La province la plus productrice de l’«or blanc» est également, depuis longtemps, championne en matière de «bureaux» multiples, surtout en période de récoltes. Un phénomène qui persiste malgré les efforts de l’administration…
Mardi 25 janvier dernier, 5 journalistes de différents medias (Journal Iwacu, Magazine Jimbere, Yaga, Burundi Eco et la Benevolencija) quittent Bujumbura vers Bubanza pour enquêter, creuser et essayer de comprendre le phénomène de concubinage qui hante les femmes de cette partie de la région Imbo.
Bien que l’administration locale ait fournit, depuis 2018, des efforts considérables pour lutter contre cette pratique moins noble en sensibilisant pour un enregistrement massif des unions libres et la chasse aux concubines, les passagers clandestins n’ont pas pour autant cessé de se multiplier et d’enfreindre la loi.
Des cas illustres
Donatien Gaparata, vieux de 28 ans, vendeur de poules à Gihanga assume son acte et se justifie : « J’entretiens deux relations, deux femmes. La seconde a été un refuge, une réponse à mes problèmes. J’étais frustré et peu satisfait sur le lit conjugal car elle met des limites, et aucun homme ne saurait supporter cela. Je devais chercher la solution ailleurs pour survivre. »
Marié encore très jeune (16 ans), Gaparata révèle que la relation avec sa femme s’est détériorée au fil des années quand sa femme a commencé à fréquenter d’autres voisines, au marché ou aux champs : « Elle a commencé à me sous-estimer, me donnant à peine à manger… Le ras le bol fut la privation de son corps. Je ne pouvais pas le supporter. »
Selon Gaparata, les conséquences issues de son concubinage ne manquent pas : «Le plus grand défi se trouve au niveau de la gestion des revenus. Entretenir deux foyers n’est pas une mínce affaire au niveau logistique, mais je dois m’assurer que les deux familles ne manquent de rien selon leurs besoins. »
Et de reconnaitre qu’il ne peut pas leur donner des parts égales puisque la première a 6 enfants contre 2 pour la plus jeune : « Même leurs terrains cultivables ne sont pas égaux, mais la première femme ne cesse de me tourmenter. Elle veut tout avoir et malmène la jeune femme. »
A l’heure qu’il est, Gaparata envisage de se saisir de la justice pour engager le processus de divorce avec sa première épouse. Il ne voit pas comment la loi s’y opposerait alors qu’ils viennent de passer toute une année sans partager le lit conjugal.
Le calvaire d’Evelyne
A 32 ans, Ndayishimiye (je remercie l’Eternel) porte un nom qui n’a rien à voir avec sa situation familiale. De plus, ses rondeurs à la burundaise, feraient croire à une vie épanouie et non à un témoignage faisant froid dans le dos.
Mariée très jeune, elle abandonne l’école pour vivre avec son futur mari malgré l’opposition de sa famille. Au début, c’est le paradis mais le bonheur ne fait pas long feu : « Je ne sais pas quelle mouche l’a piqué. Nous étions bien, nous gagnions notre vie et Dieu nous avait bénis de trois merveilleux enfants. Quelques années plus tard, il a commencé à manifester un comportement bizarre. Il me volait tout et me tapait presque chaque jour. Je n’en revenais pas. C’est par après que j’ai appris qu’il entretenait une autre relation, ici même à Gihanga. »
La misère s’invite alors chez la brave dame. Elle doit se débrouillerer tant bien que mal dans le business pour sa survie et celle de ses enfants : « Les temps devenaient durs. Il continuait à me tabasser. »
Le summum se produit lorsque son mari amène l’autre femme pour vivre avec elle, à leur domicile : « Je n’en revenais pas. Je me suis plaint auprès de l’administration, et elle a été chassée de chez moi. Malgré cela, mon mari n’a pas cessé de la voir. »
Traumatisée par les couts de bâton et d’autres violences, Evelyne décidera de se séparer définitivement de son mari, vers 2021 : « Je n’ai rien réclamé de sa part, ni même les enfants. Je lui ai tous laissé, absolument tout. C’est le prix de ma paix, de ma tranquillité. Je n’en pouvais plus. »
Aujourd’hui, Evelyne vit avec une plaie dans le cœur. Elle accuse l’administration à la base et les défenseurs des droits de la femme de ne pas l’avoir assez assisté dans ses détresses : « Ils ont fait la sourde oreille pendant que je souffrais. Ils ne m’ont pas secouru alors que j’avais tant besoin de leur aide. J’ai combattu seul. C’est très décevant. Malheureusement, je ne suis pas la seule à vivre ce calvaire. Beaucoup de femmes souffrent en silence ici à Gihanga. »
De Gihanga à Mpanda, les mêmes malheurs
Colline Gahwazi 1. De modestes maisons faisant un décor d’une cité rurale y sont alignées. Dans ce petit village du centre de Mpanda, vivent plusieurs femmes, victimes ou plutôt rescapées du concubinage. Elles ont décidé de s’associer et mener un combat loyal, celui de lutter pour leur survie en partageant les maux leur infligés par leurs hommes, puis penser et acter pour la résilience.
