Éliane, Jeanine, Aline, Jacqueline, Évelyne… Elles ont en commun la honte comme seconde peau. Mises au ban de la société, pointées du doigt, reniées par les leurs, abandonnées par les géniteurs, ainsi se vit la grossesse des adolescentes burundaises.
Mwaro, commune Ndava, sur la petite colline de Fota. C’est l’heure de la casse-croûte. Hormis les quelques vaches qui lézardent dans les prairies, les esprits sensés se hâtent de trouver un abri au chaud. Voilà bien une heure que nous attendons « les filles mères » de l’association « Senge ».
Elles arriveront, enfin. Pas d’excuses. N’est-il pas évident: « Mon enfant est malade », « J’attendais quelqu’un pour me la garder… » Elles ne sont venues qu’à cinq, les 32 autres membres de l’association n’ont pas pu. Nous nous déplaçons vers une petite salle de réunion. Le contact est timide, presque froid : « Nous n’avons pas l’habitude de ce genre de rencontre. La plupart du temps, personne ne veut nous entendre », fait savoir Jacqueline D., Présidente de l’association.
Vade retro satanas
« J’avais peur, tout le temps », confie Jeanine Kwizera, 18 ans. La peur, syndrome commun à toutes celles qui sont passées par là. Comme si elle s’était incrustée en elle, Éliane n’a plus que la peau sur les os, malgré que cela fasse deux ans. « J’ai passé une semaine à dormir dans les bois. Mon frère me menaçait de mort tout le temps. Ma mère, elle, depuis ce jour, me hait… «
Par dépit, la famille finira par la ramener à la maison. Les voisins ont dû déployer des trésors de sagesse burundaises pour convaincre la maman de laisser sa « fille indigne » rentrer, expliquant en substance que « Igito gitabwa iwabo » (L’enfant prodigue est le fardeau de sa famille). Les plus chanceuses, comme Jacqueline, sont restées sous le toit familial : « J’essuie de temps à autres quelques insultes. Mais bon, cela n’est pas grave… »
« La loi dit qu’une élève qui tombe enceinte doit être renvoyée de l’école et ne revient que quand l’enfant a un an ».
Passé le choc de l’annonce, il faut maintenant affronter le regard de la société. « Je n’ai pas attendu que l’école me chasse, je suis partie de moi-même», se souvient, mi-amusée Evelyne N., alors en Seconde lettre moderne, au lycée communal de Fota. Pour le préfet des études, cela est tout à fait normal. « La loi dit qu’une élève qui tombe enceinte doit être renvoyée de l’école et ne revient que quand l’enfant a un an ». Mais souvent, l’élève ne revient plus. « Je voudrais bien retourner au lycée, mais qui s’occuperait de mon enfant? » , s’interroge Evelyne.
Seule au monde
Les églises ne sont-elles pas sensées accueillir à bras ouverts tout le monde? Même les plus grands pêcheurs? « Oui, bien sûr mais… ». Jeanine, grande croyante, membre du protocole, élève au cours biblique du mercredi soir, choriste à temps plein (1ère voix), fut démise de toutes ses fonctions bénévoles. Désormais, elle occupera une place au fin fond de l’église. « C’est tout à fait normal. Nous ne pouvons pas tolérer ce genre de comportement. La jeune pécheresse est suspendue dans tout ce qui touche à l’organisation de l’église. Elle ne peut revenir, qu’après avoir suivi des cours de repentance de trois mois (impongano) », explique Dina Bucumi, encadreuse à l’Église Méthodiste Libre de Muyebe.
Pour se cacher des regards trop méprisants, Aline Nshimirimana ne sortit simplement plus jusqu’au jour de l’accouchement. « Quand tu arrives quelque part, tout le monde se retourne. Tu deviens une sorte de bête de foire. »
Le petit ami envolé, les amis perdus un à un, la jeune adolescente vit sa grossesse et maternité complètement repliée sur elle-même. Financièrement, la famille démissionne. « Mais c’est compréhensible« , s’emporte pratiquement une sexagénaire rencontrée sur place. « Nous avons déjà du mal à nourrir nos enfants… ». Du coup, celles qui le peuvent travaillent dans les champs d’autrui pour faire vivre l’enfant. Les autres n’ont plus qu’à se tourner vers Dieu, et encore…« D’abord, elles doivent demander pardon à Dieu et ce publiquement », fait savoir Bucumi Dina.
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Elles se racontent…
Je suis tombée enceinte à 17 ans. J’ai dû arrêter mes études. Je viens juste de les reprendre. Aujourd’hui, c’est le père de l’enfant qui nous prend, mon fils et moi en charge. Ma famille m’avait chassée, je suis revenue après avoir accouché et surtout parce que le père de l’enfant avait accepté de nous assumer. Donavine, 19 ans (Muhuta)
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J’ai eu ma fille à 16 ans. J’ai gardé le secret jusqu’à 7 mois. Quand ma mère a vu cela, elle était effondrée. On ne m’a pas chassé. Aujourd’hui, ma fille a 4 ans. J’ai pu retourner à l’école. L’année prochaine, je termine les humanités générales. Annabelle, 20 ans (Kinindo)
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Ma fille a 8 ans aujourd’hui. Le père, courageux, a disparu juste après que je l’eus annoncé la bonne nouvelle. J’ai donc arrêté mes études à 16 ans. Aujourd’hui, je suis commerçante. Mouamini, 24 ans (Rumonge)