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Discours divergents des leaders : comment les surmonter

Des réponses contradictoires de différents leaders face à un même problème, désorientent la population et risquent d’aboutir à la violence, prévient Remy Havyarimana, coordinateur national de la maison Lueur d’Espoir, une organisation qui suit de près la résolution pacifique des conflits. Que faire, quelle attitude adopter en pareil cas…Eléments de réponse dans cet entretien.

Qu’est ce qui caractérise un langage déroutant ou désorientant entre les leaders d’opinion ?

Lorsque les leaders d’opinion commencent à diverger sur les sujets importants ou cruciaux pour la population, c’est d’abord un signe éloquent qu’à leur niveau, il n’y a plus d’entente. C’est une preuve à suffisance que le cadre de dialogue, de réunion qui devrait caractériser ces leaders n’est plus propice pour les décisions. C’est-à-dire qu’ils se réunissent mais ne convergent plus. Et comme ils ne parviennent plus à se convaincre mutuellement, chacun sort de ce cadre et va essayer de convaincre ses adeptes, ceux qui l’ont élu, ceux qui se reconnaissent en lui. Cela est un problème très sérieux parce qu’en ce moment, les personnes qui entendent ces discours divergents, ont peur. Ils comprennent que les leaders ne s’entendent pas et les décisions prises, peuvent ne plus être consensuelles, et in fine individuelles plutôt que collectives.  

Dans quel contexte ce genre de langage peut-il engendrer des violences de masse ?

Dans le cas où des messages contradictoires sont véhiculés sur un même sujet. Dans les pays comme le Burundi qui sortent progressivement d’une période de crise, où certains croient même qu’ils ne sont pas totalement sortis de la crise, les esprits sont encore tendus. Et dans ce contexte, lorsque des messages pareils sont donnés, lorsque les adeptes prennent ou apprennent des discours qui ne sont pas convergents en provenance de leurs leaders, la première réaction, et surtout pour les pays qui ne sont pas assez mûrs pour la critique, c’est de dire mon leader s’est prononcé, je connais sa position, je dois être conséquent, je dois protéger… Et si donc deux ou trois camps qui ont des leaders dont les messages divergent sur un même sujet, vous comprenez que c’est dangereux. Souvent ces leaders n’en viennent pas aux mains mais ceux qui les écoutent, peuvent facilement le faire parce qu’eux n’ont assez de recul, n’ont pas de règles de jeu et lorsque la voix monte entre eux, cela se termine par des coups. C’est donc très facile qu’une population qui a deux messages contradictoires sur un même sujet en viennent aux mains et cela conduit finalement à la violence voire des violences de masse et la crise qui s’installe.

Et que visent les leaders qui utilisent ce langage désorientant ?

Nous l’avons dit tout au début, c’est d’abord parce que lorsqu’ils sentent qu’ils ne peuvent plus se faire entendre au niveau décisionnel, lorsqu’ils sont en difficulté de convaincre dans les réunions, ils vont chercher les soutiens à l’extérieur du cercle de décision. C’est-à-dire dans un pays comme le Burundi où la population se positionne derrière un leader soit politique, ethnique, régional ou autres, et lorsque cette autorité se rend compte qu’au niveau de son cadre décisionnel, il ne convainc plus, il va essayer de passer par ses adeptes pour montrer qu’il pèse encore sur ses adversaires afin que son opinion soit acceptée de force. Le danger qui est là, c’est que malheureusement c’est un déplacement de terrain de conflit. On quitte le terrain décisionnel de réunion et on va sur le terrain pour des gens qui leur avaient mandaté pour le faire et ils rejettent la responsabilité à ceux qui n’ont pas les règles de jeu. Leur visée est donc de chercher à ce que leurs opinions soient imposées par la démonstration de force mais malheureusement cela se passe d’une manière négative.

Dans ce cas, que doit être l’attitude des récepteurs de ce type de langages ?

C’est problématique lorsqu’on considère le niveau de réflexion, de critique de la population qui suit ces discours. Généralement les leaders connaissent le niveau de la population qui les écoute et c’est pour cette raison d’ailleurs qu’ils exploitent facilement ce cadre. Mais sinon, la population devrait se dire nous vous avons donné la latitude de prendre des décisions en notre lieu et place, vous devez le faire. C’est vous qui connaissez mieux que quiconque les règles de jeu, vous devez les appliquer. Ne nous remettez pas le tablier tout en restant dans votre poste. Si vous ne l’avez pas fait, quittez et que d’autres viennent le faire. Malheureusement dans les situations pareilles comme le cas au Burundi, nous n’y sommes pas encore. C’est ce qui fait que la population suit aveuglement au lieu d’écouter d’autres leaders soit politique, régional ou ethnique pour connaitre leurs positions afin de comparer et si possible de convaincre ses propres leaders à changer d’attitude et à adopter les positions de ses adversaires. Si ces initiatives étaient menées, la situation changerait.

Et que devrait être l’attitude de ces leaders ?

Les leaders ont deux devoirs : le premier est de comprendre qu’ils occupent des positions qui, hier, étaient occupées par d’autres et qui, certainement demain, seront occupées par d’autres. C’est un élément souvent oublié par les leaders des pays qui ne se positionnent pas correctement du point de vue démocratie et qui pensent que le vrai travail ne commence qu’avec leur présence. Cette attitude les aveugle et les pousse à croire qu’ils sont éternels, qu’ils ne quitteront jamais leurs postes. Le second élément doit être celui de se souvenir qu’ils représentent la population et qu’à ce titre ils devraient décider en lieu et place de ceux qui les ont mandatés. C’est-à-dire qu’avant de prendre une décision, ils devraient consulter ceux pour qui ils la prennent. Mais lorsqu’ils divergent, c’est signe effectivement que quelque part ils n’ont pas tenu compte des considérations et desiderata de ceux qui les ont mandatés. S’ils ne sont pas d’accord entre eux, qu’ils retournent auprès des adeptes pour consulter, pour être conseillés afin d’éviter les crises.

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