Antoinette Ndayitegeyamashi, femme influente à Mpanda, victime du concubinage, est à la tête de la coopérative « Nihe agaciro », rassemblant les femmes de son village, victime de ce calvaire : « J’étais animée par un esprit de révolte et en même temps de résilience. J’ai vécu des pires moments dans mon foyer. C’est une longue histoire, une très mauvaise aventure. J’ai même été dans un hôpital pour malades mentaux, totalement traumatisée par mon mari qui m’infligeait des coups, volait et entretenait plusieurs relations. »
Antoinette, actuellement modèle de résilience dans toute la province de Bubanza, après s’être définitivement séparée de son mari, a eu du soutien de son entourage pour s’en sortir : « J’ai vu d’autres femmes, des associations féminines, des organisations, qui sont venues à ma rescousse. Je me suis alors beaucoup impliquée dans la défense des droits de la femme pour lutter avec toute mon énergie contre les maux que vivent les femmes victimes du concubinage. »
C’est ainsi qu’une vingtaine de femmes de Gahwazi 1 se sont rassemblées pour d’abord se donner la morale psychologique, puis trouver des pistes de solutions pour sortir de la fosse commune : « C’est ainsi que nous avons démarré un groupement de solidarité pour se cotiser et à la longue se donner de micros crédits.», fait savoir Antoinette.
Actuellement, les femmes reprennent le sourire. Chacune a un petit commerce de légumes consommables au quotidien. Elles élèvent du bétail comme les porcs, les chèvres, les poules…et les idées de résilience tombent du jour au lendemain : « J’ose espérer de lendemains meilleurs, j’ai foi que les plaies vont finir par être pansées. »
Un mal aux multiples faciès
Le concubinage, comme l’explique Analyssa Ndamuhawenimana, médiatrice de paix à Bubanza, a plusieurs causes : l’ignorance des jeunes filles de la plaine de l’Imbo en manque de modèles et qui sont facilement appâtées par des biens voire même par de choses insignifiantes ; des jeunes veuves désespérées qui voient en l’homme la solution de tous leurs problèmes sans oublier la pauvreté qui fait rage.
Pour cette expérimentée avec une vingtaine d’années dans la promotion des droits de la femme, la lutte contre le concubinage n’est pas de rigueur en province Bubanza « Le suivi n’est pas régulier. Le gouverneur, à un moment donné, avait lancé une campagne massive pour chasser les concubines dans les ménages, mais la réalité a été qu’elles ont été délocalisées vers d’autres communes »,peste-t-elle. La campagne n’aura donc pas fait d’effets considérables. Bien plus, de ses autorités locales, il y’en a qui ont encore des concubines en cachète. Et de se demander comment pouvaient-ils y mettre tout leurs efforts alors qu’ils sont les premiers auteurs ? Difficile.
Analyssa Ndamuhawenimana plaide alors pour un suivi rigoureux, et une grande sensibilisation, d’abord auprès des jeunes filles qui accourent vers les biens empoisonnés, car, pour elle, un foyer qui n’est pas légalement enregistré n’en est pas un.
Des pratiques venues d’ailleurs
Comme l’affirme Léopold Ndayisaba, administrateur de Gihanga, le taux de concubinage a sensiblement diminué jusqu’à 80% grâce à une forte campagne à la chasse aux concubines : « Nous avons commencé par les autorités de base qui donnaient le mauvais exemple. 6 chefs de cellules ont été démis de leurs fonctions. Systématiquement, nous avons séparé les relations hors normes, et les auteurs ont été punis. Nous pouvons affirmer que nous sommes sur une bonne voie, comparée aux années antérieures. »
Toutes fois, l’administrateur fait savoir que la majorité de ceux qui pratiquent le concubinage viennent d’autres localités que Gihanga : « Ce sont souvent des travailleurs saisonniers venus pour des travaux champêtres dans les rizières et qui s’installent dans notre commune. Ils prennent alors des femmes alors qu’ils étaient mariés chez eux. Il nous est pratiquement difficile de connaitre leur état matrimonial d’antan. »
Une loi lacunaire
Au point de vue législatif, l’administrateur juge la loi trop laxiste quant au concubinage. Selon lui, celle-ci mérite quelques révisions : « Avec la campagne d’enregistrement massif des mariages, nous avons eu plusieurs plaintes de la part des premières épouses, qui se voyaient renvoyer par leurs maris sans aucune forme de procès. », ces derniers, fait savoir Ndayisaba, convolaient en justes noces avec d’autres femmes plus jeunes et la loi le leur autorise. Or, les premières épouses qui s’étaient données corps et âmes pour le foyer pendant des années, sortaient par la petite porte : « Toute la question était alors de savoir ce qu’adviendront les enfants ? »
Alexis Rukundo, 2ème substitut du procureur de Bubanza, et membre de la commission VBG, abonde dans le même sens. Pour lui, le code pénal est un peu léger par rapport au concubinage que la loi spécifique sur les VBG : « La loi spécifique sur les VBG stipule que le concubinage est puni d’un mois à 1 année de prison et une amende de 100.000 Fbu. », la sanction peut être multipliée par 4 au cas où l’acte sexuel est fait sous le toit conjugal.
Bien plus, une association de défense des victimes, ayant une année de service peut porter plainte. Pourtant, avec le code pénal, le concubinage n’est sanctionné que par une amende de 50.000 à 100.000 Fbu, et ce sur sur plainte de la victime seulement.
De son côté, Abel Nshimirimana, psychosociologue et professeur à l’Université du Burundi indique que la bonne solution pour éradiquer ce phénomène serait une conscientisation via de fortes sensibilisations aux près des jeunes filles et dames pour qu’elles poussent loin dans les orientations de leur avenir, au lieu de trouver en l’homme la solution de tous leurs soucis. Il fait également que l’approche de l’autonomisation de la femme apporterait un plus, pour son respect et sa dignité au foyer.
