La musique a cette capacité de booster l’humeur, mais utilisée à mauvais escient, elle peut conduire à des violences entre membres des différents groupes comme nous l’avons vu dans le passé à travers différents chants de ralliement, rappelle Abbas Mbazumutima, journaliste et artiste…
Est-ce qu’une chanson peut véhiculer des messages de haine ? Si oui, comment ?
Je me rappelle quand j’étais petit, étant du nord du Burundi, on écoutait beaucoup la Radio rwandaise. Au fait, la radiotélévision National n’était pas bien captée et du coup on écoutait la radio qu’on pouvait capter facilement et c’était donc la radio rwandaise. On écoutait et naïvement on écoutait toutes les chansons que la radio rwandaise déversait et je me rappelle des chansons d’un certain Simon Bikindi. Et plus tard, un jour quand j’étais en stage au TPIR (tribunal pénal international pour le Rwanda) à Arusha, on nous a présenté des accusés, différentes personnes qui étaient à la barre et il y avait ce Simon Bikindi qui a été condamné à 15 d’emprisonnement pour complicité au génocide à cause de ses chansons, qui incitaient au génocide.
Et au Burundi, avons-nous des exemples de telles chansons ?
En 1993 pendant la campagne nous avons entendu des chants des partis politiques plein des messages haineux. Les Upronistes qualifiaient Melchior Ndadaye, le candidat du Frodebu de Kinyamwanira (oiseau de mauvais augure) en chantant « Baraguhenze Kinyamwanira » (On t’a trompé oiseau de mauvais augure) et les Frodebistes rétorquaient « Iyo mporona kari akarimi » pour dire que l’Uprona ne valait plus grand chose, une sorte de coquille vide) et les gens ses sont invectivés. Est-ce que ces chansons n’ont pas contribué à la crise qui a suivi ? Je me dis que oui. En 2015, certaines chansons ne contenaient-elles pas des injures contre le Président d’un pays voisin. Souvenez-vous de la chanson de Lion Story « Umurasta » dans la campagne de libération de Pierre Claver Mbonimpa, président de l’Aprodh. J’ai été surpris après quelques recherches d’apprendre que la chanson existait depuis longtemps. Donc elle avait été sortie de son contexte original pour en faire une chanson de ralliement pour une cause avec tous les risques que cela comporte.
Quelles peuvent être les visées des auteurs, producteurs ou diffuseurs de telles chansons ?
C’est simple, les visées c’est essayer de rallier le plus grand nombre de personnes à sa cause. Mais comme postulat de base, il faut faire attention à tout message ou toute chanson sous-tendue par une idéologie ou des idées politiques parce que ce sont souvent des chansons de ralliement, utilisées pour une compétition et la question qui se pose est de savoir si cette compétition se tiendra entre gentlemen. Et la réponse est non car des fois, tous les coups semblent permis. Quand il s’agit d’une campagne électorale, on dirait que tous les coups sont permis pour mettre à terre son adversaire alors que l’objectif d’une campagne électorale n’est pas de terrasser ses adversaires politiques. Et ces chansons deviennent encore plus dangereuses car leurs compositeurs qui sont souvent des militants zélés le font avec une visée de vouloir mettre à terre les adversaires.
Quelle devrait être l’attitude des producteurs de ces chansons et des médias qui les diffusent ?
Le problème avec ces chansons c’est que c’est après coup que l’on se rend compte de la dangerosité du message qu’elles contiennent. Mais c’est comme on dit « avant de parler, tourner la langue sept fois » pour savoir si le message que vous voulez faire passer n’aura pas d’effet négatif. Du côté des médias, est-ce qu’on ne nous apprend pas à vérifier encore et encore avant de diffuser, avant d’écrire tel ou tel autre message ? Faire une sorte de critique de réceptibilité : se demander comment le public va-t-il accueillir un message. Je me dis qu’il faut une commission pour vérifier si les chansons de campagne ne comportent pas des messages de haine. Nous sommes dans un pays post-conflit et certaines blessures restent béantes. Il faut vraiment faire attention à ne pas réveiller des vieux démons de violences.
En cas de diffusion des chansons qui véhiculent les messages de haine, quelle devrait être l’attitude des auditeurs ?
Le premier pas est peut-être de s’indigner mais ensuite il faut que les auditeurs aient le courage de dénoncer de telles chansons lorsqu’ils les entendent. Ils peuvent le faire à travers les réseaux sociaux par exemple. Et avec l’appui des autres, de telles chansons peuvent être bannies sur les différentes plateformes de diffusion.