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Le mariage interethnique: vecteur contre les messages haineux

Les unions mixtes peuvent contribuer à la déconstruction des messages de haine. Cette semaine, place – une fois n’est pas coutume – à un témoignage du couple Wilbert Dusabe et Nadège Irankunda qui a su surmonter les critiques et la pression liées à leur différence ethnique, pour bâtir un couple solide, qui peut inspirer d’autres jeunes…

Wilbert Dusabe est un homme encore dans la fraicheur de l’âge qu’on ne présente plus au Burundi. 37 ans révolus, ce jeune papa de deux enfants, originaire de Kibogoye, une des collines de la commune Giheta en province Gitega, est connu pour son dévouement à l’agri-élevage.

A la tête de « La Maison du Fermier », son école-atelier depuis 2016, il a déjà formé plus de 1000 jeunes dont la moitié composée de filles et femmes en élevage piscicole, avicoles, cuniculture et celui des porcins.

Mais ce n’est pas ce qui nous intéresse dans cette chronique. C’est de son couple dont on va parler et sa particularité, si on peut appeler cela une particularité. Lui est de l’ethnie Hutu. Sa femme est de l’ethnie Tutsi. Avant leur mariage en 2017, ils ont vécu leur amour pendant 9 ans avant que leur noce ne les propulse au-devant de la scène à travers les réseaux sociaux.

Les uns critiquent leur union, allant jusqu’à parler de l’incompatibilité entre lui et son épouse. « Même avant le mariage, mes amis me disaient de faire attention, que les filles Tutsi n’étaient pas dignes de confiance, qu’elle allait me tromper et mettre au monde des enfants qui ne sont pas de mon sang », se souvient ce licencié en électromécanique à l’Université du Burundi depuis 2013.

Lorsqu’ils se marient, renchérit Nadège Irankunda, son épouse, les commentaires ont fusé de partout : « La plupart revenait sur notre différence ethnique. Certains disaient que je n’allais pas lui donner d’enfants. »

La pression

Même après avoir eu des enfants, confie-t-elle un brin triste, il a été dit qu’ils n’étaient pas siens : « Pour eux, mon mari était veuf et il m’avait juste épousée pour élever ses propres enfants. » Pire encore, certains commentaires laissaient croire qu’elle n’était attirée que par l’appât du gain : les biens de son mari.

D’autres encore évoquaient l’origine modeste du mari, pour ne pas citer directement son ethnie, en se demandant comment un veilleur de nuit peut oser épouser la fille de son patron.  Eh oui, dans sa recherche de travail après avoir empoché son diplôme, M. Dusabe est passé, comme la plupart des jeunes, par la case chômage, s’occupant de tout ce qui lui tombait sous la main. Il fut veilleur de nuit non payé tout d’abord, maçon, etc.

A cette époque, sa femme vit à Kinindo, un des quartiers aisés de la ville de Bujumbura où habitent des gens plus ou moins financièrement stables, et surtout, à majorité Tutsi. Donc, pour les détracteurs du couple, entendre une simple sentinelle épouser une fille d’une famille aisée qui, plus est, est tutsi, c’est la goutte de trop.

Nadège Irankunda se rappelle : « Ils m’ont même prêté des propos comme quoi j’ai accepté d’épouser un veilleur de chez nous parce que les jeunes hommes riches de mon entourage m’ont tous déçue. Et cela m’a fait très mal de voir des gens se permettre d’écrire sur moi en portant de pareilles accusations alors qu’on ne s’est jamais parlé. »

L’amour comme seul leitmotiv

Sur le coup, reconnait-elle, ces propos lui ont fait mal. Mais, après réflexion, ajoute-t-elle, elle s’est rendu compte qu’il ne s’agissait que de jaloux qui ne connaissaient pas le couple et qui n’avaient aucune idée ni de leur parcours ni des circonstances de leur rencontre : « Nous nous sommes rencontrés en 2013. Ce ne sont pas des critiques lancées par des gens guidés par la haine qui allaient changer quoi que ce soit. »

Comment ont-ils pu surmonter cette pression ? A cette question, Wilbert Dusabe rétorque que seul l’amour doit guider les futurs mariés et considère le reste comme des balivernes : « Si tu te dis que la première condition est d’épouser une fille de ton ethnie, vas-y. Mais elle peut ne pas être la bonne pour toi si vous ne parvenez pas à vous entendre. »

Et Nadège Irankunda d’insister: « J’ai vu des couples se disloquer alors que les deux conjoints étaient d’une même ethnie. Comme quoi, avoir la même ethnie n’est pas un gage de bon fonctionnement du couple »

Actuellement, les deux disent vivre normalement comme tous les couples burundais, en étant conscients que l’un est Hutu, l’autre Tutsi. Cela ne pose aucun problème : «Nous causons de tout et de rien, ce qui se dit chez les Hutu et vice-versa. »

Ce qui les réjouit le plus, laissent-ils entendre, c’est le constat que les gens ont compris et les laissent vivre leur vie tranquillement. « D’ailleurs, les voisins nous prennent pour exemple et viennent souvent nous demander conseil », conclut Nadège Irankunda, sourire aux lèvres.

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