Certains décideurs utilisent souvent un langage humiliant leurs subalternes. Face à ce comportement, Acher Niyonizigiye, expert en leadership, propose le respect des procédures pour éviter les tensions ou la violence entre différents groupes. Zoom.
Que peut-on comprendre par discours humiliant ?
Un discours humiliant est un discours qui parle des faiblesses de quelqu’un ou alors de ses mauvais agissements aux yeux des gens pour attaquer sa dignité, souvent publiquement. Donc, la personne est présentée comme étant mauvaise, et cela devant les gens. Ceux-ci se rendent compte que finalement la personne n’a pas de dignité, ne mérite pas d’être honorée, respectée. C’est donc une humiliation à double sens : d’abord au niveau de cette personne qui se sent humiliée, ensuite par rapport au public qui perd l’estime qu’il avait pour cette personne.
Est-ce une bonne pratique d’humilier les individus de la part d’un leader ?
Pas du tout. Humilier quelqu’un n’est pas du tout une bonne pratique en leadership. Lorsque quelqu’un ne s’est pas bien comporté, il faut le réprimander en privé, soit verbalement, soit par écrit mais il ne faut jamais porter cette affaire en public. Parce que si la personne est amenée à réaliser qu’elle s’est mal comportée en privé, cela n’affecte pas sa dignité car personne d’autre n’en est informé. Mais quand la réprimande se fait en public, la personne est affectée négativement, les gens autour sont également affectés et cela peut même compromettre les relations entre différents groupes. Donc ce n’est pas une bonne chose.
Mais certains estiment que sévir publiquement présente des avantages ?
L’avantage dont il parle est le fait d’exposer la vérité. Le fait de ne pas cacher les fautes, les crimes, les faux pas, les mauvais comportements de quelqu’un. Et cela est une bonne chose car si vous ne dévoilez pas ces histoires, elles ne font que continuer. Mais ce qui n’est pas approprié dans ce cas d’espèce, c’est de s’attaquer à la dignité de la personne. Au fait, il y a une différence entre exposer la faute de quelqu’un et humilier quelqu’un. Quand vous exposez la faute, vous protégez l’estime, la dignité et l’honneur de cette personne et vous parlez uniquement de ses manquements observés. Mais lorsque vous exposez cela en public, ça va au-delà de la faute, ça va vers une sorte de sanction sociale collective, avec tout le monde même des enfants qui sont là, ou peut-être des gens pour qui la personne est une autorité respectée… Sa femme peut être là, ses enfants peuvent être là. Et donc ce n’est plus seulement exposer la vérité, mais cela devient une humiliation. Cela s’appelle s’attaquer à la dignité de cette personne.
Quelles peuvent être les conséquences de ce discours ?
La conséquence est de deux sens. Il y a d’abord les effets de cette façon de faire sur cette personne qui se sent humiliée, pas respectée ni protégée par son chef. Et cela débouche sur une vulnérabilité de la victime qui peut penser même à un complot qui risquer d’envenimer la situation pour la suite. Un climat de peur s’installe dans le cœur de cette personne. Ensuite, la personne aura du mal à retrouver de l’équilibre devant les gens qu’elle dirige parce qu’elle sait qu’ils savent. Et comme eux aussi savent, ils ne vont plus respecter cette personne. S’il n’y a plus de respect entre un leader et ses subalternes, alors il devient difficile d’exercer le leadership. La personne aura peut-être besoin d’utiliser la force parce que les gens ne respectent plus, ne se soumettent plus. Donc ça détruit cette relation de soumission entre les subalternes et l’autorité, ça détruit ce sentiment d’autorité chez l’autorité, ça déstabilise un peu l’équilibre du leadership.
Et du côté des témoins de cette humiliation publique ?
De ce côté aussi, ça peut aller dans deux sens. Soit, ils peuvent être réconfortés par cette humiliation si ce sont des gens qui n’aimaient pas cette personne, soit ils se sentiront mal, comme s’ils étaient également attaqués, s’ils aiment cette autorité. Donc, vous comprenez que cela peut même renforcer l’animosité entre les groupes autour de cette autorité
Comment mettre fin au discours humiliant ? En principe au niveau de l’administration, de la gestion de la cité, il y a toujours des procédures prévues pour faire face à des situations où un responsable s’est rendu coupable d’un délit quelconque. Il y a d’abord des procédures internes à l’organisation où le chef hiérarchique convoque cette personne et lui pose des questions sur l’affaire. La personne convoquée a alors l’opportunité de s’expliquer. Et s’il est prouvé que la personne a réellement tort, on applique les sanctions prévues à l’interne. Parfois c’est juste une demande d’explication, parfois c’est une mise à pied, une sanction administrative d’une autre nature. Et cela se passe dans la discrétion, tous les employés n’ont pas à être informés, ça ne s’annonce pas en public. Quand la faute est lourde, cela peut se gérer au niveau de la procédure pénale, et dans ce cas-là, la personne est mise à la disposition de la justice. Et ici les juges savent jusqu’où ils peuvent aller et ne vont pas s’attaquer à la dignité de la personne. Ils vont investiguer pour mettre le doigt sur le crime commis et les paramètres autour ; et c’est à partir de là qu’ils vont rendre un verdict. Et dans ce contexte, la personne n’est pas humiliée car elle a l’opportunité de se défendre, de se chercher un avocat. Donc il faut respecter les procédures internes ou judiciaires si c’est nécessaire.
