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Friperie, l’autre baromètre du portefeuille des Burundais

Le marché de Ruvumera, récemment épargné de justesse par un incendie la semaine dernière, est bien plus qu’un simple lieu de négociation. Il alimente non seulement les besoins vestimentaires de la population, mais aussi son tissu social et économique…

Au Burundi, une seule société, Afritextile, ex- Cotebu, joue un rôle essentiel dans l’industrie textile. Fondée en 1978, elle fabrique surtout des pagnes en utilisant du coton produit localement.
Cependant, la production de cette fibre blanche ne cesse de diminuer, passant de 2 067 tonnes en 2018 à 649 tonnes en 2022. Face à cette situation, le Burundi se tourne vers l’importation de vêtements de seconde main, principalement en provenance de l’Occident.

Au cours des dix dernières années, le Burundi a dépensé plus de 258 milliards de BIF pour importer des articles de friperie. En 2013, le pays a importé 8 055,3 tonnes de vêtements d’occasion pour une valeur de plus de 9 milliards de BIF. L’année dernière, la quantité de friperie importée s’est élevée à plus de 15 000 tonnes, pour un montant d’environ 50 milliards de BIF.

Pour comprendre la dynamique autour de ce business, rien de mieux que de ce rendre au marché de Ruvumera. A 10h, la place est marquée par le brouhaha incessant et l’agitation frénétique quotidienne. Les femmes propriétaires des petits restaurants installés sur la route en face de l’entrée principale du marché attirent les passants en leur lançant un chaleureux « Karibu » (bienvenu). Elles préparent de petits plats alléchants, diffusant des arômes appétissants qui attirent les gourmets en quête d’une pause bien méritée. Les odeurs du plat riz communément appelé pilao et de poissons se mêlent, créant une atmosphère envoûtante.

Ruvumera, un marché bouillonnant

À l’intérieur du marché, c’est un véritable tourbillon de vie. Les allées sont bondées de monde. Il est difficile de se frayer un chemin dans l’espèce réserve à la friperie. Chaque stand regorge de trésors à découvrir, suscitant l’excitation des chasseurs de bonnes affaires.

Au premier étage, c’est là que les grossistes, les semi-grossistes, les revendeurs et les simples acheteurs s’amassent devant les piles de vêtements. Ici, chaque commerçant s’est spécialisé dans un type de vêtements, que ce soit les pantalons, les chemises, etc. Dans cet endroit, c’est un vrai Capernaüm. « Un véritable combat que nous devons livrer pour être servis », confie Arnaud, l’un des commerçants ambulants.

Lorsqu’un grossiste ouvre une pile, explique-t-il, il commence par servir ses clients tenant des boutiques de luxe dans les galeries du centre-ville. Ensuite, c’est notre tour, nous qui avons de petits capitaux pour être des commerçants ambulants, enchaîne Arnaud.

Au même moment, un grossiste ouvre une pile au milieu d’une foule de plus de cinquante personnes. Comme à une vente aux enchères, il prend un vêtement, l’expose dans l’air. Chaque acheteur propose un prix. Le plus offrant repart avec le vêtement.

S’approvisionner, l’autre combat pour les vendeurs de friperies

Selon Isaac, un vendeur ambulant venu s’approvisionner en vêtements, être servi en premier est un vrai parcours du combattant. Certains y vont avec de vêtements de rechange à porter après l’achat : « Nous portons un premier de vêtements pour affronter la cohue et la chaleur du marché, sachant que nous devrons nous laver et nous changer après nos achats. »

Selon lui, la hausse de prix plombe les affaires : « Autrefois, nous achetions des vêtements à partir de 3500 BIF par l’article, mais actuellement les prix ont grimpé à 4000 BIF par l’article voire plus, pour les revendre à 5000 BIF », explique Isaac. Malgré tout, il continue de résister.
De l’autre côté, une montagne de vêtements est posée sur le sol, attirant une foule agglutinée. Femmes et jeunes fouillent dans cet amas de chemises, foulards, pantalons, pulls et chaussures, dans l’espoir d’y trouver une pièce intéressante.

Vue de façade du marché de Ruvumera…

En bref, il y en a pour toutes les bourses. Josiane est une habituée des lieux, et elle vient de faire une bonne affaire : « J’ai acheté cette veste à 10.000 BIF », lance cette jeune étudiante, ravie de son nouvel achat. « Je viens souvent faire mes emplettes ici, car je peux m’habiller à petits prix tout en étant au top de la tendance. »

Tout comme Josiane, Inès, une jeune mère, fouille en un tour de main dans un tas consacré aux vêtements d’enfants, histoire de trouver quelques pulls à 5000 BIF la pièce. Pour elle, la cherté de la vie, les différentes charges domestiques et la scolarité des enfants siphonnent le portefeuille des ménages et l’argent réservé à la sape rétrécit comme peau de chagrin.

Friperie, mode de vie de la plupart des Burundais

Didier, enseignant dans la discipline de sport dans un établissement secondaire à Bujumbura fait savoir pourquoi il préfère acheter les chaussures de seconde main: « Nous, les gens moyens y trouvent toujours ce que nous désirons et à des prix réduits. »
D’ailleurs, ce père de six enfants qui se définit comme un accro de la friperie, précise que son salaire d’enseignant ne lui permet pas d’acheter les vêtements pour sa famille dans les magasins du prêt-à-porter.

Ella, une dame souriante d’une trentaine d’années, vante sans complexe la friperie : « Moi, j’aime beaucoup les grandes marques, mais je n’ai pas assez d’argent pour m’offrir ces vêtements de luxe. Ici, je peux choisir à ma guise, négocier et repartir avec un article portant la griffe ».

Pour elle, la cherté de la vie, les différentes charges domestiques et la scolarité des enfants siphonnent le portefeuille des ménages et l’argent réservé à la sape rétrécit comme peau de chagrin.

La hausse des prix, les vendeurs en font les frais

Oliver, un commerçant, expose un gros arrivage de manteaux et de pulls en laine. « La balle s’achète 450 000 BIF », précise-t-il. Toutefois, le profit ne cesse de chuter. En 2020, cette balle s’achetait 250 000 BIF. « Vous comprenez qu’on ne gagne presque rien ! », martèle-t-il.

Avant de vendre sa marchandise, il effectue plusieurs tris pour en ressortir les meilleurs articles. « C’est un business qui requiert de la prudence. Il faut savoir comment ça marche, sinon tu ne t’en sors pas. La balle peut contenir des articles en mauvais état, non commercialisables ou du linge de maison, moins prisé. Ainsi, les prix sont fixés en tenant compte de ces aspects », confie Olivier.
Selon ce vendeur de friperie qui a abandonné ses études pour se consacrer à ce commerce, les deux premiers choix sont revendus plus cher dans l’espoir de compenser les pertes liées aux articles irrécupérables.

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