Plus de 50.000 dossiers ont été traités par la Commission Nationale Terres et autres Biens (CNTB) depuis sa création en 2006. A la fin de son mandat en mars 2022, 22.000 jugements avaient été rendus dont la moitié concernent les provinces Rumonge et Makamba. Hélas, certains d’entre eux n’ont toujours pas été exécutés. Quelles en sont les causes et les conséquences. Quelles solutions envisagées. Reportage.
La propriété foncière rime avec honneur pour un Burundais. Les provinces de Rumonge et Makamba connaissent beaucoup de litiges fonciers suite aux crises répétitives qu’a connues le Burundi depuis les années 70 avec les départs massifs des populations vers l’exil. A leur retour, et pour bien gérer les conflits sur fond du foncier entre les rapatriés et les résidents, la CNTB a été mise sur pied. Elle a enregistré dans les deux provinces respectivement 5.000 et 6.000 dossiers jusqu’à la fin de son mandat. Mais, aujourd’hui, la population déplore la non-exécution des décisions rendues par cette commission.
Eléazar Ndayishimiye, natif de Rumonge, un des rapatriés déplore le fait qu’il n’a pas encore récupéré son champ des palmiers mesurant un hectare sur la colline Busebwa de la zone Gatete en commune Rumonge, alors qu’il a gagné le procès contre la commune Rumonge en 2011. Après cinq ans (en 2002) revenu de l’exil, sa famille a perdu cette propriété de palmier : « L’administrateur de l’époque nommé Bashirahishize Antoine a partagé ce champ aux jeunes gardiens de la paix. Je me suis plaint auprès des gouverneurs successifs sans succès avant de porter l’affaire à la CNTB. »
Quand la CNTB arrive pour régler les litiges fonciers en 2006, il gagne le procès en 2011 contre la commune Rumonge. « Ça fait 12 ans que j’ai gagné mais on n’a pas encore exécuté la décision rendue. Au total, 21 ans viennent de s’écouler sans que ma famille jouisse de sa propriété », confie-t-il, la voix émue.
Il dit avoir tellement écrit aux autorités pour demander l’exécution du jugement rendu, en vain. « Je demande au gouvernement de nous régulariser, plus l’indemnisation de 5 hectares pour ces 21 ans ».
Contacté, Rubain Bizimana, conseiller juridique au cabinet du gouverneur dit être au courant de ce dossier mais pour lui, c’est compliqué d’expulser d’une propriété des citoyens qui ont été installés par la commune pour l’offrir à un autre citoyen.
Quid de la problématique de l’exécution ?
Au-delà de ce cas certes représentatif,c’est presque tous les rapatriés qui accusent la CNTB d’avoir traîné dans la procédure de traitement des dossiers. Et de se plaindre que le jour d’exécution, une délégation de la CNTB pouvait faire une descente sur terrain pour mettre en exécution une décision et faire demi-tour à la dernière minute. « Dernièrement, celui qui occupe ma propriété a dit qu’il a oublié les papiers en province de Bururi alors qu’il était conscient que c’est le jour de l’exécution», regrette un des rapatriés de Rumonge.
Et de souligner que certains gagnent un procès mais les perdants refusent de restituer les terres et autres biens. Que font nos administratifs ? « On a constaté que nos administratifs manquent de volonté. Nous sollicitons le gouvernement du Burundi pour nous venir en aide dans l’exécution ces décisions rendues », poursuit-t-il.
Pour Félicien Nduwuburundi, ancien président de la CNTB, les retards observés dans l’exécution des jugements dépendent de différentes raisons notamment un personnel insuffisant. Cela a pu perturber tout le processus : « Des fois, le jour de l’exécution, on se retrouvait facilement avec deux différentes familles qui ont également en conflit sur la même propriété. » La CNTB devait arrêter l’exécution pour résoudre ces nouveaux litiges.
Félicien souligne qu’après certains procès, le constat est qu’il y avait parfois des faux témoins (ou plutôt des commissionnaires) qui étaient payé plus de 100k, tout cela faussait le processus. Un autre constat : certains administratifs traînent dans le processus d’exécution : « Apres le verdict, le rôle important dans l’exécution des jugements rendus revient aux administratifs».
