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Gatumba : les habitants face à un dilemme

Déjà qualifiée par le gouvernement de zone invivable, la population de cette localité est confrontée à un choix difficile : accepter d’être installée loin de chez elle ou rester et assumer tous les maux. Au moment où la nouvelle saison pluvieuse s’annonce, un expert propose la juste mesure. Le point…

La zone de Gatumba est sujette à des catastrophes environnementales depuis des années suite aux crues de la rivière Rusizi qui envahissent le terrain et à la hausse du niveau du lac Tanganyika où elle se jette normalement. Les habitants de certains quartiers ont été contraints à déserter, un programme de délocalisation vers les zones intactes a été mis en place par le gouvernement. En dépit de ces moments sombres, une hardiesse les insuffle graduellement pour revendiquer le droit de rester sur leur terre natale.

« Pourquoi nous dire de quitter, au moment alors qu’’ici et là les parcelles s’achètent et les bâtiments s’érigent du jour au jour. Et si finalement nous quittons, cette zone demeurera éternellement inoccupée », murmurent certaines personnes rencontrées.

En cette matinée de fin août, l’atmosphère est moins ensoleillée qu’à l’accoutumée, lorsque nous débarquons au 6ème poteau, référence qu’ont prise les habitants de Gatumba pour leurs indications spatiales. Nous sillonnons petit à petit des maisons dont certaines sont encore submergées et dépourvues de toitures et abandonnées, d’autres complètement détruites par les derniers flaques d’eau. Quelques personnes audacieuses sont en train de cimenter de nouveau les murs sévèrement détériorés, d’autres s’adonnent au redressement des murs détruits. Plus loin, une foule confuse vaque aux opérations de négoce. Bref, l’endroit est mouvementé, malgré de vastes étangs non encore séchés qui s’observent encore, plus particulièrement sur  le côté gauche de la route Gatumba.

Une vie de survie

Par hasard, nous identifions, au milieu des cases en tantes érigées pour y fuir l’invasion progressive d’eau (Jeanne), une mère, un lot de vêtements à son côté, semblant soucieuse de simplifier sa tâche, nous décrit leur vie actuelle : « Pour nous, la vie est un combat quotidien. Après la noyade de tous nos biens lors des dernières inondations, nous vivons aux dépens de ceux qui sont encore fortunés. » Et d’expliquer : « S’ils nous donnent un travail quelconque, comme ce que vous me voyez faire maintenant, c’est la chance de nous procurer un bout de patate douce pour nourrir nos enfants ».

A ce sujet, poursuit-elle, l’encadrement des enfants est actuellement difficile : « Ils profitent des mares si sales pour y pratiquer la pêche. Les parents sont dépassés et à cause des préoccupations de la survie, ils ne s’occupent plus de l’éducation de leurs enfants. » Bien plus, face à la rentrée scolaire  imminente, la plupart s’inquiétant de leur situation économique qui ne répond pas à la cherté du matériel scolaire.

Le plan sanitaire est un autre aspect préoccupant : avec une faible accessibilité à l’eau potable, les lieux d’aisance sont faits de trous de profondeur de moins d’un mètre, qui sont entourés de morceaux de tantes longuement usées et sans toit. De plus, ces lieux de soulagement sont d’usage commun entre les familles, ce qui fait qu’ils se remplissent trop tôt et se déversent dans les étangs d’eau éparpillés ici et là.

La position officielle inchangée

Toutefois, Jean Muyoboke, chef de la zone Gatumba, assure que les maladies des mains sales n’ont pas fait beaucoup de rage : « Les agents de la Croix-Rouge ne cessent de pulvériser notre zone, et ainsi, nous luttons contre certaines maladies des mains sales ».

À la question de savoir comment ils se préparent pour affronter la nouvelle saison pluvieuse, certaines personnes se résignent : « Nous sommes déjà accoutumés à ces catastrophes qui ne datent pas d’hier. Nous y ferons également face.»

Cependant, comme le confirme Anicet Nibaruta, directeur général de la Plateforme nationale de prévention des risques et catastrophes naturelles, le programme de délocalisations n’a pas cessé.

Pour défier les crues de la prochaine saison pluvieuse, la population de Gatumba veut ériger elle-même une digue de protection le long de la rive droite de la Rusizi. Sur place, au milieu de la longue étendue des papyrus suivant le sentier des mottes sèches, à environ à 800 mètres de marche, nous tombons sur un tracteur jalousement gardé. 

Un effort voué à l’échec

Même si aucune autorité ne s’est prononcée ouvertement sur ce chantier, Jean-Marie Sabushimike, géomorphologue et expert en prévention des risques et gestion des catastrophes, qualifie cette ambition de foireuse : « Ce n’est pas possible que la population de Gatumba puisse ériger elle-même la digue. On ne parle pas d’ailleurs d’une digue, mais des digues. Car s’il faut ériger, on doit le faire sur la rive droite et la rive gauche. »

De plus, cet expert précise que la digue exige des études de faisabilité : « Une étude scientifique très approfondie, non seulement en se basant sur les prédispositions naturelles de l’écoulement des eaux à Gatumba, mais aussi en se basant sur les projections climatiques. »

Par ailleurs, il apprécie la délocalisation de la population en guise de solution et protection, tout en précisant les possibilités de construction des digues : « Il est aujourd’hui défini comme un impératif de solidarité internationale et le gouvernement devrait donc recourir à des fonds beaucoup plus solides comme le fonds vert pour le climat ». Et d’ajouter : « Ce fond doit être justifié par une étude multidisciplinaire approfondie et c’est tout un dossier à la fois technique et financier qui peut mobiliser ces fonds pour stabiliser les débordements de la crue de la rivière ».

Par contre, selon le gouvernement, la délocalisation proprement dite est la juste mesure. De ce fait, le soir du 16 avril 2024, le ministère de l’intérieur de la sécurité publique, conjointement avec la représentation des Nations unies au Burundi, ont sorti un communiqué déclarant la zone de Gatumba comme une zone à très haut risque, et qu’il est donc inhospitalier.

La population appelée à plus de flexibilité

Malgré le lourd tribut payé par les populations de Gatumba, elles voient en la délocalisation une autre équation à plusieurs inconnues, se questionnant sur la suivie de leurs propriétés qui serait impraticable. « La plupart d’entre nous, nous sommes natifs d’ici, nous avons mis au monde ici même et nous faisons de l’agriculture. » Comment pourrons-nous alors abandonner nos biens », s’inquiétait un sexagénaire qui faisait du transport à pirogue lors des grandes crues au mois d’avril.

Ces populations ne cessent de remettre en cause la vie que mènent les personnes déjà déplacées dans les zones de Mubimbi, à  Matyazo, arguant que s’acclimater au nouveau milieu serait un autre calvaire, et que toutes les conditions ne se sont pas réunies pour leur assurer une vie saine et durable.

Selon le spécialiste, la population devrait écouter toutes les recommandations qui ont pour but de la protéger : « Les grandes pertes en vies humaines, en matériel et en environnement dans cette zone de Gatumba sont dues à l’absence de la culture du risque.»  Ainsi, une éducation de la population de Gatumba est à renforcer, afin qu’elle change d’attitudes face à ces évènements catastrophiques qui les frappent régulièrement.

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