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La réparation, instrument de lutte contre les messages de haine

Restituer les biens aux familles et rescapés, victimes des crises cycliques pour panser les plaies, peut atténuer la propagation des messages de haine. Jimbere a rencontré des rapatriés de Rumonge. Récit.

La crise de 1972 reste imprimée dans les mémoires non seulement à cause de sa singularité (les purges) mais aussi par rapport aux milliers de burundais partis en exil dont la majorité en Tanzanie. On ne peut passer sous silence la multitude d’affaires judiciaires liées aux conflits fonciers observés dans le sud du Burundi suite au retour massif des rapatriés. Ceux-ci demandent réparation. Et selon nombreux observateurs, cela pourrait atténuer leur douleur et ainsi participer à la lutte contre la propagation des messages de haine.

Sur la colline Mugara (Zone Gatete), située à 15 km du chef-lieu de la province Rumonge, les rapatriés rencontrés sont, en tout cas, de cet avis. Certains demandent la restitution des biens comme les propriétés qui appartenaient à leurs parents au moment de la crise de 1972. Pour d’autres, cette réparation serait pécuniaire, une somme d’argent allant jusqu’à 100 millions de Fbu est évoquée.

Jackson Ndayizeye (65 ans) habitant la colline Mugara n’y va pas par quatre chemins. « Il faut que l’Etat burundais honore ses engagements », lâche-t-il et d’expliquer : « Lorsque nous étions dans les camps de réfugiés en Tanzanie, des autorités burundaises sont venues nous sensibiliser à regagner le bercail tout en nous promettant la restitution de nos biens mais force est de constater que rien n’a été fait dans ce sens. »

Pour ce rapatrié parti en Tanzanie à l’âge de 13 ans après avoir perdu tous ses proches dont un père qui sera tué en 1973, les propriétés de ses parents doivent lui être restituées : « Actuellement, nombreux d’entre nous vivons dans le dénouement le plus total alors que nos  biens sont exploités par d’autres personnes »

Des rapatriés considérés en envahisseurs

Et d’indiquer qu’en cas de réparation, cela lui permettrait de bien entretenir ses 11 enfants dont la plupart étudie encore au secondaire « Ils ont besoin des frais de scolarité et du matériel scolaire sans oublier qu’ils doivent être soignés, nourris et avoir un toit décent au-dessus de leur tête. » Et d’affirmer qu’il n’y aura la paix dans les cœurs tant que cette question ne sera pas résolue : « Si le Gouvernement veut réparer et apaiser les esprits, il faut que nos biens nous soient restitués. »

Spora Bugoma (74 ans) qui a également fui vers la Tanzanie confie : « En 1972, j’ai perdu mon père, deux frères et notre grand-père. En tout j’ai perdu sept personnes pendant cette crise, des personnes importantes dans notre famille et jusqu’à présent, cette plaie reste béante, nos cœurs saignent. »

Si c’est possible qu’une réparation soit faite suggère-t-elle, l’Etat leur rendrait d’abord toutes leurs propriétés, ensuite il ferait tout pour que les rapatriés soient considérés par les autres comme des enfants du Burundi car cela n’est pas le cas : « Nous sommes mis au ban de la société, considérés comme des envahisseurs, soupçonnés de je-ne-sais quoi alors que c’est l’Etat qui nous a demandé de rentrer. »

Et si rien n’est fait dans ce sens, cela engendrera un ressentiment qui peut aboutir à la vengeance et à la violence généralisée. Mais si des réparations sont faites, elles rendraient à ces familles leur dignité et permettrait aux résidents de les considérer comme des fils et filles du Burundi au même titre qu’eux.

Même son de cloche chez une dame qui a gardé l’anonymat. Elle dit avoir perdu ses deux frères en 1972 : « L’un a été tué ici à Mugara et l’autre à Kiremba. Nous ne savons toujours pas où ils sont ensevelis. » Avant son départ vers l’exil, poursuit-elle, son père avait des propriétés, possédait une voiture et une moto du type Vespa. A leur retour, tout avait disparu, leurs propriétés exploitées par d’autres personnes jusqu’aujourd’hui.

Des attitudes qui interrogent

Pour elle, la seule option possible c’est de lui verser de l’argent : « Depuis notre retour, l’Etat a prouvé qu’il ne pouvait pas satisfaire à nos revendications. Pour faire simple, il faut qu’il cherche un fonds spécial dédié cette réparation et donne chacun de l’argent. » Et de préciser : « Cette somme serait 100 millions de Fbu comme frais de réparation. » Elle lui permettrait de se refaire et acheter une propriété pour avoir de quoi entretenir sa famille. 

Christophe Mbazumutima (54 ans) va plus loin. Ce qui fait mal aux rapatriés, indique-t-il, c’est le fait de perdre leurs biens une fois récupérés. Une sensation d’un couteau remué dans la plaie : « Mon père a été assassiné en 1972. Tous ses biens ont été spoliés dont un grand magasin plein de biens et articles. C’est cette maison jouxtant le bureau collinaire que vous voyez là-bas. Il s’appelait Osée Mpabansi. »

En plus du magasin poursuit M. Mbazumutima, son père possédait 17 propriétés, des véhicules dont un camion de type Volvo qui fonctionne encore : «  Actuellement ce camion dont la plaque est A 120 est utilisé à Bujumbura et a été transformé en camion-citerne mais les sièges sont restés les mêmes. »

Ce qui étonne Christophe Mbazumutima, c’est l’attitude de la Cour Spéciale Terres et Autres Biens.      Elle a décidé le 13 juillet dernier de lui restituer la propriété de son père : « Cela a été fait devant le chef collinaire et la population. Des correspondances de cette décision ont été envoyées à tous les échelons administratifs. »

Prendre son mal en patience

Mais trois mois après (début octobre), la même Cour est revenue remettre cette propriété à celui qui l’occupait depuis 1972. Depuis, confie-t-il, il vit mal cette situation et dit ne rien comprendre de la justice.

Contactée au sujet de ces revendications et de l’option de la réparation, Béatrice Ndayisenga, conseiller du gouverneur de Rumonge, chargée des questions sociales, rétorque que tout dépend de la perte du rapatrié : « Pour ce qui de la perte des proches, il leur faut des séances d’écoute et d’échanges pour atténuer leur douleur car rien ne peut remplacer un proche perdu. Mais pour ce qui est de la perte des biens, il leur faut une réparation matérielle juste. »

A ceux qui disent voir leurs biens comme des véhicules occupés par d’autres personnes, il faut qu’ils portent plainte auprès des juridictions pour rentrer dans leurs droits. Toutefois, il faut que des preuves soient solides car il y en a qui spéculent alors qu’ils n’ont aucune preuve.

Concernant les rapatriés qui n’ont pas encore récupéré leurs biens, le plus important, soutient-elle, de laisser la justice faire son travail : « Lorsqu’ils rentrent, ils sont installés sur les sites de rapatriement. Il faut qu’ils prennent leur mal en patience mais tout en suivant  de près leurs dossiers pour qu’enfin ils rentrent un jour dans leurs droits. »

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