Au-delà de ce que l’on pourrait imaginer, le processus d’enregistrement des citoyens souhaitant exercer leur droit de vote pour les prochains scrutins n’a pas du tout fait l’unanimité. Au cœur de la controverse, les moyens de pousser la population en âge de voter à se faire inscrire divise l’opinion…
Plutôt inhabituel, le processus d’enrôlement des électeurs fait déjà couler d’encre et de salive avant l’entame de la campagne électorale pour 2025. Du jamais-vu pour nombreux observateurs, que des citoyens soient contraints par gré ou par force de se faire inscrire sur les listes électorales. Le modus operandi dans plusieurs localités a été l’exigence des récépissés attestant l’inscription afin de pouvoir entrer dans les marchés, tant en Mairie de Bujumbura qu’à l’intérieur du pays.
Pire encore, certains administratifs y sont allés fort en refusant de rendre service à tout individu qui a boycotté le rendez-vous d’inscription initialement prévu du 22 au 31 octobre 2024. Même le Ministère de l’intérieur cautionne ces mesures de l’administration publique. S’exprimant sur le sujet au cours d’une réunion tenue le 28 octobre dernier à l’endroit des Chefs des partis politiques, Martin Ninteretse affirme avoir demandé aux administratifs de « trouver des stratégies possibles pour que le taux d’enrôlement soit aussi maximal que possible. »
Pour lui, le gouvernement du Burundi ne peut pas tolérer des récalcitrants. Ainsi, le vote n’est pas obligatoire, mais lorsque le gouvernement lance un programme, un vrai citoyen doit répondre à cet appel, étant donné qu’il n’y a pas de frais d’inscription exigé, et que l’enrôlement se fait dans des lieux proches de la population. Cependant, nuance Martin Ninteretse, un administrateur qui a osé bafouer les droits d’un citoyen a malheureusement failli à sa mission.
Par ailleurs, certaines sources parlent des enseignants et élèves contraints de se faire enrôler sur les listes électorales. L’accès aux cours et autres programmes scolaires était conditionné par la présentation du récépissé attestant l’enrôlement. Pourtant, dans sa correspondance signée le 25 octobre 2024, le Ministre en charge de l’éducation avait demandé aux DPE d’instruire les responsables des établissements scolaires afin qu’ils facilitent l’enrôlement du personnel et des élèves en âge de voter lors des élections de 2025, en collaboration étroite avec les responsables administratifs et les responsables chargés de l’enrôlement pour se rassurer que ce devoir civique a été accompli par tout le personnel et tous ces élèves et cela dans les délais fixés par la CENI.
La population désemparée
Ce processus d’enrôlement des électeurs inquiète plus d’un. Nombreux sont ceux qui ne s’attendaient à de telles démarches pour « inciter » la population à s’inscrire. Alors qu’ils se rendaient au marché de Ruvumera en Mairie de Bujumbura ce 29/10/2023, certains citadins que ça soit les clients ou les vendeurs travaillant à l’intérieur du marché ont été contraints de rebrousser chemin puisqu’ils n’avaient à leur disposition un récépissé attestant leur enrôlement.
Toutes les portes menant à l’entrée étaient contrôlées par des agents de sécurité privée et ceux en tenue civile qui demandaient à chaque individu souhaitant entrer à l’intérieur son bout de papier tenant lieu de récépissé, tout en indiquant à tous ceux qui voulaient l’entendre les centres d’enrôlement proches.
Pris à dépourvu, certains n’ont pas caché leur mécontentement sur place. Ils disent ne pas comprendre pourquoi une telle décision a été prise sans les aviser au préalable. Pour eux, cela constitue une entrave pour les activités socio-économiques des citoyens. « On ne peut pas prétendre s’engager vers le développement lorsqu’à l’absence d’un simple récépissé, on vous refuse de vaquer à son activité quotidienne », a lâché une mère qui se présente comme une commerçante œuvrant à l’intérieur de ce marché.
