Le Burundi célébrait, ce 6 février, la 32ème anniversaire de la charte de l’unité nationale. Avec les échéances électorales à l’horizon, il sied d’analyser et comprendre l’incidence que peut avoir des messages de haine sur l’unité des Burundais. Plus d’éléments avec Jean Bosco Harerimana, professeur d’Universités et expert en Justice Transitionnelle…
Que peut-on retenir de l’unité nationale ?
Ce que l’on peut retenir de l’unité nationale ou de la charte de l’unité nationale, c’est d’abord un acte politique. Un acte politique qu’il faut placer dans son contexte. Ce contexte étant la commission qui étudie l’unité nationale et sa mise en place en 1989. Si on se situe dans l’histoire, avant 89, il y a eu 88 qui est l’année de la crise de Ntega et Marangara. Bien sur avant cette crise, il y en avait eu d’autres comme en 1972 avec plus d’ampleur, en 1969 et 1966. Et donc, la charte de l’unité nationale est une tentative politique de construire une infrastructure d’unité nationale dans laquelle tous les Burundais vont se retrouver. Une façon de dire que tous les Burundais reconnaissent que le Burundi est fait de Hutu, Tutsi et Twa et d’accepter haut et fort que le Burundi et un et indivisible, que son peuple est unique et burundais. C’est donc une étape politique faite d’une volonté d’avancer vers l’avant dans l’unité, dans une Nation-Etat.
Y’a-t-il d’éléments qui ont poussé les Burundais à réfléchir sur cette infrastructure d’unité nationale ?
Je remonterai aux premières années après l’indépendance avec les divisions politiques Monrovia-Casablanca, plus tard le conflit entre les Banyabururi et les Banyamuramvya, entre les Hutu et les Tutsi jusqu’aux attaques meurtrières déjà citées. Mais le point qui a fait déborder le vase fut la crise Ntega et Marangara. On s’est dit : « Tiens, désormais nous sommes en face d’une situation où les composantes de la population peuvent se rentrer dedans, faire des morts et arriver à des atrocités d’une telle ampleur. » Et là on comprend que si rien n’est fait, le Burundi peut se désagréger, éclater et ne plus rester un Etat, une nation. Et donc, la mise en place de la charte de l’unité nationale est une tentative de garder la nation burundaise ensemble.
Quelles peuvent être les incidences de la propagation des messages de haine sur l’unité nationale ?
La propagation des messages de haine a de graves conséquences sur l’unité nationale. Les messages de haine disent : « Lui c’est l’autre. Il y a le nous et il y a les autres. Les autres ne sont pas bons. Il y a de bons et il y a de mauvais. » Quand ce discours est nourri, entretenu, il n’y a pas meilleures armes contre l’unité qui puisse être possible que les messages de haine. Ces messages de haine ne sont pas que des mots, ou justes des vocabulaires mais ce sont des concepts qui pénètrent l’esprit, le conscient et le subconscient jusqu’à ce que certaines catégories de personnes se classent comme bons et qualifient les autres de pas bons ou simplement mauvais. Et donc quand quelque chose ou quelqu’un est mauvais, on l’élimine et dans l’esprit de l’acteur ça ne sera pas l’élimination d’une personne, mais l’élimination du mauvais.
Dans la charte de l’unité nationale, les Burundais condamnent les divisions de toutes sortes pour garder une nation bien soudée. Est-ce ces messages de haine peuvent remettre en cause cet engagement ?
Effectivement. Ceux qui propagent les messages de haine ont quelque fois des intérêts personnels précaires et dans cet acte de propagation de ces messages, ils œuvrent contre l’unité nationale dans le sens où ils cherchent des points de division de toutes sortes (ethniques, régionales ou basées sur les possessions matérielles comme ce qui se passe actuellement au Pérou entre les riches et les pauvres) ou des facteurs de division qui peuvent constituer un élément déclencheur de message de haine sur lequel on peut bâtir la haine et faire la discrimination des autres sur base de beaucoup d’aspects (ethnique, religieuse, géographiques…). Et les conséquences sont dramatiques parce qu’ai lieu de travailler ensemble, les gens se rétractent et deviennent identitaires, cherchent à se sécuriser, à se balkaniser. Et nous l’avons vu au Burundi, dans la sous-région des Grands-lacs et tout cela était dû aux messages de haine. Avec un peu de message de paix, l’on peut casser cela.
Conscient de la gravité de ces messages de haine et de leur incidence sur l’unité nationale, quel est le discours approprié dans ce contexte ?
Dans ce contexte, il faut un discours pacifiste et nous en avons au Burundi. C’est ancré. On dit souvent : « Nous sommes les mêmes. » C’est-à-dire quelle que soit votre origine géographique, ethnique, votre appartenance religieuse, qui sont des aspects, certes de votre composante, vous vous ressentez d’abord et avant tout comme burundais. Et c’est ce discours qui devrait être véhiculé, qui devrait être à l’avant-garde, que nous devrions entendre dans les médias, sur les réseaux sociaux ; qui devrait être enseigné dans les écoles, qui devrait être propagé partout. Un discours qui rassemble, qui dit : « Toi et moi, nous sommes les mêmes. Nous vivrons ensemble. Nous construirons un Etat prospère et nous grandirons et nous épanouirons ensemble. »