La propagation des messages de haine dans la communauté passe entres autre par l’effet domino. Et donc pour casser la chaine, il nous faut nécessairement revisiter notre histoire pour une lecture commune des évènements afin de casser le cycle de violence. Comment ? Eléments de réponse avec Jean Claude Nkundwa, expert en transformation des conflits.
Quels sont les facteurs qui constituent l’essence de l’effet domino des messages de haine dans la communauté ?
Avant de parler de ces facteurs, il faut d’abord savoir que les messages et discours de haine ne se manifestent pas sans qu’il y ait déjà eu des sous-jacents endormis dans le passé mais qui attendent juste des étincelles afin d’exploser et commencer à se propager dans des différents groupes sociaux. Les facteurs sont donc ces catalyseurs qui sont provoqués par des moments politico-économiques, des vagues qu’on ne contrôle pas souvent ou des périodes de compétition politique qui visent des intérêts entre les groupes. C’est pendant ces moment que certains groupes utilisent des stéréotypes et des préjugés qui étaient conservés dans l’histoire pour essayer d’atteindre leurs intérêts tout en éloignant leurs protagonistes. Et plus, il y a des ripostes entre les groupes, plus cela se propage. Du coup, des personnes qui ne maitrisent pas la situation, croient en ces messages pleins de manipulations et se retrouvent en train de les propager dans leur communauté. Et lorsqu’il y a des conducteurs de ces messages comme les médias, les choses deviennent alors dangereuses.
Avez-vous des exemples pour être plus explicites ?
Je pense que notre histoire en est témoin à ce sujet. Nous avons vécu, au lendemain de l’indépendance, des moments de diabolisation entre les groupes. Puis sont arrivés les régimes dictatoriaux et à cause du calme apparent de l’époque, tout le monde a pensé que la situation était redevenue normale alors qu’il y avait toujours des tensions sous-jacentes qui n’attendaient que la période de multipartisme des années 90, pour que tout ce qui était conservé pendant la dictature dans le silence, se manifeste et explose. Ces tensions et ces colères enfouies, étaient transmises dans des générations qui n’existaient pas au moment de l’indépendance et qui ont pris cela comme des leçons apprises et ont commencé à les propager alors qu’elles ne savaient pas réellement ce qui s’était passé par le passé. C’est ainsi qu’on s’est retrouvé dans des situations catastrophiques de violence de masse. Et après les négociations d’Arusha, le pays a connu une accalmie mais il fallait attendre aussi une autre période de 2015 pour voir que réellement la solution n’était pas du tout trouvée. Actuellement nous sommes dans le silence, dans le calme et on pense que tout va bien. Mais je pense que c’est le moment plutôt de faire des interventions préventives afin d’arrêter ce cycle de propagation des discours de haine et de violence qu’on a déjà vu dans le passé.
Que peut-on faire pour limiter cet effet domino des messages et discours de haine ?
Ce qui peut être fait d’abord c’est le retour dans l’histoire et analyser comment le narratif de notre histoire a été formé et comment il a été reçu par les générations et les groupes sociaux qui forment le Burundi. Et puis essayer de discuter en toute honnêteté pour voir si on peut aboutir à une version partagée de l’histoire, une version qui construit aussi tout le monde, une version où tout le monde se sent dedans et considéré, afin que ça soit une histoire d’une nation et pas une histoire des uns et des autres, une histoire protagoniste et divisionniste. Je pense que c’est cela la tâche la plus importante que les dirigeants actuels devraient voir comme un devoir auquel l’on ne peut pas échapper.
Y’a-t-il des conséquences justement liées à cet effet domino des messages et discours de haine ?
Evidemment car lors de la propagation des discours de haine, il y a des groupes qui se forment. Le premier est celui de ceux qui se sentent victimes. Et quand la victimisation est sentie, il y a des comportements immédiats qui se manifestent. C’est premièrement la peur et ensuite la propagation du discours de victimisation. C’est la tendance à fuir, le sentiment de se sentir exclue d’une communauté, d’une nation, de ne pas appartenir là où tu appartiens. Donc le sens d’appartenance à un destin commun, l’estime de soi, la volonté finalement de contribuer pour le développement national commencent à diminuer. L’autre groupe est celui de ce qu’on appelle des privilégiés. Ils sont dans une position de privilège car ils sentent liés ou sont alliés au pouvoir ou aux détenteurs du pouvoir. Ils pensent que les moments difficiles que traversent l’autre groupe ne les concernent pas parce qu’ils jouissent d’une protection. Et cela les empêche d’entrevoir que la même situation puisse leur arriver un jour ou même affecter leurs enfants dans l’avenir.
Justement dans ce cas, quels comportements doit-on adopter ?
Ce qu’il faut faire dans ce cas, c’est d’essayer de saisir cette opportunité pour voir les liens communs avec les victimes afin de constituer une force ensemble, utiliser cette situation comme une opportunité de faire face à ces problèmes pour finalement briser le cycle de violence, planifier un avenir partagé entre ceux qui se sentent victimes et ceux qui se sentent privilégiés afin de créer un autre chemin pour une avenir partagé.