Pour elle, la non présentation de ce document peut résulter d’un simple oubli, vu que la population est préoccupée par divers problèmes. Selon toujours elle, il est difficile de trimballer toujours un tel bout de papier au risque de le déchirer ou de le perdre. Le blocage à l’accès aux marchés constitue selon elle une injustice. « En aucun cas, avoir un récépissé est une condition de travail pour un commerçant. Je me demande sur quelle loi on se réfère pour prendre une telle décision », poursuit-elle.
Non loin d’elle, un autre citadin regrette que l’enrôlement semble être imposé comme une obligation plutôt qu’un droit. « Il est inimaginable qu’un individu peut ne pas être servi au niveau de l’administration publique puisqu’il n’a pas à sa disposition le fameux récépissé. C’est quand même un moyen déguisé de forcer la population à s’inscrire alors que cela n’est reconnu nulle part dans la législation nationale », pointe-t-il.
Enrôlement : droit ou obligation ?
Pour la Ceni, « voter est un droit mais aussi une obligation ». Selon François Bizimana, porte-parole de cette commission, en référence à la Constitution du Burundi, l’article 70 dispose que « tous les citoyens sont tenus de s’acquitter de leur obligation civique. »
Ce cadre de la Ceni se demande par ailleurs « quel est ce citoyen qui ne trouvera pas en son âme et conscience, que voter pour lui, constitue une obligation. Parmi les devoirs des citoyens, il y’a l’amour de sa patrie », a-t-il souligné au cours d’une Conférence de presse tenue le 30/10/2024.
Pourtant, le politologue Denis Banshimiyubusa trouve que le vote est un droit et non une obligation en s’appuyant sur l’article 87 de la Constitution Burundaise, qui stipule que « le droit de vote est garanti en République du Burundi ». Selon lui, lorsqu’on dit que le vote est un droit, c’est-à-dire l’on peut jouir de ce droit à ou ne pas en jouir. Par contre, poursuit-il, lorsqu’on dit que c’est une obligation, cela doit ressortir avec des sanctions lorsque vous outrepassez cette obligation.
Selon toujours ce politologue, les mesures contraignantes obligeant la population à se faire enrôler n’ont aucun fondement au regard de la loi fondamentale : « La raison ces mesures est l’émanation de la conception de certaines hautes autorités du pays qui continue à confondre droit et obligation, une erreur qui pousse certains administratifs à prendre des mesures qui vont à l’encontre de la Constitution. »
La sensibilisation plutôt que l’obligation
L’Etat Burundais doit recourir aux moyens légaux et reconnus par la loi pour mobiliser les citoyens à se faire enrôler, d’après toujours Denis Banshimiyubusa : « Il faut mobiliser pacifiquement notamment en expliquant à la population le bien-fondé de prendre part aux élections ». En outre, conclut-il, les partis politiques, les confessions religieuses, les associations sans but lucratif ont aussi le devoir de faire la mobilisation mais dans le cadre de la loi.
Opinion partagée par le député Agathon Rwasa, homme politique actuellement indépendant, qui considère qu’interdire aux gens d’accéder aux marchés, pourtant source de revenus pour les communes, relève de l’ignorance. Selon lui, les autorités doivent savoir que chaque individu est libre de participer aux élections ou non : « Les autorités administratives devraient comprendre que le peuple a des droits et que le pouvoir public a des devoirs envers ce peuple. Si les gens optent de ne pas se précipiter dans l’enrôlement, pourquoi prendre des mesures draconiennes et leur priver de leurs droits les plus élémentaires, alors que même la période d’enrôlement est en cours », s’est-il interrogé dans une interview accordée à la radio Isanganiro.
De son côté, Dieudonné Nahimana, candidat indépendant à la présidentielle de 2020, estime qu’encourager l’inscription est important, mais que cela devrait se faire sans des mesures contraignantes. « Les administratifs doivent être conscients que les citoyens peuvent avoir d’autres obligations qui les empêchent de se faire inscrire à temps. Tant que les échéances qui ont été données par la Ceni ne sont pas dépassées, c’est injuste de priver un citoyen le droit de se procurer des documents administratifs, sous prétexte qu’il n’a pas présenté un récépissé attestant son enrôlement. »