Jadis source intarissable du poisson, la biodiversité du lac Tanganyika est hélas aujourd’hui menacée par la pollution, avec des déchets déversés par les riverains principalement à Bujumbura. D’autant plus que les pourtours sont de plus en plus sous pression de l’activité humaine, notamment avec l’aménagement des plages et des hôtels…
L’activité halieutique, aujourd’hui mise à mal sur presque tout le littoral du lac Tanganyika, a fait vivre depuis des décennies des familles. Selon les chiffres de la FAO, 1% de la population burundaise vit de la pêche. Mais avec notamment la montée des eaux et la construction des plages modernes et des hôtels, les espaces se réduisent chaque jour, compromettant ainsi le sort des pêcheurs et les espaces de vie des animaux amphibiens, tels que les hippopotames, qui sortent de plus en plus du lac pour paître.
Au niveau régional, la protection repose fondamentalement sur la Convention sur la gestion durable du lac Tanganyika. Ce texte organise la gestion et la protection autour de la prévention et la réduction des impacts transfrontaliers, la coopération des États, le contrôle de la pollution… Selon l’article 8, « les États contractants doivent prendre de façon prioritaire les mesures appropriées pour empêcher et contrôler la pollution du lac Tanganyika et de son environnement. »
Education et sensibilisation, participation du public au processus de la prise de décisions figurent aussi au programme.
Sur le plan national, il y a le Code de l’eau qui fixe notamment les 150 m qui doivent séparer la limite des propriétés privées des berges du lac Tanganyika. Une distance qui n’est plus respectées en de nombreux endroits, notamment avec la montée des eaux. Le professeur Jean Marie Barambona, expert en droit de l’environnement insiste: « En principe, l’espace gagné par le lac embrasse le statut de ce dernier. En toute logique, les 150 m devraient être comptés à partir de la nouvelle limite du lac. »
« La pêche, c’est ma vie, mon histoire »
Sur les rives du lac Tanganyika, coté Kajaga dit « Kumweho », sont amarrées de nombreuses pirogues. Nous débarquons de la voiture, il est environ midi, le soleil est au zénith, il fait très chaud. Certains pêcheurs déjeunent, d’autres s’abritent du soleil sous des tentes en plastique noir qui constitue aussi leur logis. Des pêcheurs font leur toilette dans le lac, d’autres font le maillage de leur filet dans une parcelle non encore bâtie, mais visiblement sur le point de se transformer en chantier.
Onesphore Ntahomvukiye, un jeune pêcheur, joue pour nous les guides touristiques. Il nous emmène voir le représentant des pêcheurs. Il connaît tous les noms des propriétaires des parcelles bordant le lac : « Celle-ci est à …, celle-là à … ». Il déplore que cette plage, jadis terrain de pêche, soit aujourd’hui entre les mains de propriétaires chassant les pêcheurs sans autre forme de procès, alors qu’ils n’ont pas d’autres sources de revenus: « La pêche c’est ma vie, mon histoire. C’est aussi mon avenir », s’exclame Onesphore, avant d’ajouter : « Dans ma famille, on a pratiqué la pêche de génération en génération. Ils m’ont légué leur métier, leur passion.»
Philippe Ciza, représentant des pêcheurs de la plage de pêche « Kumweho », fait savoir que toutes les activités dans cette localité sont liées à la pêche: ceux qui la pratiquent, les propriétaires des restaurants… Une plage qui fait vivre environ 2000 personnes venant de différentes provinces, contrairement à l’idée toute faite que les pêcheurs ne sont natifs que de la région de l’Imbo: « Comme vous l’avez vu, les investisseurs sont en train d’ériger des hôtels modernes, il ne nous reste qu’un petit espace. Nous comprenons que ces investisseurs ont en ligne de mire les objectifs de l’État, mais nous sommes, nous aussi, des citoyens de ce pays. En fonction de nos moyens, nous participons fièrement à la charge publique en payant nos impôts. »
Ce qu’il demande ? Que l’État les aide, en leur attribuant une nouvelle plage, et l’aménage.
Pour la sauvegarde de l’intégrité et une exploitation durable
Selon le professeur Claver Sibomana, spécialiste en écologie aquatique, les choses sont claires. Pour que les initiatives en vue de la sauvegarde de l’intégrité du lac Tanganyika et l’exploitation durable de celui-ci aient un impact significatif, il faut que les États qui se partagent le lac synchronisent leur politique, pour limiter la propagation de la pollution de pays en pays par voie lacustre.
Il ajoute qu’il faut aussi soutenir les initiatives de recyclage des déchets plutôt que de les laisser se déverser dans le lac. Mieux encore, il plaide pour la mise en place des mécanismes de suivi des chaînes de production et de gestion pour juguler le mal à la racine.
Quant à la montée des eaux, « le gouvernement devrait tenir compte de la bonne foi des propriétaires lésés par ce cas de » force majeure » pour adopter des solutions adaptées », avant de préciser que cela va exiger un autre texte d’application.
Quant au Dr. Olivier Ndayambaje, autre expert dans le domaine du droit de l’environnement, l’État dispose dans son arsenal juridique d’une marge de manœuvre pour apporter une solution à cette question, sans froisser les droits des propriétaires de bonne foi: « L’expropriation pour cause d’utilité publique, moyennant une indemnité juste et préalable tel que le dispose la constitution.«
Philipe Ciza, représentant des pêcheurs, demande quant à lui l’implication de tout le monde, en occurrence les pêcheurs. Il plaide pour la sensibilisation de ses collègues et surtout pour leur formation. Objectif : leur permettre de s’imprégner du bien fondé de la régulation de la pêche, plutôt que de les mettre à chaque fois devant des faits accomplis: « On veut bien faire les choses, insiste-t-il. Mais nous ne savons pas le faire car nous ignorons quoi faire, et surtout pourquoi le faire. »
Un article rédigé par Kelys Kezimana, en stage au sein de la Rédaction du Magazine Jimbere.