Certaines familles refusent et combattent le mariage mixte de leurs enfants. Au lieu de vivre sereinement leur union, ces couples font face au rejet et à l’exclusion, ce qui se répercute sur la société car ce refus peut conduire à la polarisation et à la haine. Le point avec Théo Tuyisabe, professeur de philosophie à l’Université des Grands Lacs et spécialiste en sciences du mariage et de la famille.
Pourquoi certaines familles s’opposent au mariage mixte ?
En fait la société burundaise est tiraillée entre la tradition dont elle ne veut pas sortir et la modernité dont les valeurs occidentales essayent d’entrer avec force dans nos cultures africaines. Certains voudraient que le mariage se déroule comme il se tenait avant. Or dans le temps, pour se marier, ce sont les parents qui vous présentaient votre conjoint et leur choix était basé sur la capacité pour la future épouse à cultiver, à entretenir les champs ou bien à garder les vaches parce que notre société vivait surtout de l’agriculture et de l’élevage. Mais avec la modernité, maintenant que ce sont les couples qui se choisissent, on s’aime et on se choisit parce qu’on s’aime. Et l’amour n’a pas de frontière. Quand on aime une personne parfois on regarde sa beauté corporelle et même sa beauté intérieure. Et au nom de la liberté, on décide d’épouser telle ou telle autre personne, peu importe l’ethnie. Parfois les parents réalisent que vous avez choisi une personne de l’autre ethnie et cela crée des incompréhensions, certains parents s’opposant alors au mariage mixte parce qu’ils estiment que leur enfant risque d’avoir des problèmes dans l’avenir en s’alliant à des familles de l’ethnie différente de la leur.
Et pourquoi elles s’y opposent ? De quoi ont-elles peur ?
Depuis les années 60, le Burundi a connu des crises ethniques répétitives qui ont laissé des traces et qui poussent certaines personnes à donner toujours de l’importance à cette crise identitaire de telle sorte qu’à l’image du peuple juif qui montre qu’il ne faut pas se laisser infiltrer par d’autres peuples pour garder sa pureté, certaines familles au Burundi voudraient « rester pures » suite à ce qu’elles ont vécu au cours de l’histoire, surtout les évènements douloureux. Deuxièmement, elles ont peur que des secrets de leurs familles soient divulguées, que leur intégrité familiale soit exposée aux autres, cela risquant d’atteindre les « ennemis ». Pour elles, il y a risque de s’exposer, de montrer ses faiblesses à son ennemi en épousant quelqu’un de l’autre ethnie dans le contexte où on s’est fait la guerre.
Justement dans le contexte où on a connu des crises ethniques, quelles sont les conséquences liées à l’opposition aux mariages mixtes ?
Ceux qui s’opposent au mariage mixte se heurtent justement à la résistance des époux qui s’aiment. Comme conséquence la relation entre ce couple et les parents se détériorent. La confiance s’étiole parce que les parents estiment que leurs enfants ne sont pas sérieux. Du coup, l’on assiste à des conjoints totalement coupés de leurs familles, amis et connaissances, qui essayent de se créer une nouvelle vie alors que le mariage est censé être une nouvelle étape de la vie et non une occasion de se couper de ses racines. On recommence sa vie, on fait comme si on ne connaissait personne alors qu’il y a des gens tout autour de toi qui t’ont vu grandir et qui devaient te soutenir mais qui ne font rien à cause de ce climat qui s’est installé.
Y’a-t-il des risques dans la communauté ?
Quand il y a refus de mariage mixte, les auteurs de ce refus cultivent la polarisation, les haines ethniques. Au lieu de considérer l’autre comme une richesse, on s’éloigne de lui, on le traite comme un ennemi et cela crée des tensions inutiles dans la société parce qu’on juge reste dans une logique de traiter l’autre ethnie comme un problème. Si vous donnez de l’importance à cet aspect d’identité ethnique au détriment de la personne en face de vous, riche, complexe, enrichissante, vous risquez de haïr inutilement l’autre alors qu’il n’a rien fait de mal contre vous.
Quels conseils donneriez-vous ?
Je demanderais aux Burundais et aux Burundaises de se redécouvrir d’abord. Au Burundi, il n’y avait pas des ethnies, selon la définition communément admise du concept. Certes, il y avait des familles, mais au sein des clans qui se complétaient dans la gestion des pays. L’époque contemporaine nous interpelle sur la notion de liberté, et cette valeur est fondamentale dans le mariage, car ce dernier se fonde sur l’amour. Au lieu de combattre cet amour, cherchons à comprendre et respecter les choix des uns et des autres, et accompagnons-les.