Selon l’ordonnance ministérielle de 2009, il y a les terrains dénommés blocs vivriers de Mutambara et Buhinda respectivement de dimension de 600 hectares et 310 hectares tous de la commune Rumonge, province Bururi à l’époque. Certains justiciables lésés réclament un dédommagement parmi ces 910 hectares. A propos, le conseiller juridique au cabinet du gouverneur de Rumonge, Bizimana Rubin fait savoir que la commune a construit les abattoirs dans ces espaces et les villages des rapatriés. « 70% d’espaces restant n’appartient pas totalement à la commune. Ce qui serait mieux est que le gouvernement offre une indemnité pécuniaire».
Concernant les parcelles des villages de la colline Karonda, la commune les a distribuées aux habitants. La CNTB a décidé que le rapatrié récupère sa propriété, sauf la partie dans laquelle l’occupant a bâti sa maison, c’est-à-dire une superficie de 20m sur 30. Malheureusement, certains rapatriés rejettent cette décision et exercent un recours à la Cour Spéciale Terre et autres Biens (CSTB) pour réclamer la part restant.
Il faut noter la CNTB œuvrait dans le cadre d’une justice transitionnelle, ce qui diffère de la CSTB que applique les règles d’une justice classique. Ainsi, « Certains jugements rendus par la CNTB ont été revus par la CSTB, ce qui retarde encore plus les exécutions. »
Alexis Nduwimana, un avocat de Rumonge, rappelle que le gagnant du procès devrait avoir un procès-verbal (PV) d’exécution après l’annonce du verdict. Toutefois, déplore-t-il, certains administratifs ne coopèrent pas dans l’exécution du jugement rendu. Et de marteler : « Pour le cas du gagnant du procès contre l’Etat, le gouvernement doit restituer la terre ou donner une indemnité en contrepartie de sa valeur. »
Le rôle de la CSTB
Pascal Ngendakuriyo, président de la CSTB indique qu’actuellement, la Cour est en train de mettre en exécution les jugements rendus au niveau provincial. Pour ceux qui n’ont pas fait un recours à la commission nationale, et les décisions prises dans la commission de recours pour attendre que le commencement de CVR.
Pourtant, Béatrice Niyogushima de zone Buruhukiro (Rumonge) fait savoir que la CSTB a mis en exécution un jugement rendu alors sa famille et elles ne savaient pas que leur propriété foncière fait objet d’un litige. « On n’a pas été convoqué et donc on ne savait pas le jour de la mise en application de la mesure rendue définitive. La CSTB nous a promis de revoir ce cas ».
Pour plus d’une année de service, la CSTB a déjà exécuté 93 dossiers au niveau national, précise le président de la cour. Les faux documents pour bloquer l’exécution, les justiciables s’accusent entre eux d’usage de faux papiers, sont entre autres les défis rencontrés lors de l’exécution des jugements. « C’est un travail difficile et nous le faisons prudemment.»
La CSTB a la compétence de revoir un procès déjà tranché par la CNTB et de mener ses propres enquêtes, lorsqu’un perdant fait un recours à la CSTB. Pendant la période d’enquêtes, la propriété en conflit ne peut pas être vendue. Parfois, la CSTB reconnait des erreurs faites par CNTB, « Durant ce dix-huit mois d’exécution, nous avons revu environ 10% de procès », rassure encore Pascal.
Le partage, une des solutions
« Selon moi, la CNTB n’avait pas encore achevé son travail, il nous fallait cinq ans pour clôturer tous les dossiers et rapports. Chaque année, nous aurions tranché 5 mille procès sur un effectif total de 22000», indique l’ancien président de CNTB, Félicien Nduwuburundi.
A l’époque de Kana Astère (lui aussi ancien président de CNTB), la CNTB avait adopté une stratégie de partage de propriété entre les rapatriés et habitants pour résoudre les conflits à l’amiable, indique Bizimana Rubain, conseiller juridique du gouverneur de Rumonge. Cette pratique n’a pas duré longtemps. Son successeur Mgr Sérapion Bambonanire a abandonné cette voie. « Il vaudrait peut-être mieux revenir sur cette pratique », indique-t-il. Et de rappeler : « Le président de la République nous a promis que la CVR va prendre le relais ».