi prévu par la loi mais la mise en exécution peine à se concrétiser, fait savoir Me Segatwa. Il faudrait qu’il y’ait des mesures provisoires qui seraient prises par voie d’ordonnance du ministère de tutelle pour déterminer le champ d’application de ces travaux. Par-dessus le marché, cette surpopulation carcérale renferme une main d’œuvre active qui pourrait être employée pendant une certaine durée déterminée pour construire les écoles, les routes… ».

Et Me Muhuzenge de renchérir : « Cela déchargerait l’Etat de certaines dépenses envers les prisonniers mais aussi et surtout permettrait aux concernés de garder l’équilibre physique et mental étant en liberté provisoire, car les lieux de détention ne sont pas propices pour le développement personnel de l’individu. » Avant d’appeler tous le citoyens à une conscience commune et à tous les intervenants du secteur de la justice au respect des lois burundaises et internationales: « On ne peut pas espérer la justice dans une société qui est gangrenée par la corruption. Chacun devrait œuvrer pour que ce fléau ne s’intercale pas dans la dynamique du système juridique. 

Côte société civile, Jean Marie Nshimirimana, président de l’association Ntabariza plaide pour la tenue des Etats-généraux de la justice afin de repenser certains principes du secteur : « Ne fut-ce que d’échanger sur la manière dont le procureur général de la République sanctionne les procureurs qui n’ont pas respecté la liberté provisoire (à la fin de la détention préventive) ou conditionnelle des détenus (pour ceux qui ont purgé le quart de leurs peines) », interpelle-t-il.

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